Tunisie : les cent jours d’Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France à Tunis

Cent jours après sa prise de fonctions, le nouvel ambassadeur de France à Tunis se sent comme chez lui dans un pays qu’il connaissait déjà bien. Et où il entend laisser son empreinte.

Olivier Poivre d’Arvor, actuel ambassadeur de France en Tunisie, le 3 janvier 2017 à la résidence de l’ambassade de France à Tunis. © Ons Abid pour JA

Olivier Poivre d’Arvor, actuel ambassadeur de France en Tunisie, le 3 janvier 2017 à la résidence de l’ambassade de France à Tunis. © Ons Abid pour JA

Publié le 23 janvier 2017 Lecture : 7 minutes.

Le 12 décembre 2016, à l’occasion de la fête du Mouled – qui célèbre la naissance du Prophète –, il a décidé de se familiariser avec une coutume tunisienne : la préparation de l’assida, un entremets délicat mais certainement moins complexe que les relations diplomatiques qu’il doit gérer.

À son arrivée en Tunisie, le 10 septembre 2016, c’était loin d’être gagné pour Olivier Poivre d’Arvor, le nouvel ambassadeur de France. Sa désignation en juin avait suscité un certain scepticisme à Tunis, où certains s’attendaient à ce que Paris nomme un diplomate au profil plus politique, voire plus technique, compte tenu des enjeux.

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Un profil hors du commun

D’autres n’ont retenu que le passage d’une interview sur RTL, où l’ancien président du Musée national de la marine et ex-ambassadeur chargé de l’attractivité culturelle au Quai d’Orsay précisait que l’un des volets de sa mission était d’assurer la sécurité de ses compatriotes : « Il y a ici 30 000 ressortissants français. Il faut pouvoir les protéger, notamment dans un pays comme la Tunisie, dont on sait qu’il est fournisseur de jihadistes. »

Mais il déclarait aussi qu’« il y [avait] un enjeu démocratique. Si ce nouveau gouvernement tient le coup, c’est tout l’ensemble du Maghreb qui pourra aller vers des cieux favorables », et que sa principale tâche était d’entretenir les « relations incroyables » entre la France et la Tunisie.

Des termes inhabituels en diplomatie, qu’il employait à dessein pour souligner que « ce qui nous lie, c’est une histoire, des valeurs et des espoirs ». Ces propos reflétaient aussi l’impatience d’un ambassadeur frais émoulu qui prenait ses fonctions dans un pays où il cultive des amitiés depuis plus de trente ans.

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Communication et réseaux sociaux

Cent jours plus tard, Olivier Poivre d’Arvor n’a rien perdu de son enthousiasme et bénéficie désormais d’un préjugé favorable. Depuis son insolite arrivée en bateau, il s’est attaché à apporter une touche de modernité et de proximité à une diplomatie dont les codes sont perçus parfois comme désuets.

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L’ex-patron de France culture n’a pas oublié qu’il était un homme de médias et ne manque pas de « communiquer » à travers de nombreuses interventions radiophoniques ou via les réseaux sociaux. Celui qui a annoncé son arrivée avec Faïza, sa fille adoptive d’origine togolaise, partage ses activités sur sa page Facebook, interagit avec les internautes et séduit les Tunisiens par sa réactivité.

À un jeune homme qui avait escaladé l’horloge de l’avenue Bourguiba pour réclamer un concert des Peace N’Lovés, il a ainsi recommandé de s’adresser directement à lui sans prendre autant de risques et s’est engagé à faire venir le groupe de rap en 2017.

Dynamisme diplomatique

L’ambassadeur s’est forgé une image de diplomate atypique, ne s’affichant pas seulement aux côtés d’hommes politiques. Il assure être impressionné par la Tunisie, vivre « des émotions en décalé par rapport aux appréhensions et aux angoisses des Tunisiens », et interprète ce qui semble être une crise sévère comme « une transformation assez radicale et impressionnante. Les indicateurs économiques sont alarmants mais l’indicateur sociétal et démocratique est extrêmement favorable ».

« À chacun sa souveraineté », affirme aussi le représentant du premier partenaire économique de la Tunisie, lequel est tout aussi soucieux d’apposer son empreinte personnelle en étant « l’acteur d’une relation » et de la réussir « avec des actions quantifiables ». Il suit de près les projets lancés par son prédécesseur, François Gouyette, et apporte sa touche de francophone convaincu dans les réalisations à venir.

En coulisses, il a ainsi œuvré à l’accueil par la Tunisie du sommet marquant le cinquantenaire de la Francophonie, en 2020, une première pour un pays du Maghreb.

« Après le succès de la rencontre économique Tunisia 2020, il était important qu’un autre événement international entretienne la dynamique et donne de la visibilité au pays », explique Olivier Poivre d’Arvor, qui n’a d’ailleurs pas ménagé ses efforts pour que la participation française à Tunisia 2020 confirme les engagements de Paris vis-à-vis de Tunis, soit 1,2 milliard d’euros sur cinq ans sous forme de dons et de prêts, et 60 millions d’euros de dette reconvertis en projets de développement, dont la construction d’un premier hôpital à Gafsa, puis de huit autres établissements régionaux.

