RD Congo : coup de pression sur Kinshasa
Le 12 décembre, les États-Unis et l’Union européenne ont annoncé de nouvelles sanctions économiques individuelles contre neuf responsables congolais. Par cette action coordonnée, les Occidentaux veulent inciter Joseph Kabila à organiser au plus vite l’élection présidentielle reportée. Décryptage d’un dispositif que le pouvoir juge « illégal » et « improductif ».
Qui sont les individus sanctionnés ?
Les sanctions européennes – les premières contre des responsables congolais en exercice – concernent des responsables (anciennement ou toujours en fonction) des services de sécurité : Célestin Kanyama, chef de la police de Kinshasa, Gabriel Amisi Kumba (alias Tango Four), commandant de la zone militaire qui englobe la capitale, ainsi que John Numbi, ancien numéro un de la police congolaise, soupçonné d’avoir commandité l’assassinat du militant des droits de l’homme Floribert Chebeya.
Le premier avait déjà été sanctionné par les États-Unis en juin, les deux autres en septembre. L’Union européenne complète le tableau avec Ilunga Kampete, chef de la Garde républicaine (GR), Ferdinand Ilunga Luyoyo, commandant de la Légion nationale d’intervention (brigade antiémeute), Roger Kibelisa, directeur du département de la sécurité intérieure de l’Agence de nationale de renseignement (ANR), et Delphin Kaimbi, numéro un du renseignement militaire.
Les États-Unis sont allés plus loin en sanctionnant également un des plus proches collaborateurs du président, le très craint Kalev Mutond, chef de l’ANR. En outre, ils ont visé pour la première fois un responsable politique : le vice-premier ministre chargé de l’Intérieur et de la Sécurité, Évariste Boshab. Universitaire, ancien secrétaire général du parti au pouvoir, ce « faucon » de la majorité s’est notamment dit favorable, par le passé, à une révision de la Constitution pour permettre au président de se maintenir au pouvoir.
Que leur est-il reproché ?
Pour l’UE, c’est essentiellement la répression des manifestations de septembre qui justifie ces sanctions. Celle-ci avait causé au moins 56 morts selon Human Rights Watch (32 selon les autorités). À l’époque, les manifestants réclamaient le départ du président Kabila au terme de son deuxième et ultime mandat constitutionnel, le 19 décembre.
Les États-Unis reprochent à Évariste Boshab et à Kalev Mutond des « actes ou politiques qui nuisent au processus démocratique ». Le vice-premier ministre avait déposé un projet de loi électorale, en janvier 2015, qui rendait obligatoire un recensement de la population avant le scrutin présidentiel. Cela faisait craindre, déjà à l’époque, un report de l’élection. Ce texte avait provoqué des manifestations (27 morts selon le bilan officiel), avant d’être retiré sous la pression. On reproche également à Boshab d’avoir tenté de corrompre des parlementaires et intimidé des fonctionnaires. Kalev Mutond est pour sa part accusé d’avoir procédé à des arrestations extrajudiciaires.
Pourquoi maintenant ?
Cela faisait des semaines que Bruxelles comme Washington laissaient filtrer leur intention de procéder à de nouvelles sanctions contre les responsables congolais. Néanmoins, le moment de l’annonce a surpris. Elle est intervenue avant le 19 décembre, alors qu’on attendait les réactions occidentales après cette date clé. En outre, ces mesures ont été prises, contrairement à l’avis de certains diplomates, à la veille de la reprise des négociations de la dernière chance entre pouvoir et opposition, sous l’égide du clergé catholique.
Les Occidentaux sont passés outre les précautions en matière de calendrier : ils veulent accentuer la pression sur le pouvoir pour qu’il organise la présidentielle au plus vite. C’est également un avertissement aux services de sécurité, destiné à éviter toute répression en cas de nouvelles manifestations, le 19 décembre et au-delà.
Mais Kinshasa y voit une tout autre intention. « C’est très mal venu, à l’heure où les discours démagogiques de l’opposition risquent d’entraîner des problèmes sécuritaires, proteste Barnabé Kikaya Bin Karubi, conseiller diplomatique du chef de l’État. C’est une invitation au désordre, à l’instabilité, voire au démembrement du pays. »
Quel a été le rôle de l’Angola et du Congo-Brazzaville ?
