Niger : les vieux comptes ne font pas les bons amis

Ou comment une dette héritée de l’époque Salou Djibo, et dont le gouvernement actuel conteste la légitimité, menace de frapper Niamey au portefeuille.

Millaut venessequi berovidis ium dem fugia nis di sequam ressequia ipsaecto

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MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 27 décembre 2016 Lecture : 6 minutes.

C’est une affaire rocambolesque dont les protagonistes hésitent à parler de crainte d’être écoutés par de trop longues oreilles… Un feuilleton judiciaire qui agace au plus haut point à Niamey. Et pour cause : à la suite de la plainte d’une société peu connue du grand public, baptisée Africard, le Niger risque de voir saisis plusieurs de ses biens en France et aux États-Unis. Parmi eux, une coquette villa nichée au cœur de la Celle-Saint-Cloud, dans la région parisienne, ou encore un immeuble situé en plein centre de New York qu’un ancien ministre nigérien estime à plusieurs dizaines de millions d’euros.

La rupture d’un contrat onéreux

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Mais quel rapport y a-t-il entre Niamey, les juges de Columbia et de Paris, et une entreprise spécialisée dans l’impression de documents sécurisés et la fabrication de cartes à puce ? Il faut, pour le comprendre, remonter au début de l’année 2011. Le Niger est alors en pleine transition. Au pouvoir depuis 1999, Mamadou Tandja est tombé, le Tazarché (« continuité », en haoussa) a échoué, et c’est Salou Djibo, l’ancien commandant de la compagnie de blindés de Niamey, qui assure l’intérim. Le 28 janvier 2011, le gouvernement décide d’attribuer, sur décision du ministre de l’Intérieur, Ousmane Cissé, un marché de production de passeports électroniques à la société Africard, anciennement liée à l’entreprise Inkript, qui appartient elle-même au libanais Resource Group Holding (RGH).

Montant du contrat : 34,8 milliards de F CFA (environ 53 millions d’euros, à l’époque), hors taxes. Une somme rondelette pour un pays en transition… Si bien qu’un peu plus d’un an plus tard le nouveau gouvernement mené par Brigi Rafini, nommé Premier ministre par le président Mahamadou Issoufou, élu en 2011, décide, après l’avoir d’abord accepté, de revenir sur cet accord après une prise de contact – et de bec – avec Africard. Le 24 mars 2012, Africard est donc informé par courrier de la résiliation du contrat. C’est le début d’une bataille que le Niger n’avait absolument pas prévue – un combat juridique « complètement débile », glisse, au comble de l’énervement, un membre du gouvernement.

Saisie de biens de l’Etat nigérien

Jugez plutôt : estimant la résiliation du contrat abusive, Africard saisit d’abord les plus hautes autorités nigériennes, notamment la Cour d’État, qui lui donne raison le 23 janvier 2013. Mais le ministère de l’Intérieur reste inflexible. Africard se tourne alors vers la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada). Laquelle tranche elle aussi en faveur d’Africard. Et lui attribue, le 6 décembre 2014, une compensation de 16 milliards de F CFA. Une somme assortie d’intérêts de 13 % par an, à compter du 15 avril 2013, et de 156 747 299 F CFA de frais de procédure…

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C’est sur cette décision, qui ulcère aujourd’hui encore les hautes sphères nigériennes (et dont Niamey conteste d’ailleurs l’impartialité), que vont se fonder les justices française et américaine saisies par Africard pour récupérer son (immense) dû. Le 26 janvier 2015, le tribunal de grande instance de Paris valide le principe de saisie de biens de l’État du Niger en France. Le 16 septembre 2016, la cour de justice de Columbia, aux États-Unis, lui emboîte le pas et fait de même pour le territoire américain.

