Tchad – Mbogo Ngabo Seli, ministre des Finances : « Il fallait agir pour éviter une situation plus chaotique »
Le ministre tchadien des Finances et du Budget, Mbogo Ngabo Seli, revient sur les seize mesures de réforme adoptées il y a trois mois pour permettre au pays de surmonter la crise.
Pétrole et terrorisme : double choc pour le Tchad
Le pays est confronté à la fois à une crise financière sans précédent et aux attaques de Boko Haram. Idriss Déby Itno est contraint d’entamer son cinquième mandat sous le signe de l’austérité. Et de convaincre qu’il n’a pas d’autre choix.
Diplômé en communication, c’est pourtant dans les finances que Mbogo Ngabo Seli a fait l’essentiel de sa carrière. Cadre à la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), directeur général adjoint de Société générale Tchad, puis directeur de cabinet de différents ministères, il était ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat dans le précédent gouvernement Padacké. Nommé le 14 août grand argentier d’un pays sans le sou, Mbogo Ngabo Seli aborde les particularités de la crise financière et économique à laquelle le Tchad est confronté et qui justifient les mesures drastiques prises dès la fin août par le nouveau gouvernement pour y faire face.
Jeune Afrique : L’année 2016 a été rude. Quelles sont les perspectives pour 2017 ?
Mbogo Ngabo Seli : 2016 a été une année difficile, c’est même un euphémisme ! Elle s’est caractérisée par une baisse record du prix du baril [négocié à 43 dollars, soit environ 40 euros, mi-novembre, il est remonté à plus de 50 dollars début décembre… contre 105 dollars en 2012], annihilant les investissements dans le secteur pétrolier, et avec un effet de contagion aux autres secteurs. Il faut aussi souligner que notre pays n’est sorti que très récemment d’un cycle de plusieurs décennies d’instabilité politico-militaire et qu’il est aujourd’hui encore obligé de faire face à une situation sécuritaire extrêmement précaire à ses frontières. Ce double choc pétrolier et sécuritaire a entraîné une chute drastique des recettes et a conduit notre pays dans l’impasse budgétaire actuelle.
Le ralentissement de la croissance a débuté en 2015 et devrait s’accentuer pour 2016. Il était donc indispensable que le gouvernement prenne les mesures appropriées pour amortir les effets de cette crise et, surtout, éviter une situation plus chaotique encore. 2017 ne s’annonce pas forcément sous de meilleurs auspices. Nous envisageons toutefois de l’aborder avec sérénité, en poursuivant les réformes structurelles engagées en 2016, notamment pour l’amélioration et la sécurisation des recettes non pétrolières, ainsi que pour l’amélioration de la gouvernance fiscale et douanière.
Quelles sont les grandes tendances du budget 2017 ?
Il est élaboré dans un contexte macroéconomique difficile, eu égard à l’environnement international, marqué par l’incertitude sur les cours du pétrole. Toutefois, une reprise probable est envisagée, avec un taux de croissance de 2,3 % en 2017.
Le projet de loi de finances 2017 transmis à l’Assemblée nationale prévoit des recettes et des dépenses estimées respectivement à 11 % et à 14,9 % du PIB. Mais ce plan a été établi sur la base d’hypothèses prudentes, avec un niveau de prix du baril à 42,90 dollars. On peut donc espérer que le déficit budgétaire, de l’ordre de 3,9 % du PIB, pourrait être entièrement financé si les cours remontent.
Nous comptons en outre sur les innovations fiscales pour garantir un niveau souhaitable de recettes, sans pour autant compromettre l’activité économique. Par ailleurs, des mesures sont prises pour ramener le train de vie de l’État dans des proportions raisonnables et adaptées à ce contexte particulier.
L’Administration est à l’arrêt depuis trois mois pour retards dans le paiement des salaires. Comment la situation peut-elle s’améliorer ?
