Les socialistes européens en pleine débâcle

Depuis qu’ils ont cru bon d’imposer des mesures d’austérité pour juguler la crise, les sociaux-démocrates passent, aux yeux de leur électorat, pour des suppôts du capitalisme. Et perdent pied dans presque tous les pays de l’UE.

François Hollande à l’Élysée, le 12 janvier 2017. © Ian Langsdon/AP/SIPA

François Hollande à l’Élysée, le 12 janvier 2017. © Ian Langsdon/AP/SIPA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 12 janvier 2017 Lecture : 5 minutes.

Le socialisme est en crise. Ou plutôt sa forme contemporaine, la social-démocratie, littéralement K.-O. debout. Debout parce que, au sein de l’Europe des vingt-huit, elle semble faire bonne figure. Ses représentants dirigent en effet neuf gouvernements (Autriche, France, Italie, Malte, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Suède) et participent à six coalitions au côté de partis conservateurs (Allemagne, Estonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Slovénie).

Mais K.-O. parce qu’elle connaît défaite sur défaite. On est loin de son heure de gloire de la fin des années 1990, lorsqu’elle détenait douze gouvernements sur les quinze que comptait alors l’Union européenne (UE).

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L’Europe entière perd ses électeurs socialistes

Depuis 2012, le Parti socialiste français a perdu les élections municipales, sénatoriales, européennes et régionales. Les sondages lui prédisent une déculottée à la présidentielle et aux législatives de mai et juin 2017.

Les sociaux-démocrates ont été chassés du pouvoir en Grande-Bretagne (travaillistes), en Espagne (PSOE), en Grèce (Pasok) et au Danemark (SF). En Allemagne (SPD), ils avaient obtenu 40,9 % aux législatives de 1998. Leur score est tombé à 25 % en 2013, les contraignant à s’allier avec leurs adversaires conservateurs. En Grèce, le Pasok recueillait 44 % des voix en 2009. Il s’est effondré à 4,7 % en 2015.

Autrefois, tous les partis sociaux-démocrates partageaient les mêmes idéaux, sinon les mêmes politiques. Cette relative homogénéité a volé en éclats.

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Il n’y a plus grand-chose de commun entre les travaillistes britanniques de Jeremy Corbyn, qui se veulent « radicaux », et les socialistes autrichiens, qui gouvernent trois Länder avec le FPÖ (extrême droite). Peu de convergences, aussi, entre le SPD, qui soutient la politique d’accueil des réfugiés d’Angela Merkel, et le Premier ministre slovaque, Robert Fico, qui parle de surveiller chaque musulman parce que l’islam n’a pas, selon lui, « vocation à s’implanter en Europe ». 

Les lendemains sombres de la chute du communisme

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Pour expliquer ce déclin, il faut revenir aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Lors de son congrès de Bad Godesberg, en 1959, le SPD abandonne l’idéologie marxiste et les idéaux révolutionnaires. Dans son sillage, presque tous les partis socialistes européens se rallient à l’économie de marché et au réformisme. Ils ne parlent plus de collectiviser les moyens de production, mais de mieux en répartir les bénéfices et de gommer les inégalités sociales.

L’État providence est à la mode, tout comme le keynésianisme et les politiques budgétaires généreuses, qui soutiennent la demande. Ce cocktail d’interventionnisme et de libéralisme vaut aux socialistes de nombreux succès à la fin des années 1990.

L’impact de la mondialisation

À partir des années 2000, les idées libérales gagnent du terrain. L’UE développe sa politique de la concurrence et néglige sa politique sociale. La mondialisation favorise les exportations des pays émergents, qui mettent à mal l’industrie des pays développés et leurs emplois.Lorsque la crise, venue des États-Unis en 2008, se propage, tous les gouvernements voient dans l’austérité l’unique solution pour traverser la tempête et maîtriser les déficits. La croissance s’effondre, les taux de chômage dépassent les 10 % de la population active en Europe. La redistribution, qui était au cœur des politiques sociales-démocrates, devient impossible.