Un obstacle pour l’exploitation de l’uranium

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Débouté en appel à l’Ohada puis en France, le Niger fait aujourd’hui face aux menaces de saisie d’Africard. Cette dernière, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, aurait même demandé à l’exploitant français d’uranium Areva de geler les avoirs nigériens qu’il détient. En clair, Africard espère empêcher Areva d’investir, au nom de l’État du Niger, dans des projets d’infra-structures et de développement sur le territoire nigérien…

Des vautours qui agissent comme des prédateurs sur des pays faibles

Ce à quoi l’entreprise française s’était pourtant engagée en mai 2014, quand les cours de l’uranium l’empêchaient d’exploiter la mine géante d’Imouraren. Si Areva nous a confirmé avoir « été sollicité dans le cadre d’une procédure d’exécution initiée par la société Africard » et avoir « répondu aux obligations déclaratives qui lui sont imposées dans ce cadre », il ne nous en dira pas davantage.

Le gouvernement nigérien, lui, continue de se battre. À plusieurs reprises, les menaces de saisie (sur l’avion présidentiel en juillet dernier, ou sur les biens immobiliers de Paris et de New York en octobre) ont provoqué un branle-bas de combat à Niamey. Aucune n’a pour l’instant été suivie d’effet, et les négociations continuent afin de trouver un arrangement à l’amiable qui pourrait se chiffrer en millions d’euros. Côté nigérien, elles sont discrètement menées par le secrétaire général du gouvernement, Gandou Zakara.

« Je trouve totalement scandaleux que des gens qui n’ont pas produit un seul passeport puissent réclamer ces sommes faramineuses, tout simplement en jouant avec des avocats. Il s’agit de vautours qui agissent comme des prédateurs sur des pays faibles, s’indigne le ministre nigérien des Finances, Hassoumi Massaoudou. Je comprends que l’on puisse demander à être indemnisé par rapport à des frais qui auraient été engagés, mais là ils calculent par rapport au travail qu’ils auraient dû faire ! »

Les précédents d’Africard

Est-ce si étonnant ? Africard et Inkript, qui ne sont aujourd’hui plus liées, n’en sont pas à leur premier conflit avec un État africain. En 2011, le nom d’Africard a été cité dans un scandale en Centrafrique, d’où elle s’est depuis retirée : l’entreprise était alors accusée d’avoir produit des passeports diplomatiques octroyés dans des conditions jugées douteuses sous la présidence de François Bozizé.

En 2012, c’était au tour du patronat malien de déposer une plainte auprès de l’Autorité de régulation des marchés publics au sujet d’un contrat signé par l’État avec Inkript sous Amadou Toumani Touré. Ledit contrat portait sur la livraison de matériel électoral (isoloirs, urnes…) pour la présidentielle et aurait violé, selon l’Autorité de régulation, les règles de passation de marchés publics au Mali. Pourtant, en 2013, le gouvernement malien de transition avait choisi de ne pas résilier le contrat et accepté de signer un avenant portant sur 720 000 euros en faveur d’Inkript. Sagesse résignée ? « Mieux vaut un vautour dans la main que deux qui volent », dit le proverbe.

Quand des sociétés privées veulent mettre des États à genoux

Le Niger n’est pas le seul pays africain à avoir eu maille à partir avec une entreprise privée. Le Congo-Brazzaville se débat dans l’affaire Commisimpex, du nom de la compagnie de travaux publics qui réclame à Brazzaville la somme de 1 milliard de dollars sous prétexte que l’État n’aurait pas payé des contrats passés entre 1983 et 1986. La justice française a récemment autorisé la saisie de biens congolais en France, et la bataille juridique se poursuit. Dans ce domaine, c’est toutefois la Guinée équatoriale qui a le plus d’expérience : condamné en 2014 par la Chambre de commerce internationale à verser 132 millions d’euros (plus les intérêts) à Orange pour régler un contentieux datant de 2011, Malabo a accepté, en octobre, de payer un peu moins de 150 millions d’euros après la saisie d’un avion de la compagnie nationale à Lyon le mois précédent. En juillet 2015 déjà, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo avait été ulcéré d’apprendre la saisie d’un autre appareil, cette fois au bénéfice de la Commercial Bank, du Camerounais Yves-Michel Fotso, qui réclamait une créance de près de 70 millions d’euros. La justice française a finalement invalidé la procédure. Mais l’affaire, qui dure depuis bientôt quinze ans, n’est pas réglée pour autant.

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