L’Éthiopie, miracle ou mirage ?
Le pays, le plus performant d’Afrique depuis quinze ans, voit sa croissance ralentir.
Croissance : qu’avons nous fait de nos quinze glorieuses
L’effondrement des matières premières a douché l’enthousiasme qui faisait du continent la terre de toutes les opportunités. Face au pessimisme ambiant, Jeune Afrique dresse le bilan de quinze ans d’essor économique, identifiant les difficultés sans oublier les avancées.
Les performances économiques du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique attirent les investisseurs et impressionnent les économistes. La croissance annuelle moyenne du PIB au cours des douze dernières années dépasse 10 %, selon Addis-Abeba. Même le FMI, réputé sévère, a généralement prévu une croissance comprise entre 7 % et 9 % par an sur la période.
« Il n’y a pas beaucoup d’exemples historiques sur le continent », soutient Carlos Lopes, ex-secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), fervent défenseur du modèle économique éthiopien. Alors que depuis deux ans de nombreuses économies vacillent à travers le continent, plombées par la baisse des prix des matières premières, le pays, qui ne dépend pas de ressources naturelles, a solidement maintenu son cap, atteignant encore en 2015 un taux de croissance du PIB de 10,2 %.
Un modèle fragile
Mais, depuis quelques mois, il est entré dans une zone de fortes turbulences. En cause, une sécheresse, l’une des pires depuis plus d’une décennie, qui a fait resurgir le spectre de la famine sur quelque 10,2 millions de personnes. Surtout, le pays est en proie, depuis juillet, à de violents soulèvements populaires contre la mainmise de la coalition au pouvoir sur tous les appareils de l’État – aucun opposant ne siège au Parlement.
Une situation qui a conduit le FMI à revoir, dès le début de 2016, ses prévisions de croissance à la baisse : attendue initialement à 8,1 %, celle-ci ne devrait désormais se situer qu’à 4,5 %. Considéré jusqu’ici comme pouvant être un modèle pour le reste de l’Afrique subsaharienne, le pays est désormais présenté comme une parfaite illustration de la fragilité du décollage économique du continent.
L’industrie, un secteur porteur
Mais Carlos Lopes se veut optimiste : « Les Éthiopiens eux-mêmes sont arrivés à la conclusion qu’il fallait ouvrir leur système politique. Le gouvernement a dit qu’une partie de la société civile n’était pas représentée au Parlement à cause du système électoral. D’après eux, cela correspond environ à un quart de la population. »
Côté gouvernement, on minimise l’impact de la crise sur les performances économiques. On table sur une croissance comprise entre 7 % et 10 %, notamment à cause de la sécheresse. En 2015, l’agriculture, notamment les petits exploitants qui ont bénéficié de l’expansion des réseaux d’irrigation et des programmes gouvernementaux en faveur de meilleures pratiques agricoles, a contribué pour un quart à la croissance de l’économie.
Mais, pour soutenir la création de richesse, c’est surtout sur l’industrie que mise le pays. Jusqu’ici, ce dernier secteur représente moins d’un tiers de la croissance. Mais il est celui qui croît le plus vite, avec une hausse de plus de 20 % par an au cours des cinq dernières années. De fait, pour les autorités, le secteur manufacturier est la clé de l’avenir. Le gouvernement investit massivement dans les infrastructures pour attirer les entreprises internationales (notamment chinoises) et adopte des politiques visant à réduire les formalités administratives. « Sur le continent, c’est le pays où l’investissement public est le plus élevé », confirme Carlos Lopes.
Misant sur le textile, l’Éthiopie veut devenir le premier exportateur africain devant Maurice en atteignant 1 milliard de dollars (environ 95,7 millions d’euros) de recettes par an, explique l’économiste. D’après lui, « le pays est en train de gagner des marchés au Bangladesh, au Vietnam, etc., parce qu’il construit des parcs industriels qui répondent aux nouvelles normes environnementales et au code de travail auxquels ces pays ont pour l’instant du mal à s’adapter. » Cela lui permettrait-il d’entrer définitivement dans l’ère de l’industrialisation ? Le pari est encore loin d’être gagné.
Suite à la publication de cet article, nous avons reçu la précision suivante d’un de nos lecteurs :
« La décision du FMI d’abaisser de moitié ses prévisions initiales de croissance pour l’Éthiopie pour 2016, à la suite de la pire sécheresse que le pays ait connue en 2015, a conduit Jeune Afrique à se demander si la croissance économique de ce pays dont on parle beaucoup depuis quelques années ne serait pas illusoire. Certes, le FMI avait abaissé au début de 2016 ses prévisions initiales de 8,1 % à 4,5 %. Toutefois, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu’au mois de septembre 2016 il a revu fortement à la hausse ses prévisions de croissance. Le taux de croissance pour 2016 n’est donc pas, selon le FMI, de 4,5 %, comme vous l’affirmez dans cet article, mais de 6,5 %. »
Tseggaï Mebrahtu, Paris, France
Réponse : Les dernières prévisions du FMI tablent en effet sur un taux de croissance de 6,5% en 2016. Nous présentons toutes nos excuses à nos lecteurs pour cette erreur qui ne remet pas en question l’analyse de l’article.
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