Macky Sall : « Je tends la main à tous les Sénégalais »

À six mois des élections législatives, le chef de l’État esquisse un premier bilan et revient sur les affaires qui agitent les médias locaux, de Wade fils à Sall maire et frère (Khalifa et Aliou). Sans oublier les enjeux mondiaux que sont le terrorisme, l’immigration, la CPI…

Macky Sall, president du Senegal © LUDOVIC/REA

Macky Sall, president du Senegal © LUDOVIC/REA

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Publié le 28 décembre 2016 Lecture : 11 minutes.

Cela faisait longtemps que nous tentions d’obtenir une grande interview de Macky Sall. Pour parler de ses quatre années à la tête du pays, de l’évolution du Sénégal, des polémiques dont les médias locaux sont friands, mais aussi du reste de l’Afrique ou des grands débats internationaux du moment. Rendez-vous a finalement été pris pour cet entretien, le deuxième depuis son élection en 2012, en marge du Forum international pour la paix et la sécurité en Afrique, à Dakar, avant sa visite d’État en France.

« Négociations » complexes : le chef de l’État n’apprécie guère l’exercice… Il nous a reçus au palais présidentiel, côté résidence, le 6 décembre en fin de journée, à l’issue du Forum. Son bilan, la compétition électorale des législatives de juillet prochain, la classe politique sénégalaise, les attentes de ses concitoyens, les promesses pétrolières, l’UA, la CPI, le terrorisme, les surprises Trump et Fillon, mais aussi l’inquiétant et imprévisible voisin gambien, Yahya Jammeh…

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Sans préparation aucune ni même exiger de relire la version finale de l’interview, Macky Sall a répondu à nos questions au cours d’une longue discussion à bâtons rompus. Comme toujours, calme, décontracté… et sûr de lui.

Le pays va mieux…

« Je suis satisfait des efforts fournis à travers le Plan Sénégal émergent, qui ont permis d’obtenir des niveaux de croissance soutenus : le Sénégal, en 2015, a été la troisième économie la plus dynamique en Afrique, quasiment ex aequo avec la Tanzanie et derrière la Côte d’Ivoire. Depuis 2012, notre croissance a régulièrement progressé, jusqu’à 6,5 % aujourd’hui, et nous projetons d’atteindre 6,8 % en 2017. Cette progression s’accompagne d’une bonne maîtrise budgétaire. Nous avons également sensiblement augmenté le recouvrement : en 2012, le budget de l’État était de 2 200 milliards de F CFA [3,35 milliards d’euros]. Avec la loi de finance 2017, nous sommes à 3 360 milliards de F CFA, soit plus de 1 100 milliards en seulement quatre ans d’exercice !

C’est un gros effort. Sur la même période, nous avons mobilisé plus de 5 100 milliards de F CFA auprès des bailleurs et des investisseurs internationaux, contre moins de 4 000 milliards sur les douze années précédentes. Ils nous font confiance, ce qui nous permet d’accélérer notre développement, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, des infrastructures routières et de l’électrification, qui atteindra les 60 % de taux de couverture en 2017.

Sans oublier la modernisation de notre agriculture, qui nous permettra par exemple de produire l’intégralité du riz que nous consommons en 2017. Maintenant, tous les défis ne peuvent être relevés en un laps de temps aussi court, d’autant que nous partons de loin. La question de l’emploi, par exemple, demeure notre grande priorité. »

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… et ses habitants aussi

« Je crois pouvoir être fier de notre politique d’inclusion sociale et de développement du capital humain, notamment avec le programme national de bourses destinées aux familles les plus démunies, de l’ordre de 30 milliards de F CFA pris sur le budget de la présidence de la République. Elles sont aujourd’hui 300 000 à en bénéficier. Il faut y associer la couverture maladie universelle et la carte d’égalité des chances, qui rendent gratuits les services médicaux pour les personnes vivant avec un handicap, pour les enfants de 0 à 5 ans et pour les personnes âgées dans le cadre du plan Sésame pour les plus de 60 ans. »

