France : Toumi Djaïdja, le passe-muraille des Minguettes

Initiateur de la Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983, Toumi Djaïdja, militant d’origine algérienne, s’est engagé auprès de mouvements islamiques, avant de revenir en grâce à la faveur d’un film.

Toumi Djaïdja veut continuer d’avancer sur le chemin de l’égalité… sans désespérer de ses semblables. © Yanis Ourabah

Toumi Djaïdja veut continuer d’avancer sur le chemin de l’égalité… sans désespérer de ses semblables. © Yanis Ourabah

Publié le 13 janvier 2017 Lecture : 4 minutes.

Il ne reste rien de la tignasse frisée de ses 20 ans. Le crâne est rasé de près, le regard fuyant derrière ses binocles, la barbe, poivre et sel… Toumi Djaïdja est un grand type embarrassé de sa personne, bien loin du leader charismatique propulsé il y a une trentaine d’années sous les flashs de la presse.

La nuit du 20 juin 1983 a scellé le destin de ce Franco-Algérien alors âgé de 19 ans. Cet épisode, il l’a raconté souvent, posant patiemment les éléments de décor (un quartier gris béton), les protagonistes (policiers et jeunes des Minguettes, son quartier de Lyon) et l’action (un énième affrontement). Sauf que, cette fois, la bagarre aurait viré au drame si Toumi Djaïdja ne s’était interposé pour protéger un gamin à terre. « Je revois ce policier me mettre en joue alors que je lui criais : “Je vous en supplie, ne faites pas ça”… et tirer ». Laissé mourant sur un lit d’hôpital, le jeune président de l’association SOS Avenir Minguettes s’en sort. Et, contre toute attente, il préfère la politique de la main tendue à celle du coup de poing.

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Une lutte personnelle transformée en mouvement national

L’adepte de la non-violence entend délivrer un message de paix et impose la Marche pour l’égalité et contre le racisme, que certains médias ont appelé à tort la Marche des beurs. Elle sillonnera toute la France de Marseille à Paris. Souvent en tête de cortège, Toumi Djaïdja sort de l’anonymat. Le militant est célébré en héros par une foule de 100 000 marcheurs scandant à l’unisson : « Bonjour à la France de toutes les couleurs ! »

Puis brusquement le grand symbole d’« une jeunesse issue de l’empire colonial » quitte la scène. Il décline l’invitation de SOS Racisme, comptant s’appuyer sur sa célébrité. Toumi Djaïdja accusera l’association à « la main jaune » d’avoir récupéré le mouvement et trahi l’esprit « de rassemblement de tout le peuple de France ».

Du « tous pareil » à l’engagement identitaire 

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Est-ce le constat des banlieues abandonnées qui le conduit à un repli communautaire ? Celles des politiques sociales avortées ? Dix ans après la marche, l’initiateur du « mouvement beur » cède aux mirages de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui entend répondre au malaise des banlieues. « Mon cheminement n’est pas religieux, et quand bien même ! Il est important de ne pas le voir sous ce prisme-là. Un journaliste m’a demandé : “vous êtes musulman ?” J’ai répliqué : “Et vous, vous êtes chrétien ?” Il m’a répondu : “Surprenant, votre réponse !” alors que c’était sa question qui était hors de propos. »

L’égalité reste un horizon à atteindre, un chantier permanent… »

Le temps passant, la Marche pour l’égalité et contre le racisme ainsi que sa figure de proue tombent dans l’oubli. Même les émeutes urbaines de 2005 ne raniment pas l’image du jeune meneur. Il faut attendre 2013 et la sortie du film La Marche, réalisé par Nabil Ben Yadir, pour que Toumi Djaïdja, resté fidèle à son combat, revienne sur le devant de la scène médiatique. « Quand il m’arrive de regarder en arrière, je vois que nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis la marche de 1983, estime aujourd’hui l’éternel militant. Mais l’égalité reste un horizon à atteindre, un chantier permanent… ».

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Une jeunesse marquée par l’immigration

Pour comprendre ce goût pour la lutte, cette soif de justice et d’égalité, il faut remonter le fil de l’histoire, bien avant cette nuit de 1983. Toumi Djaïdja est fils de harki. Au lendemain de l’indépendance, son père et sa mère, enceinte, fuient l’Algérie, rapatriés en urgence par la Croix-Rouge, laissant son frère jumeau au pays. C’est une vie d’errance qui s’annonce, les menant de cités de transit en foyers vétustes avant de s’enraciner dans la ZUP des Minguettes, où toute la famille sera enfin réunie.

À travers l’Hexagone, il y a une multitude de jeunes en mal de repères identitaires. « 

Secoué par une scolarité compliquée et par le harcèlement policier, c’est peut-être à l’adolescent qu’il a été qu’il s’adresse quand il dit aujourd’hui : « À travers l’Hexagone, il y a une multitude de jeunes en mal de repères identitaires. Je reste persuadé que si on avait mis en avant cette question de mémoire, on aurait évité les émeutes de 2005. » Cet habitué des médias a rodé son discours et alterne paroles d’apaisement et gestes polémiques. Comme son refus de rencontrer, en 2013, le ministre délégué à la Ville, François Lamy, afin de dénoncer l’absence de volonté politique pour lutter contre le mal-logement, l’exclusion, la paupérisation, la marginalisation.

Insaisissable, nourri d’idéaux de justice et d’égalité, le passe-muraille emporté dans la grande aventure des banlieues revient aujourd’hui à la charge. Plus de trente années après avoir provoqué le grand rassemblement métissé de 1983, il parraine un nouveau groupe de jeunes du quartier des Minguettes qui veut mettre en place une « marche de l’humanité » à travers la France.

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