Bande dessinée : quand l’auteur devient personnage

Karim Miské signe, avec le dessinateur Antoine Silvestri, “S’appartenir”, une adaptation en BD de “N’appartenir”, son livre coup de gueule contre les assignations identitaires.

S’appartenir est une adaptation en BD de « N’appartenir », le livre de Karim Miské. © DR

S’appartenir est une adaptation en BD de « N’appartenir », le livre de Karim Miské. © DR

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Publié le 4 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

Une exposition consacrée à Tintin au centre Georges Pompidou à Paris en décembre 2009. © JACQUES BRINON/AP/SIPA
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BD : dessine-moi le monde

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«Au commencement, il y a la honte. » Ainsi s’ouvre S’appartenir, roman graphique de Karim Miské et Antoine Silvestri. Cette honte tient en un mot : bâtard. Prononcé par le grand-père – blanc – du petit Karim, il cingle comme « un uppercut venimeux, comme une morsure de vipère », écrit Miské, fils d’un diplomate mauritanien et d’une assistante sociale française. « Dans ce mot s’exprime quelque chose de profond et d’immonde, le pus non évacué d’une vieille France qui, à force d’être ignorée, s’est surinfectée. » C’est le point de départ d’un questionnement sur l’appartenance, nourri de voyages, intérieurs et géographiques, transcendé par une plume viscérale et un dessin inventif. S’appartenir est une œuvre qui se lit et se regarde. Conjuguant sens et esthétique, c’est un bon et beau livre.

On avait quitté Karim Miské l’année dernière avec N’appartenir, livre coup de gueule contre les assignations identitaires. Lui qui refuse de se laisser enfermer dans des cases, se retrouve dans… celles d’une bande dessinée ! Il ne s’agit pas d’un roman illustré mais d’une mise en images d’Antoine Silvestri, qui a travaillé à la manière d’un réalisateur de film. « C’est le texte de Karim, mais c’est ma BD, affirme le dessinateur français d’origine italo-autrichienne. La réalisation a pris six mois. Avant, il y a eu six mois de travail où j’ai étudié N’appartenir. Je suis resté au maximum fidèle au texte mais, parfois, j’ai demandé à Karim de le retravailler. Il reste à peu près 80 % de l’original. »

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Rôles

« Ce ne sont pas des images littérales, confirme Karim Miské. Ce n’est pas un regard qui ferme l’imaginaire. C’est un autre support à l’imaginaire. C’est un re-création, une ré-interprétation par Antoine de mon texte. C’était important que S’appartenir ait son identité propre. »

Un travail en commun qui a nécessité une collaboration étroite et une répartition des rôles précise : « Je ne suis pas directement intervenu dans la partie graphique, ça ne pouvait être que celle d’Antoine. Il y avait beaucoup de discussions avant de se lancer, Antoine me posait plein de de questions. Un texte peut susciter pas mal d’interprétations. Parfois il me parlait de ce qu’il allait faire, parfois pas. En général, il tombait juste. Ça s’est fait de manière assez fluide et toujours à partir de propositions d’Antoine. »

Avant la collaboration artistique, il y a une histoire humaine : « Nous nous sommes rencontrés lors d’une soirée entre amis, confie Silvestri. Karim m’a demandé quel genre de dessins je faisais. Quinze jours après, il m’a téléphoné en me disant qu’il avait cette idée de réécriture en BD de son texte, et ça m’a tout de suite séduit… grâce à des affinités d’expériences que je ne soupçonnais absolument pas au départ. Je me suis reconnu dans son rapport à l’identité, à la politique, à la musique ou tout simplement à la sensibilité. Cela a beaucoup facilité mon travail. »

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Apaiser la colère

En résulte un objet de création qui n’est ni tout à fait le même ni tout à fait un autre par rapport à l’original, pour paraphraser Verlaine. Un dédoublement qu’a vécu Miské en se voyant en images : « C’est drôle de devenir un personnage de BD ! C’était à la fois ressemblant, et il y avait aussi un parti pris graphique qui m’a permis de me distancier. Ça en fait un personnage de BD à part entière. »

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Un autre regard sur lui mais aussi sur son propre texte : « Le simple fait de collaborer pour en faire une adaptation introduit un autre angle. Je l’ai regardé d’un autre endroit, je l’ai davantage objectivé. Cela en a fait un autre texte. Pour dessiner, il faut préciser les idées. Cela m’a en quelque sorte donné une vision plus claire de ce que j’avais écrit. ». Et Karim Miské de résumer la fonction cathartique de S’appartenir : « Cela contribue à apaiser ma colère. »

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