Tchad : Makaïla Nguebla, un blogueur en exil

Ce blogueur tchadien a été expulsé de deux pays d’Afrique. Réfugié en France, il continue à écrire et à lutter pour les droits dans son pays d’origine.

L’opposant tchadien, Makaïla Nguebla, est suivi par plus de 6 400 personnes sur Twitter, 4 300 sur Facebook. © Choupas Cyrille pour JA

L’opposant tchadien, Makaïla Nguebla, est suivi par plus de 6 400 personnes sur Twitter, 4 300 sur Facebook. © Choupas Cyrille pour JA

Publié le 5 janvier 2017 Lecture : 4 minutes.

Un petit café à deux pas de la gare de l’Est, à Paris, son zinc, ses steaks à cheval du midi et sa clientèle mêlant travailleurs du quartier et voyageurs en transit. C’est là, dans cet établissement sans prétention, au fond de la salle, que l’on rencontre l’un des opposants politiques et médiatiques tchadiens les plus suivis. Caché derrière son écran d’ordinateur, Makaïla Nguebla carbure au café (avec deux sucres), reçoit les journalistes et écrit ses trois à quatre posts de blog quotidiens. Son engagement, ce militant qui s’apprête à fêter ses 46 ans le paie au prix fort : il vit loin de son pays d’origine depuis dix-huit ans.

On pourrait presque dire que l’exil est dans son ADN. À 9 ans déjà, il est obligé de fuir avec sa famille au Cameroun, durant la guerre de N’Djamena (1979-1980). En 1998, il part à nouveau, mais pour étudier l’administration commerciale à Tunis. Makaïla Nguebla est alors un jeune homme sans histoires, fils d’un chef coutumier du quartier de Bololo, à N’Djamena. Mais, au sortir de ses études, il commence à envoyer des courriers à Jeune Afrique, publiés dans la rubrique du « Courrier des lecteurs ».

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Des sujets dérangeants

Dès son premier billet (il en enverra une vingtaine entre 2000 et 2005), il s’attire les foudres de l’ambassadeur du Tchad en Algérie et en Tunisie. « J’ai critiqué le processus d’attribution de bourses d’études réservées aux grandes familles tchadiennes et aux enfants des grands dignitaires du régime. Ça m’a valu un coup de fil de l’ambassadeur, explique-t‑il. Après ce premier billet, j’ai continué à écrire. Et à me radicaliser. »

Sous le prétexte qu’il mène des activités politiques avec un visa d’étudiant, la Tunisie de Ben Ali décide de l’expulser en 2005. Une sanction qui porte le sceau de N’Djamena, Makaïla en est persuadé. Grâce à la mobilisation de la Ligue des droits de l’homme, il réussit en tout cas à ne pas être renvoyé vers le Tchad. Les autorités tunisiennes lui laissent le choix du pays de destination, à condition qu’il reste en Afrique. Ce sera Dakar. Pourquoi ?

« À l’époque, le Sénégal avait un vrai standing démocratique. L’élection ­d’Abdoulaye Wade avait donné de ­l’espoir aux jeunes Africains, et j’estimais pouvoir y bénéficier d’une certaine ­protection. » Son arrivée au Sénégal coïncide avec son épanouissement d’activiste : il devient correspondant pour deux médias tchadiens et finit même par créer son blog en 2007. Son objectif est alors double : dénoncer la situation des droits de l’homme et de la liberté de la presse au Tchad tout en s’assurant une autonomie éditoriale.

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Expulsion

Sa situation se gâte après son ­apparition en 2013 dans l’émission Perspectives sur la radio sénégalaise Sud FM. « J’ai dit que la communauté africaine ne devrait pas s’appuyer sur l’armée du Tchad dans sa lutte contre le terrorisme au Mali, car cette armée n’est pas démocratique. » Une remarque qui ne plaît pas en haut lieu. Le 7 mai 2013, il est convoqué à la Direction de la surveillance du territoire (DST) du Sénégal.

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Puis c’est direction le commissariat… et finalement l’aéroport. À minuit, moins de vingt-quatre heures après sa convocation, et sans avoir jamais vu un avocat, il est expulsé… cette fois vers Conakry. Makaïla avait heureusement eu le réflexe de prévenir Reporters sans frontières (RSF) et des blogueurs de sa convocation à la DST, qui grâce à leur mobilisation lui ont évité d’être renvoyé à N’Djamena.

Difficile là encore de ne pas deviner la main du Tchad, puisque cela survient au lendemain de l’arrestation à N’Djamena de députés, de journalistes et de généraux, le pouvoir tchadien annonçant avoir déjoué une conspiration contre le président. Après un mois et demi à Conakry, Makaïla est finalement accueilli en France, le 14 juillet 2013. Tout un symbole.

Son arrivée dans l’Hexagone et l’obtention du statut de réfugié n’ont pas fait fléchir son activisme. Il continue d’alimenter tous les jours son blog, sans oublier les réseaux sociaux : « Au Tchad, mon blog est censuré, donc beaucoup de mes lecteurs ne peuvent lire mes informations que sur Facebook ou Twitter. En plus, mes e-mails ont déjà été piratés, donc nombre de mes sources préfèrent me contacter par les réseaux sociaux, ou WhatsApp, pour me transmettre des informations. » Sa vie d’expatrié, plus facile qu’auparavant, reste néanmoins une vie de lutte.

« Mon combat politique, c’est un engagement, je dois l’assumer. » Quitte à sacrifier une partie de sa vie amoureuse. Quand il était au Sénégal, une femme lui a même expliqué qu’elle ne voulait pas s’engager avec lui car son combat était trop dangereux. Makaïla est donc célibataire, et vit seul en banlieue parisienne. Ses revenus sont modestes et proviennent principalement de conférences qu’il donne dans les lycées français, en association avec le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information, afin de sensibiliser les élèves à la liberté d’expression.

Il espère toujours pouvoir rentrer un jour au Tchad. Mais, tant qu’Idriss Déby Itno sera au pouvoir, on pourra le retrouver poursuivant son combat, d’article en article, dans son petit café à deux pas de la gare de l’Est.

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