En se ralliant à des mesures d’austérité et en se lançant dans des réformes sociales, économiques et budgétaires, les sociaux-démocrates abandonnent leur rôle d’opposants au capitalisme et donnent l’impression d’avoir vendu leur âme au diable. Ils ne sont plus les porte-parole de « ceux d’en bas ». Pis, ils apparaissent comme les supplétifs de la finance internationale.

Sans parler du décalage entre leurs paroles et leurs actes… François Hollande, qui avait lancé en 2012 un tonitruant « Mon adversaire, c’est la finance ! », décide deux ans plus tard de favoriser les entreprises privées pour susciter des créations d’emplois. Ses partisans sont déboussolés. La distinction entre partis de gauche et partis de droite ne va plus de soi. Résultat, les électeurs se tournent vers les extrêmes de tous bords, qui dénoncent la faillite des élites.

Aux États-Unis, la même chanson

Le mouvement gagne les États-Unis. « Les partis de centre gauche ont perdu le vote des classes laborieuses, qui formaient leur base », expliquait le philosophe américain Michael Walzer dans Philosophie Magazine le 14 décembre dernier. « À Princeton, dans le New Jersey, l’une des villes les plus riches des États-Unis, Hillary [Clinton] a gagné par huit voix contre une. À Johnstown, en Pennsylvanie, une ville sidérurgique où les usines ont fermé et sont en train de rouiller, et qui fut un bastion démocrate, [Donald] Trump l’a emporté », poursuit-il, avant de conclure :

«Les hommes et les femmes qui pensent n’avoir aucune perspective [sur le plan économique] sont sensibles aux discours fondés sur le ressentiment, la peur et les discriminations. »

Fracture autour de l’immigration

La vague migratoire achève d’écarteler les socialistes entre leurs idéaux internationalistes et les réflexes xénophobes de leur base la plus défavorisée, qui vit l’arrivée des migrants comme l’un des symboles d’une mondialisation honnie.

La social-démocratie serait-elle faite seulement pour les temps calmes et les périodes de croissance ? Est-elle « un modèle vieillissant », comme l’affirmait en 2007 François Hollande, alors premier secrétaire du PS ? Sera-t-elle capable de changer afin de retrouver sa vigueur ? « Il ne s’agit pas d’une agonie, mais d’une refondation, répond Henri Weber, député socialiste européen. La social-démocratie est une force extraordinairement résiliente. Nous [le PS] avons 111 ans, et le SPD allemand en a 153 ».

Peu de solutions

Certes. Mais comment se transformer ? Les uns préconisent un virage à droite, à l’instar du Français Manuel Valls ou de l’Italien Matteo Renzi. Pour eux, il faut continuer à réduire les déficits et à simplifier la vie des entrepreneurs privés pour les inciter à créer des emplois. Bref, mener une politique de l’offre.

Les autres aspirent à un retour aux sources. Le Français Jean-Luc Mélenchon (fondateur du Front de gauche), l’Espagnol Pablo Iglesias (Podemos), le Grec Alexis Tsipras (Syriza), le Britannique Jeremy Corbyn (travaillistes) ou l’Américain Bernie Sanders (candidat à l’investiture démocrate) incarnent cette gauche dite « radicale », qui prône la fin de l’austérité, le protectionnisme et une aide accrue en faveur des plus démunis. Tous dénoncent l’aggravation des inégalités.

L’espoir grec tombé en lambeaux

Un seul de ces « radicaux » est parvenu au pouvoir, Alexis Tsipras. Or, le moins que l’on puisse dire est qu’il a poursuivi la politique de rigueur qu’exigeait la troïka européenne pour continuer à aider la Grèce ! Quant à Podemos, ses dirigeants se déchirent sur la question d’une éventuelle alliance avec les socialistes du vieux PSOE…

À l’évidence, la social-démocratie devra traverser un long purgatoire avant de trouver comment concilier idéaux et principe de réalité.

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