Je tiens à préciser qu’au moment où nous avons cet entretien [fin novembre], les salaires de septembre ont déjà été soldés et que nous recherchons les moyens pour régler dès que possible ceux du mois d’octobre. La situation n’en reste pas moins très difficile, à notre plus grand regret, en raison de la baisse drastique des recettes pétrolières et des contre-performances des recettes hors pétrole, mais aussi du fait d’une masse salariale qui a explosé.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement a pris seize mesures d’urgence, dont la réduction de 50 % des indemnités versées aux fonctionnaires et un audit des diplômes au sein de la fonction publique. Un audit de la solde est également mené actuellement et des instructions ont été données pour la mise en œuvre rapide des recommandations issues du rapport de la Commission interministérielle chargée de l’assainissement du personnel de l’État [Cimape]. Ces différentes actions devraient permettre un rétablissement de l’équilibre budgétaire et le retour au paiement régulier des salaires à bonne date.
Le président Déby Itno n’a jamais cessé de prôner un retour aux deux mamelles de notre économie que sont l’agriculture et l’élevage
Le pays n’a quasiment pas enregistré de recettes pétrolières cette année. Est-ce « l’adieu au pétrole », comme l’a indiqué le chef de l’État en mai, lors du lancement de la campagne agricole ?
Le président Déby Itno n’a jamais cessé de prôner un retour aux deux mamelles de notre économie que sont l’agriculture et l’élevage. La crise que nous vivons depuis la fin de l’année 2014 et le très faible niveau de recettes pétrolières enregistré en 2016 nous confortent dans l’idée qu’il est plus qu’urgent de nous diversifier et de rendre notre secteur privé national moins dépendant de la commande publique et du secteur pétrolier.
En quoi les seize mesures permettront-elles de redresser les finances publiques ?
Ces mesures touchent des secteurs à forte consommation budgétaire. Compte tenu de la baisse des ressources, il était indispensable de prendre à la fois des mesures budgétaires et des réformes structurelles. Toutefois, elles ne suffiront pas à elles seules à relancer le pays. C’est pourquoi le chef de l’État a, par exemple, demandé de revoir la taille de l’organigramme de la présidence de la République. Par ailleurs, les frais de mission des hauts responsables de l’État ont été considérablement revus à la baisse [les per diem ont été divisés par trois].
Les exemples de mesures prises dans les autres pays pétroliers exposés aux mêmes contraintes que le Tchad sont là pour nous convaincre que la situation que nous vivons n’est pas exceptionnelle et qu’un ajustement était indispensable pour juguler la crise.
Plusieurs programmes ont été engagés pour améliorer la gouvernance. Pourtant, les mauvaises pratiques persistent. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
Cette question est au cœur des préoccupations. Le renforcement de la bonne gouvernance et de l’État de droit constitue, avec la diversification de l’économie, l’un des piliers du nouveau plan quinquennal de développement, qui est en cours de finalisation. Des programmes d’amélioration de la gouvernance sont en cours, d’ailleurs financés pour la plupart par nos partenaires. Un code de transparence budgétaire et de bonne gouvernance en matière de finances publiques vient juste d’être adopté, sous forme de loi, par l’Assemblée nationale.
Le Fonds monétaire international (FMI) a procédé mi-novembre à un décaissement de 36 milliards de F CFA (près de 55 millions d’euros) au titre de la facilité élargie de crédit. N’est-ce pas minime au regard des besoins ?
Il est vrai que la somme qui vient d’être décaissée peut paraître infime, mais l’accès du Tchad aux ressources du FMI durant la période du programme actuel se chiffre à 148,4 millions de dollars, soit 91,818 milliards de F CFA. Rapporté à notre budget national, cet appui représente un peu plus de 10 % de nos ressources, ce qui n’est pas négligeable. De plus, l’amélioration significative de notre relation avec le FMI est un signal fort, qui devrait permettre aux autres partenaires techniques et financiers d’appuyer le Tchad dans ses efforts d’ajustement budgétaire pour assainir ses finances publiques et faire face à la question sécuritaire sous-régionale.
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