Sécurité : N’Djamena bunkérisée

Contrôles routiers, fouilles à l’entrée des lieux publics, barbelés autour des administrations… Un an et demi après les attentats qui l’ont frappée, la capitale tchadienne reste en état d’alerte.

Des policiers et des militaires patrouillent dans les rues de N’Djamena, le 15 juin 2015, au Tchad. © Brahim Adji / AFP

Des policiers et des militaires patrouillent dans les rues de N’Djamena, le 15 juin 2015, au Tchad. © Brahim Adji / AFP

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Publié le 30 décembre 2016 Lecture : 4 minutes.

La place de la Nation à N’Djamena. © Abdoulaye Barry pour JA
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Pétrole et terrorisme : double choc pour le Tchad

Le pays est confronté à la fois à une crise financière sans précédent et aux attaques de Boko Haram. Idriss Déby Itno est contraint d’entamer son cinquième mandat sous le signe de l’austérité. Et de convaincre qu’il n’a pas d’autre choix.

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Des hélicoptères militaires survolent la ville en permanence. Régulièrement, les Rafale français décollent de l’aéroport situé au cœur même de la capitale. Les avions de chasse vont et viennent dans un vacarme assourdissant, à faire trembler les façades des hôtels mitoyens. De temps en temps, on entend le grésillement des drones qui volent dans le ciel bleu. N’Djamena vit au rythme d’une guerre contre le terrorisme, dont l’épicentre se situe à quelques kilomètres seulement des frontières du pays, de l’autre côté du fleuve Chari et du lac Tchad.

L’opération Gama Aiki, lancée en juin et menée conjointement par les armées de la force multinationale mixte (Tchad, Cameroun, Niger, Nigeria et Bénin), épaulées par les troupes françaises de Barkhane, fait rage dans le nord du Nigeria. Maiduguri, le fief de Boko Haram, n’est qu’à 200 km de N’Djamena, et, depuis que la secte islamiste sévit dans la région, 12 attentats terroristes ont frappé le territoire tchadien, provoquant la mort de 177 personnes.

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Un lourd bilan

L’an dernier, par trois fois, les fous de Dieu venus du Nigeria voisin ont frappé le cœur même de N’Djamena : le 15 juin 2015, deux jours avant le début du ramadan, une double attaque-suicide contre le commissariat central et l’école de police a fait 38 morts, dont 4 kamikazes, et une centaine de blessés ; le 29 juin, dans le quartier Ndjari, 5 autres « illuminés », selon l’expression d’Idriss Déby Itno (IDI), se sont fait exploser, entraînant dans la mort 5 policiers et l’un de leurs informateurs ; le 11 juillet, devant la porte sud du marché central, un kamikaze déguisé en femme et portant la burqa actionnait sa ceinture d’explosifs. Bilan : encore une quinzaine de morts et plus de 80 blessés. Le chef de l’État avait alors juré que ces crimes « ne resteraient pas impunis » et que les auteurs répondraient de leurs actes.

Un imposant dispositif

« Depuis, plus de 11 000 policiers, dont 4 000 à 5 000 rien qu’à N’Djamena, ont été mobilisés sur tout le territoire pour déjouer les attaques terroristes, précise Ahmat Mahamat Bachir, le ministre de la Sécurité publique. Nous avons renforcé et mieux armé l’unité spéciale antiterroriste, composée de 120 hommes, ainsi que le reste du groupe d’intervention rapide [3 000 membres]. » En effet, force est de constater que les avenues de la capitale sont désormais truffées de dispositifs de contrôle policier, au grand dam de certains habitants, qui déplorent les abus et la perte de temps engendrés. Le commissariat central a été « bunkérisé » et, devant son entrée principale, les contrôles sont particulièrement stricts.

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Ministères, principaux bâtiments administratifs et grands hôtels se sont barricadés. Au Novotel La Tchadienne, qui offrait autrefois l’une des plus belles vues sur le fleuve, les clients se baignent désormais face à un mur de béton. Devant le moindre restaurant, des militaires ou des vigiles montent la garde. « C’est nouveau pour les Tchadiens. Autrefois, tout était ouvert, on avait tendance à laisser la clef sur la porte, il n’y avait pas tous ces agents de sécurité… C’est difficile de s’y faire », confie Adam, un habitué de l’hôtel-restaurant La Résidence.

« Même si l’on n’est jamais à l’abri de rien, N’Djamena est peut-être aujourd’hui l’une des villes les plus sûres du monde. Nous avons pris les mesures qu’il fallait pour réprimer durement ce phénomène qui gangrène toute l’humanité, et les résultats sont là », se réjouit le ministre de la Justice, Hamid Mahamat Dahalob.

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Des sanctions dissuasives

Après l’adoption d’une loi portant répression des actes de terrorisme, le 5 août 2015, celle de la réforme du code pénal, le 12 décembre dernier, abroge la peine de mort sauf pour les cas de terrorisme . Selon le ministère de la Justice, à la suite des attaques de 2015 dans la capitale, plusieurs attentats ont été déjoués et 340 personnes ont été interpellées et inculpées. Parmi elles, 10 ont été condamnées à mort et exécutées, dont le Nigérian Bana Fanaye, chef exécutif de Boko Haram au Tchad.

La plupart des autres sont incarcérées à Koro-Toro, dans la tristement célèbre prison d’isolement que certains surnomment « le bagne de Déby », en plein désert, dans le nord du pays. Reste qu’avec la crise financière et malgré les efforts de l’État pour assurer le paiement des salaires des fonctionnaires de police, les risques d’infiltration sont pris très au sérieux par le gouvernement et ses partenaires. La présence à peine dissimulée de soldats français dans les restaurants du centre-ville rappelle au passage que N’Djamena est aussi la base principale de l’opération Barkhane.

Cependant, preuve que la peur a peut-être changé de camp, les autorités constatent l’augmentation du nombre de Tchadiens enrôlés par la secte qui décident de quitter le jihad et de rendre les armes. Selon les chiffres donnés en novembre par le ministère de la Sécurité publique, 1 200 dissidents de Boko Haram, femmes et enfants compris, auraient déjà rejoint la légalité.

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