Tunisie : Mohamed Ben Attia, la mue du cinéphile

Avec son premier film, Hedi, salué lors du Festival de Berlin, le Tunisien Mohamed Ben Attia réussit un coup de maître.

Hedi, un vent de liberté, de Mohamed Ben Attia (sorti en France le 28 décembre)

Hedi, un vent de liberté, de Mohamed Ben Attia (sorti en France le 28 décembre)

Renaud de Rochebrune

Publié le 9 janvier 2017 Lecture : 5 minutes.

L e Tunisien Mohamed Ben Attia, qui vient tout juste de se lancer dans la réalisation, a reçu un accueil digne de celui qu’espèrent les plus chevronnés des réalisateurs. Sélectionné en compétition officielle au dernier Festival de Berlin, l’un des plus prestigieux de la planète, il a été désigné comme le meilleur premier film, et son acteur principal a obtenu l’Ours d’argent du meilleur acteur.

Hedi, un vent de liberté, a ainsi permis au cinéaste d’entrer d’emblée dans la cour des grands. Et le public a suivi. En Tunisie, où il a été programmé dans la plupart des quelque vingt salles encore en activité, 100 000 spectateurs – un score énorme pour le pays – ont apprécié cette histoire d’amour qui bouleverse, à la veille de son mariage, la vie d’un jeune vendeur de voitures jusque-là des plus dociles et réservés, alors même que la révolution en cours bouscule le cadre traditionnel dans lequel il vivait. Pour la France, où Hedi est actuellement sur les écrans dans plusieurs dizaines de salles, tout se présente bien en ce début d’année 2017 après des avant-premières bondées où l’accueil fut excellent.

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De quoi vous faire tourner la tête. Quand on rencontre Mohamed Ben Attia, on s’attend donc à voir un jeune cinéaste tout feu tout flamme, surfant sur la vague d’un succès peu banal pour un quasi-débutant. Erreur. On aurait dû penser que Hedi, le prénom du héros du film, signifie « calme » ou « serein ». Des adjectifs qui conviennent pour qualifier l’humeur très égale du cinéaste, dont le discours tranche avec celui de ses homologues africains, prompts à se plaindre, souvent à juste titre, de leurs difficultés pour financer leurs projets. Non, ce qui est arrivé, nous dit d’emblée un Ben Attia souriant et décontracté à l’allure d’intellectuel, n’est pas une si grande surprise pour lui. « Pour Hedi, tout depuis l’écriture du scénario jusqu’au montage financier et au tournage s’est toujours très, très bien passé », dit-il. Il s’attendait même à participer en mai dernier à une section parallèle du Festival de Cannes – la Quinzaine des réalisateurs se disait d’accord pour projeter Hedi – ou un peu avant à Berlin, mais pas vraiment à être retenu pour une compétition officielle si prisée. Mais comme Dora Bouchoucha, sa productrice, avec laquelle il s’entend à merveille depuis l’époque de son premier court-métrage, s’est occupée de tout sans qu’il le sache, « pour lui éviter tout stress », il n’a pas rencontré trop d’obstacles pour faire avancer les choses. Il a donc appris sa sélection à Berlin alors qu’il ne savait même pas qu’il était candidat. Et si, gage de considération s’il en est pour son travail, les frères Dardenne, deux fois Palme d’or à Cannes, ont accepté de coproduire Hedi, c’est parce que cette même productrice leur a envoyé le scénario, qui, tout simplement, leur a plu. Ce qui a permis à Ben Attia de bénéficier des conseils avisés de ces prestigieux aînés…

Courage

Depuis ses années lycée, le Tunisien a toujours été attiré par le cinéma, suivant les goûts de ses parents cinéphiles – mère au foyer, père chirurgien –, mais il n’a pas décidé pour autant de plonger dans l’univers du septième art durant sa jeunesse. S’il ne présente qu’aujourd’hui son premier long-métrage, peu après avoir fêté ses 40 ans, c’est qu’il a sagement écouté les conseils de son entourage, pour lequel, quand on obtient son bac avec mention, on « ne gâche pas son avenir avec des formations incertaines »… Il avoue avoir sans doute manqué de confiance, voire de courage, en optant pour des études supérieures de commerce et de finance qui l’ont amené à travailler pendant douze ans pour Renault Tunisie. Où il était encore en poste il y a quatre ans, avec à l’esprit une question lancinante : « Suis-je simplement cinéphile ou puis-je devenir cinéaste ? » Mais il avait quand même à moitié franchi le pas en réalisant sans moyens les courts-métrages qui lui ont permis de rencontrer sa future productrice et des professionnels du grand écran, notamment lors d’un atelier d’écriture.

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Comme le héros de Hedi, qui travaille sans ardeur dans une concession automobile tout en cultivant son jardin secret en réalisant une bande dessinée, il a donc préparé de longue date une reconversion. Et un jour, sans doute stimulé par l’ambiance de la révolution tunisienne, il a sauté le pas. Doublement. En décidant de se consacrer au cinéma, mais aussi de devenir entrepreneur, avec l’appui de sa femme et de sa mère, en ouvrant… un restaurant familial. Un lieu dont il s’occupe toujours – il adore cuisiner – quand sa nouvelle vie de cinéaste le lui permet. « Il est d’usage de dire que vingt ans est le plus bel âge de la vie. Pour moi, ce n’est pas le cas, confie-t-il. C’est la trentaine venue que j’ai vraiment commencé à apprécier l’existence et à me libérer. »

Pour toujours ? Son deuxième long-métrage, dont la première version est déjà écrite, se passera encore en Tunisie et aura pour héros des gens simples. S’il se révèle aussi réussi que le premier, l’auteur de Hedi n’aura jamais à regretter d’avoir fait le choix de la passion plutôt que celui d’une vie toute tracée.

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De la révolution politique à la révolution intime

Vivant à Kairouan dans une famille étouffante entre une mère autoritaire et un grand frère qui croit savoir ce qui est bien pour son cadet, Hedi s’apprête à se marier avec Khedija, celle que l’on a choisie pour lui. C’est alors que ce vendeur d’automobiles peu disert rencontre la séduisante Rim, animatrice d’un club de vacances. Un coup de foudre qui va imposer à notre antihéros l’apprentissage de la liberté. Un film à la forme très maîtrisée – impossible d’imaginer qu’il s’agit du premier long-métrage du réalisateur – qui met en parallèle, et avec une grande subtilité, révolution politique (tout se passe après le départ de Ben Ali) et révolution intime. Avec dans les rôles principaux deux excellents acteurs, le remarquable Madj Mastoura, tout en retenue dans ce rôle de composition, et l’exubérante Rym Ben Messaoud, qui crève l’écran.

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