Cinéma : Wùlu, un film de truands intelligent

Vendu comme un « Scarface africain », Wùlu, thriller léché du réalisateur franco-malien Daouda Coulibaly, lève le voile sur certains vices des sociétés ouest-africaines.

L’actrice et chanteuse Inna Modja avec l’acteur Ibrahim Koma, en 2016, à Angoulême (France). © yohan bonnet/AFP

L’actrice et chanteuse Inna Modja avec l’acteur Ibrahim Koma, en 2016, à Angoulême (France). © yohan bonnet/AFP

leo_pajon

Publié le 22 décembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Le film Wùlu s’ouvre sur une scène très banale. Ladji, un rabatteur pour minibus Sotrama à Bamako explique les secrets du métier à un collègue : privilégier les filles minces, éviter les passagers qui ont des gros derrières, les handicapés et les vieux qui font perdre du temps. Le rêve du jeune homme ? Devenir chauffeur et échapper enfin à la misère. Mais ses espoirs sont brisés quelques plans plus loin : c’est un nouveau venu, le neveu du patron, qui prend place derrière le volant.

Dégoûté, Ladji plonge dans la criminalité. Il sera bien transporteur… mais de poudre blanche. Avec ce début d’intrigue, le réalisateur Daouda Coulibaly s’inscrit dans la lignée de Scarface et autres thrillers contant l’ascension de petits malfrats. Mais il dénonce aussi le népotisme à l’œuvre au Mali.

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Jeune Bamakois en quête d’une vie décente 

La fable sanglante de Wùlu (« chien », en bambara) se lit ainsi toujours à plusieurs niveaux. C’est d’abord l’histoire très crédible d’un African gangster qui reprend tous les codes du film de genre transposés sur le continent. Le héros, interprété par le très convaincant acteur franco-malien Ibrahim Koma, est comme il se doit un jeune homme pauvre et ambitieux qui veut échapper à sa condition. Un garçon condamné aux petits boulots, dans lequel une grande partie de la jeunesse africaine peut se retrouver.

Son aventure se déroule dans une grande ville, certes sans gratte-ciel, Bamako, mais tout de même une jungle urbaine où très riches et très pauvres se côtoient. Son élévation dans la pègre locale se mesure à ce qu’il peut s’offrir : meubles, véhicules de luxe… et même petite amie, femme trophée qui passerait presque pour un bien de consommation parmi d’autres. Les fins de Ladji, mener une vie décente, être enfin respecté, justifient les moyens… même s’il faut, pour réussir, appuyer sur la gâchette.

Drogue, corruption et grâce 

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Très nerveux, alternant moments de grâce contemplatifs et brutalité extrême, le long-métrage produit par Astou Films, basé au Sénégal, dépeint surtout les turpitudes d’une société gangrenée par la vénalité, plombée par la précarité et l’injustice sociale. C’est une génération sacrifiée qu’on devine derrière Ladji. Malin, honnête, le jeune homme est condamné à jouer les dealers pour échapper à sa condition misérable, tandis que sa grande sœur (la chanteuse et actrice Inna Modja) se prostitue pour survivre.

Un général de l’armée qui accepte de se faire graisser la patte, un patron français qui pilote en sous-main le trafic de drogue, laissent entrevoir un système corrompu au plus haut niveau. Le long-métrage se permet d’ailleurs un clin d’œil à l’affaire Air Cocaïne : cet avion retrouvé calciné dans le désert de la région de Gao, dans le nord-est du Mali. Transportant à son bord 6 tonnes de drogue, le Boeing assurait le trafic entre Amérique du Sud et Europe… Grâce à des complicités au sommet de l’État malien et à l’appui de notables occidentaux.

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Haletant, juste dans ses critiques, Wùlu est également une réussite d’un point de vue artistique. D’une grande maîtrise formelle, il s’écarte des standards de films « pour festivals de toubabs qui tirent plus du côté de l’esthétisme que du divertissement », comme nous l’expliquait son producteur, Éric Névé. Reste à espérer que ce film de truands intelligent qui s’appuie sur un budget conséquent (2,5 millions d’euros) ouvrira la voie à d’autres productions du même type.

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