Assainir la diplomatie économique

Caressant l’espoir de porter le volume des échanges entre les deux pays en 2017 de 8 à 10 milliards d’euros et de voir Capgemini et Athos s’installer en Tunisie, Olivier Poivre d’Arvor décrypte les contrats signés par Peugeot, Safran et Airbus comme les signes d’un retour de la confiance : « Les entreprises sont rassurées par la gestion sécuritaire et une forme de stabilité politique, ainsi que par des dispositions législatives, comme la loi de finances 2017, mais aussi par un internet libre. Un pays est en marche avec des démocrates aux commandes de l’économie. »

Œuvrant à aplanir les contentieux d’Orange, d’Havas et de Total avec les autorités tunisiennes, cet écrivain et grand voyageur, qui estime que le numérique est un atout pour la Tunisie, fait de l’enseignement et de l’éducation des axes prioritaires, d’autant que la France va contribuer à la mise en place de formations diplômantes sur trois ans correspondant à des métiers demandés et à la création d’un institut franco-tunisien des technologies à Tunis.

Constatant que la Tunisie, dans un environnement préoccupé par le retour de la croissance et la création d’emplois, se tourne vers les marchés africains, Olivier Poivre d’Arvor met en avant l’utilité de « la francophonie, un réseau qui représente 200 millions de personnes ». Une manière pour ce défenseur de l’espace francophone de maintenir le français, en perte de vitesse en Tunisie, au rang de première langue étrangère en tant que vecteur pour « échanger et commercer ».

Promotion de la culture française

Il renoue ainsi avec sa passion, envisage l’ouverture d’un bureau de la francophonie à Tunis et promeut la culture comme un investissement. Il finalise en ce moment la réouverture de l’école française de Sfax, ainsi que d’un centre de langues, et soutient la création de l’Institut franco-sfaxien des métiers, une université franco-tunisienne.

Pour accompagner ce dispositif et assurer une meilleure diffusion de la culture française sur le territoire, Olivier Poivre d’Arvor, pour qui il faut « réinvestir les zones sensibles du pays, c’est-à-dire les imaginaires, les cœurs », a également lancé le réseau de l’Alliance française en Tunisie. Sous forme d’association de droit local, elle devrait installer des antennes à l’intérieur du pays, notamment à Nabeul et à Gafsa, et compléter l’action de l’Institut français de Tunisie (IFT) en promouvant l’apprentissage de la langue française.

Ce projet n’est pas le fruit du hasard ; il s’inscrit dans la perspective du vaste mouvement de décentralisation que doit opérer la Tunisie à partir des élections locales de 2017 et des élections générales de 2019.

L’admirateur de Vaclav Havel assure qu’il faut miser sur les régions : « Ce n’est pas une révolution pour rien, elle a conduit à un ordre nouveau, avec des institutions et des instances démocratiques. Les échéances de 2017 vont installer des interlocuteurs locaux et apporter une dynamique nouvelle. » En bon communicant, il suggère que la Tunisie crée un monument ou un espace symbolisant ce changement de cap et sa modernité.

VRP de la Tunisie, l’ambassadeur de France s’efforce de raconter à ses interlocuteurs à Paris « une histoire lisible qui les engage et leur donne envie de mettre des moyens. Elle est plus simple et plus optimiste que celle empreinte de tensions qui a prévalu pendant les années précédentes. Tous les pays oscillent comme des pendules, mais la Tunisie est sur un bon balancier, celui de l’accord de Carthage. »

Nourrissant une grande estime pour l’équipe conduite par le chef du gouvernement, Youssef Chahed, il n’en demeure pas moins persuadé qu’il faut donner encore plus de visibilité à un pays qui, « avec beaucoup de sagesse et de pudeur, a réussi à être en paix avec tout le monde et à offrir un modèle aux pays arabo-musulmans ».

Olivier Poivre d’Arvor ambitionne enfin d’instaurer une biennale de la photographie pour reprendre le flambeau des rencontres de Bamako et créer en Tunisie un rendez-vous mondial tourné vers le documentaire, en collaboration avec Visa pour l’image et le festival d’Arles, avec comme objectif d’attirer un million de visiteurs.

Dans l’immédiat, convaincu du rétablissement de la sécurité, il espère en toucher encore davantage en mars 2017 avec, sur l’ensemble de l’Hexagone, une campagne de promotion de la destination Tunisie soutenue par la France et la venue d’une importante délégation de journalistes français pour la réouverture de l’hôtel Imperial Marhaba, ciblé par une attaque terroriste en juin 2015.

Entre-temps, le représentant de la diplomatie française planchera sur un programme qu’il va soumettre au Quai d’Orsay pour préciser sa marge de manœuvre. « La Tunisie, je l’ai au cœur, assure Olivier Poivre d’Arvor, et au moment de partir je voudrais que l’on dise que j’y ai apporté une valeur ajoutée. »

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