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Travailler pour l’émergence

« Le plus difficile est de faire évoluer les mentalités. Un certain nombre d’acteurs ne croient toujours pas aux vertus du travail. Je sais que c’est un combat de longue haleine. Je me heurte à des résistances réelles, y compris dans ma famille politique. Nous voulons rattraper notre retard et nous voulons l’émergence, il nous faut donc travailler plus que les autres. »

Le pétrole ? « Un levier plus qu’une rente »

« Je me réjouis évidemment des découvertes réalisées en 2015, notamment celle faite par la société écossaise Cairn Energy au large de Sangomar, en offshore profond. Nous avons des indices très intéressants qui font état de réserves relativement importantes, mais cela a besoin d’être confirmé. S’ouvre désormais la phase de développement, à l’issue de laquelle nous saurons avec certitude quel est le potentiel de ce gisement. Pour le gaz également, nous avons eu la chance de faire des découvertes dans le bloc de Saint-Louis et dans celui de Kaya.

Là, c’est Timis Corp qui était l’opérateur, mais il a très vite traité avec Kosmos Energy, une compagnie américaine. Kosmos est aujourd’hui en négociation avancée avec des majors pour la phase de développement, qui demandera de 4 milliards à 5 milliards de dollars d’investissement [de 3,8 milliards à 4,8 milliards d’euros environ], avant la mise en production. Si tout cela se confirme, cela changera évidemment le profil du pays et accélèrera son développement.

À condition de bien gérer ces ressources et de ne pas se reposer sur cette rente. Les hydrocarbures doivent nous servir de levier pour renforcer notre économie. Raison pour laquelle j’ai mis en place un comité d’orientation stratégique qui aura pour vocation de conseiller le président de la République et le gouvernement. Par ailleurs, nous réserverons au moins un tiers des revenus éventuels aux générations futures en alimentant un fonds souverain. »

Le cas Aliou Sall

« Je ne mêle jamais ma famille à la gestion du pays. Si mon frère a été amené à être cité dans des affaires de sociétés privées, c’est parce je lui avais justement indiqué très clairement, dès ma prise de fonctions, qu’il ne bénéficierait jamais de ma part d’un décret de nomination, notamment en raison de l’histoire récente du Sénégal [Wade père et fils] et parce que je ne voulais pas être accusé de népotisme. Je lui avais même conseillé, à l’époque, d’essayer de voir dans le privé.

Alors, lorsque plus tard il est venu me dire qu’il avait signé un contrat avec une compagnie qui fait de l’exploration pétrolière [Timis Corp], honnêtement, je ne voyais pas quel problème cela pouvait poser. Les médias ont pensé le contraire, et la polémique a enflé.

Je l’ai donc appelé pour lui dire que, compte tenu de la confusion entretenue, il fallait qu’il quitte cette société ou, du moins, qu’il ne travaille pas sur les activités de cette société au Sénégal. C’est injuste pour lui, mais c’est ainsi. Son frère est président et il doit en tenir compte. Idem en politique, puisqu’il a été élu maire de Guédiawaye : il est allé à la bataille tout seul, sans mon aide. Et il a gagné. »

Lors des précédentes élections législatives, en juillet 2012, la coalition Benno Bokk Yakaar avait remporté 120 sièges sur 150. © Mamadou Toure Behan/AFP

Lors des précédentes élections législatives, en juillet 2012, la coalition Benno Bokk Yakaar avait remporté 120 sièges sur 150. © Mamadou Toure Behan/AFP

Les législatives de juillet 2017

« J’ai reçu l’opposition, début décembre, pour discuter de ses préoccupations par rapport à un certain nombre de sujets liés au processus électoral. Ce dialogue politique a permis d’évacuer la majorité d’entre elles : ils voulaient une date d’élection, ce sera le 2 juillet 2017 ; ils voulaient que le processus d’enrôlement lié aux cartes d’identité biométriques soit simplifié, ce sera le cas. Il ne reste qu’un point ou deux où nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes, notamment sur la création d’une autorité d’organisation des élections.