Dans son communiqué, l’UE distingue ces deux pays et salue leur « rôle constructif » dans cette crise. « Ce sont eux qui ont su convaincre le pouvoir congolais d’accepter la médiation du clergé catholique et des négociations plus inclusives avec l’opposition », explique une source européenne à Kinshasa.
Quelles conséquences pour les personnes concernées ?
Sur le papier, les sanctions de l’Europe apparaissent plus restrictives que celles des États-Unis puisque, outre le gel des avoirs, elles incluent une interdiction de pénétrer sur le territoire de l’UE. La plupart des responsables congolais ont, d’ailleurs, plus d’intérêts à Bruxelles ou à Paris qu’à Washington ou à New York. Jusqu’alors, les Européens semblaient plus conciliants que les Américains. Ainsi, après avoir été sanctionné par Washington, en juin, Célestin Kanyama avait réclamé – et obtenu –, le 2 juillet, un visa Schengen. Il vient d’en perdre le bénéfice.
Même si les sanctions américaines n’affectent pas la liberté de déplacement, leur effet est bien supérieur au seul gel des avoirs aux États-Unis : elles sont assorties d’une interdiction à toute entité nationale de commercer avec les individus sanctionnés. Voilà qui rend, de fait, très difficile tout déplacement aux États-Unis. Mieux : cela revient à interdire toute transaction en dollars, y compris entre comptes logés dans des banques congolaises.
Les opérations libellées dans cette devise transitent en effet par des chambres de compensation situées sur le territoire américain. Rappelons que, pour avoir fait des affaires en dollars avec des entités placées sur la même liste de sanctions établie par Washington, la banque française BNP Paribas avait dû payer une amende record de 8,9 milliards de dollars en 2015. Dès lors, peu d’établissements bancaires occidentaux – et même africains – prennent le risque de continuer à servir des clients sanctionnés. L’économie congolaise étant par ailleurs fortement dollarisée, cette mesure va nettement leur compliquer la vie.
Y a-t-il des précédents ?
Oui. Des centaines d’Africains apparaissent déjà sur les listes des sanctions américaines ou européennes. Mais la plupart d’entre eux sont des membres de groupes terroristes ou rebelles, ou bien des hommes d’affaires ou des politiques accusés de malversations. Le Guinéen Moussa Dadis Camara et le Libyen Mouammar Kadhafi avaient été pris pour cible quelques semaines avant leur chute.
Mais il existe d’autres responsables en poste sous le coup de sanctions, notamment dans l’appareil sécuritaire burundais. C’est aussi le cas du président zimbabwéen, Robert Mugabe, et ce depuis 2002. Dans ces deux cas, les régimes ont réussi à se maintenir, mais ils ne sont jamais parvenus à s’extraire de la crise, notamment économique.
Des recours sont-ils possibles ?
Oui, mais avec peu de chances d’aboutir. Dans un premier temps, le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, a annoncé un recours devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Mais les bases juridiques d’une telle démarche paraissent faibles, et le rapport de force politique plus encore. Londres, Paris et Washington, qui ont validé ces sanctions, font partie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, avec droit de veto…
L’Union européenne accorde certes aux individus sanctionnés un délai jusqu’au 1er octobre 2017 pour déposer un recours. Certains ont, par le passé, obtenu temporairement gain de cause par cette voie. Ce fut notamment le cas des Tunisiens Sakhr el Materi, Slim Chiboub et Belhassen Trabelsi, trois membres influents de la famille du président tunisien déchu Zine el-Abidine Ben Ali. Cependant, l’UE n’a pas tardé à prendre d’autres mesures avec un nouvel argumentaire. Ces trois personnes sont toujours sous le coup de ces sanctions.
De nouvelles sanctions frapperont-elles des responsables congolais ?
Difficile à prévoir. Pour les Occidentaux, cette vague de mesures est un avertissement adressé aux plus hauts responsables, qui, assurent-ils, pourraient également être visés si aucune solution politique n’est trouvée. « C’est la première étape d’une réponse graduée », explique-t-on à Bruxelles. Néanmoins, des preuves assez solides sont nécessaires pour justifier ce dispositif.
Aux États-Unis, c’est vraisemblablement la dernière salve de sanctions tirée par l’administration de Barack Obama. La position de Donald Trump vis-à-vis de Kinshasa reste largement inconnue. Or, jusqu’à maintenant, c’est bien Washington qui a joué le rôle de leader dans ce dossier.
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