Les mille et une vies de Joséphine Baker en bande dessinée

Le duo d’auteurs Catel & Bocquet livre un récit graphique très documenté contant les mille et une vies de la star noire Joséphine Baker.

Joséphine Baker, de Catel & Bocquet, Casterman, coll. « Écritures », 568 pages, 26,95 euros.

Joséphine Baker, de Catel & Bocquet, Casterman, coll. « Écritures », 568 pages, 26,95 euros.

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Publié le 4 janvier 2017 Lecture : 4 minutes.

Une exposition consacrée à Tintin au centre Georges Pompidou à Paris en décembre 2009. © JACQUES BRINON/AP/SIPA
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BD : dessine-moi le monde

Célébré dans une expo parisienne, le créateur de Tintin suscite toujours la polémique alors même que ses héritiers émancipés proposent une approche bien moins caricaturale de l’actualité contemporaine.

Sommaire

Février 1936. Joséphine Baker, au sommet de sa gloire, fait un retour remarqué aux États-Unis. Son spectacle, pour les Ziegfeld Follies, dont les chorégraphies ont été réglées par Balanchine et les chansons par Ira Gershwin, se produit à New York au Winter Garden Theater. On l’y voit faire un numéro intitulé « La Conga », en fait une reprise de la célèbre « Danse sauvage » où la vedette porte son emblématique ceinture de bananes. Tout Broadway est intrigué par cette beauté « exotique » à la gestuelle aussi sensuelle que comique, qui roule aussi bien des yeux que des hanches.

Pour quelques semaines, le temps de son séjour, le cabaret Le Mirage prend même son nom le soir et devient « Chez Joséphine ». Des figurines de verre la représentant sont disposées sur chacune des tables, et un admirateur lui offre un adorable petit cochon blanc qu’elle promène partout et emmènera plus tard avec elle en France. Mais chaque nuit, après avoir enflammé le night-club de minuit à trois heures du matin, Joséphine rejoint la suite de son hôtel de luxe… en passant par la porte de service.

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La bande dessinée biographique de la dessinatrice Catel Muller et du scénariste José-Louis Bocquet raconte cet épisode, parmi une foultitude d’autres, en 568 pages compactes. L’on voit Giuseppe di Abatino, dit Pepito, amant et tourneur de la star, lui demander de se satisfaire de cette situation. « Je n’y peux rien si tu viens d’un pays d’arriérés où les Noirs sont considérés comme des chiens ! » s’impatiente-t-il. Et la danseuse, fâchée de rentrer aux États-Unis, comme à l’hôtel, « par la porte de service », de répliquer : « Tu te contentes de peu. »

Ces quelques cases résument bien la personnalité frondeuse et le destin extraordinaire de la première femme noire devenue star internationale, au milieu des années 1920. « Cela faisait longtemps que nous avions pour projet de raconter la vie de Joséphine Baker, explique Catel Muller. Comme la modèle Kiki de Montparnasse ou la femme de lettres et révolutionnaire Olympe de Gouges, auxquelles nous avons également consacré des biographies, elle forçait notre admiration parce qu’elle n’a pas arrêté de se battre pour s’octroyer des libertés, pour s’émanciper.

Peut-être Joséphine est-elle encore plus extraordinaire que les autres, car elle est née femme, pauvre et noire. Face à toutes ces barrières, elle a dû déployer une énergie incroyable pour forcer le destin ! »

Diva au grand cœur

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Catel avoue avoir longtemps hésité à se lancer dans l’aventure : « En tant que Blanche et Européenne, je ne me sentais pas vraiment légitime pour raconter son histoire », avoue-t-elle. Jusqu’à ce qu’un certain Jean-Claude Bouillon-Baker fasse appel à elle et à son camarade de BD pour raconter l’histoire de sa mère. « Beaucoup de gens nous demandent de nous pencher sur le destin de leurs parents, et au début je n’ai pas fait le rapprochement.

Jusqu’à ce qu’il nous explique qu’il était l’un des héritiers de Joséphine Baker ! » Fils adoptif de la diva du music-hall et du chef d’orchestre Jo Bouillon, auteur d’une biographie intime, Un Château sur la Lune (éditions Hors Collection), le sexagénaire leur a ouvert beaucoup de portes, au sens littéral de l’expression.

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Grâce à lui, Catel et Bocquet rencontrent six des douze enfants adoptés par la star. Ils se rendent dans les différents lieux qu’elle a habités, notamment au château des Milandes, dans le Périgord, un superbe édifice Renaissance où la vedette a élevé sa « tribu arc-en-ciel », ses fils et sa fille d’origines, de religions différentes. Le domaine est devenu depuis une quinzaine d’années un musée retraçant son parcours et sa vie, mais Jean-Claude Bouillon-Baker a pu leur donner accès à des salles d’ordinaire fermées au public, leur montrer son nom et ceux de ses frères et sœurs gravés sur les tours. Autant d’« indices » qui permettent au duo d’auteurs de donner corps à cette femme d’exception.

Le duo d’auteurs a complété son travail de recherche en se rendant en repérage dans différents pays traversés par la globe-trotteuse : en Turquie, au Maroc, mais également aux États-Unis, à Saint-Louis, dans le Missouri, où elle est née. « On nous avait dit qu’il ne restait plus de traces de Joséphine, se rappelle Catel Muller, mais nous avons pu rencontrer ses petits-neveux. Nous avons aussi pu comprendre en voyant les belles demeures à l’européenne de la ville pourquoi elle, qui vivait dans des baraquements infestés de rats, était tant fascinée par les châteaux, et comment elle s’est forgé une image de la réussite liée à cette imagerie de princesse de conte de fées. »

Icône noire, Vénus « nègre »

Il faudra finalement trois ans de travail aux auteurs pour redonner vie au fabuleux destin de « la Baker ». Et l’ouvrage est tellement riche de rebondissements qu’on peine parfois à croire qu’il ne s’agit pas d’une fiction. « Joséphine a eu mille vies. Elle est passée de la pauvreté à la richesse, du glamour à l’humanisme, de la légèreté à l’engagement en militant contre les discriminations raciales, en s’engageant dans la Résistance française au péril de sa vie. Elle a rencontré tous les grands du XXe siècle, de De Gaulle à Martin Luther King, a eu une dizaine d’amants, dont Georges Simenon… »

Pour la dessinatrice, le contexte a joué en faveur de la jeune femme, qui arrive à Paris au moment où tous les artistes qui comptent s’y retrouvent, quand « l’art nègre », le jazz deviennent populaires.

Icône noire, Vénus « nègre », Joséphine Baker est très rapidement adoptée par l’intelligentsia artistique parisienne… Pour autant, comme le rappelle Catel, « cette négrophilie est a double tranchant ». Car l’avant-garde renvoie toujours la vedette à une sauvagerie animale, à un primitivisme d’autant plus absurde que cette « sauvageonne africaine », cette « Créole », cette « Tonkinoise » est née dans le Missouri ! Mais la star va déjouer une fois de plus les déterminismes. « Grâce à son humour, à son talent, elle réussit finalement à ne plus être vue uniquement comme une Noire, mais comme une artiste. »

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