Je pense que le Sénégal n’en a pas besoin et qu’il l’a prouvé à maintes reprises. C’est un pays qui a connu plusieurs alternances avec le même mode d’organisation des élections et un système totalement transparent. Quant aux résultats eux-mêmes, mes alliés et moi n’entendons pas faire moins bien qu’en 2012 [l’alliance présidentielle détient 120 sièges de députés sur 150]. »

Khalifa Sall, « libre de partir »

« Je suis un démocrate et un libéral, je n’exigerai jamais que quelqu’un me suive aveuglément. Donc s’il y a des gens au sein de notre coalition qui ne sont pas d’accord, ils sont libres de partir. Cela vaut aussi pour Khalifa Sall [le maire de Dakar]. Je n’ai aucun problème avec ça, seulement il faut assumer sa rupture. Je tends la main à tous les Sénégalais, de quelque bord qu’ils soient, pour nous accompagner.

J’entends travailler à l’élargissement de la coalition, qui, il faut le souligner, est la première au Sénégal à avoir duré aussi longtemps. Nous irons ensemble aux législatives puis, je l’espère, à la présidentielle de 2019. Mon principal opposant est ce qu’on appelle le “parti de la demande sociale”. Mon souci, ce n’est pas untel ou untel, c’est la satisfaction des besoins fondamentaux de mes concitoyens. »

Aliou Sall, le frère du président, a été élu maire de Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar. © Youri Lenquette

Aliou Sall, le frère du président, a été élu maire de Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar. © Youri Lenquette

Karim Wade ? « La justice s’est prononcée »

« Le Sénégal a adopté une politique rigoureuse, qui n’était pas évidente dans un pays africain, en mettant en place la déclaration de patrimoine pour ceux qui bénéficient d’un mandat et qui gèrent des deniers publics supérieurs à 2 millions de dollars. Nous avons réactivé la Cour des comptes, réformé la magistrature et le code des marchés publics. Nous avons également installé un certain nombre d’organes, dont l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption [Ofnac], doté de moyens suffisants pour pouvoir agir efficacement.

L’objectif n’est pas tant la répression que la pédagogie, pour que les gens comprennent que nous n’avons pas d’autre choix que de travailler dans le sens de la bonne gouvernance. Pour le reste, et notamment les affaires qui intéressent les médias [allusion à Karim Wade], la justice s’est prononcée. C’est ce qu’on appelle l’autorité de la chose jugée. Je n’ai aucun autre commentaire à formuler à ce sujet. »

Entre enracinement et ouverture

« Notre pays n’est pas conservateur, il a ses valeurs. Le président Léopold Sédar Senghor l’a théorisé au lendemain de l’indépendance : enracinement et ouverture. Il ne faut pas perdre notre identité, mais cela ne signifie pas que nous ne voulons pas évoluer, loin s’en faut. Cela se passe au Sénégal comme partout ailleurs dans le monde : les mentalités évoluent, les jeunes s’imprègnent d’autres cultures. L’essentiel est que cela s’effectue progressivement, sans heurts. »

Pour un islam modéré

« Le terrorisme est le fléau des temps modernes. L’Afrique paie un lourd tribut et se trouve aujourd’hui face à des situations de menaces asymétriques auxquelles elle n’était pas préparée. Nous devons faire une mise à niveau rapide, mais tout cela coûte très cher alors que d’autres urgences, sociales essentiellement, devraient accaparer notre attention et nos ressources. Il faut développer une coopération qui s’appuie sur la conviction que la sécurité de l’Afrique est intrinsèquement liée à la sécurité du monde. Tant que l’Afrique ne sera pas en sécurité, le monde ne sera pas en sécurité. L’autre enjeu, dont on parle moins alors qu’il est essentiel, c’est le discours doctrinal. Les musulmans eux-mêmes doivent prendre en charge cette question afin d’endiguer la propagande qui endoctrine des générations d’Africains mais aussi d’Européens. Nous voulons un islam modéré, qui prône la tolérance et la paix. Et nous devons donc, avec nos érudits, les imams, les oulémas, élaborer ce discours pour que personne ne soit tenté par une radicalisation qui ne tire son fondement d’aucun enseignement, et certainement pas de celui du Coran. »

Avec son homologue français, François Hollande, le 12 octobre 2012, à Dakar. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Avec son homologue français, François Hollande, le 12 octobre 2012, à Dakar. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

L’UA, le Maroc et la RASD

« Nous souhaitons apporter notre contribution à la gestion de l’UA. Nous avons donc présenté un candidat pour le poste de président de la Commission, le professeur Abdoulaye Bathily. Un homme politique reconnu et d’expérience, historien, et qui, je le précise, n’est pas de mon parti. Nous soutenons le retour du Maroc au sein de l’UA, c’est une chose naturelle et normale. Personne ne refuse, par principe, que le Maroc revienne. Ce qui peut poser problème, en revanche, c’est le sort de la République arabe sahraouie démocratique [RASD]. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas besoin d’attiser des clivages au sein de l’Afrique. Nous avons tellement d’urgences et tellement de batailles à mener ensemble pour le développement de notre continent que nous devons éviter la division. »

« Nous soutenons la CPI »

« Le Sénégal a été le premier État au monde à ratifier le traité de Rome. Nous soutenons donc la CPI, parce que nous pensons que la justice pénale internationale doit être renforcée pour lutter contre l’impunité. Mais si des revendications ou des critiques sont exprimées, il faut qu’elle en tienne compte. Nous pourrons ainsi engager un débat avec les pays qui ont l’intention de la quitter, sur des bases saines et sereines. »

Surprises gambiennes

« Après vingt-deux ans, le peuple gambien a décidé de changer de régime politique. Comme tout le monde, nous avons d’abord été très surpris par les résultats. Dès leur proclamation officielle par la commission électorale, j’ai adressé un message au président élu, Adama Barrow, l’informant de notre disponibilité à poursuivre le travail que nous avions entamé avec Yahya Jammeh, et même de notre volonté d’aller plus loin. Maintenant, nouvelle surprise, la situation a radicalement changé et Yahya Jammeh est revenu sur son engagement. Il doit évidemment revenir à la raison et céder la place au président élu. C’est la mission qui incombe à la Cedeao, qui privilégiera jusqu’au bout la voie du dialogue. »

En Europe, « la montée des peurs »

« Les victoires de Donald Trump à la présidence des États-Unis et de François Fillon à la primaire de la droite en France posent la question du décalage entre les médias – ou certaines élites – et le peuple. Donald Trump a gagné, dont acte. Quant à François Fillon, attendons l’issue de l’élection présidentielle de 2017 pour en tirer des conclusions. Je note néanmoins la montée des peurs en Europe, notamment devant la vague migratoire. L’Europe doit comprendre qu’elle ne peut pas vivre en autarcie et se replier sur elle-même. Notre rôle est de l’aider à aborder ces questions en respectant le principe des droits des migrants légaux – qui sont en Europe depuis très longtemps – et en ayant une politique responsable par rapport à l’immigration clandestine. »

Dakar et Paris, main dans la main

« Entre la France et le Sénégal, deux pays amis dont l’un a colonisé l’autre, c’est une histoire longue et particulière. Au-delà des régimes en place, que ce soit à Paris ou à Dakar, l’amitié franco-sénégalaise est une réalité. Et je suis très heureux de pouvoir honorer l’invitation de François Hollande [prévue le 19 décembre], notamment pour renforcer notre coopération, dans l’intérêt de nos deux nations. Un exemple : le train express régional que nous allons mettre en place, le premier en Afrique subsaharienne en dehors de l’Afrique du Sud, sera réalisé pour l’essentiel par des entreprises françaises et profitera aux populations sénégalaises. Il y a tant d’autres projets à mener ensemble. »

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