Israël : jusqu’où ira le « Bibigate » ?
Empêtré dans une série d’affaires de corruption, le chef du gouvernement israélien pourrait finir par être inculpé. Et contraint à la démission. Comme en rêvent à haute voix ses adversaires.
Mars 2014. Au Parlement israélien, le bloc de centre gauche, où siègent plusieurs figures du gouvernement, présente un texte visant à briser le monopole du quotidien Israel Hayom (« Israël aujourd’hui »). Seule publication à être gratuite, distribuée massivement et soutenue à fonds perdu par le milliardaire juif américain Sheldon Adelson, l’un des plus fidèles admirateurs de Benyamin Netanyahou, le journal fait la part belle au Premier ministre israélien. La presse locale, asphyxiée économiquement, comprend qu’elle est en danger de mort. La gauche, qui redoute une dérive antidémocratique, se mobilise.
En décembre de la même année, quelques jours avant le vote de la loi, Noni Mozes, redoutable patron du quotidien Yediot Aharonot, est convoqué par Netanyahou. Pendant des années, Mozes fut lui aussi accusé de monopole. Et pour cause : il a livré une guerre sans merci, parfois déloyale, aux autres journaux du pays, allant jusqu’à soudoyer des distributeurs pour faire disparaître des kiosques ses concurrents. Netanyahou ne l’apprécie guère et le soupçonne même de chercher à l’évincer du pouvoir. Avant de recevoir Mozes, le Premier ministre ordonne à son chef de cabinet, Ari Harow, d’enregistrer la conversation.
Manigances avec les médias
Le 8 janvier dernier, la deuxième chaîne de télévision israélienne dévoile le contenu de cet entretien de plusieurs heures. Il se résume à un compromettant marchandage : moyennant une couverture favorable de sa personne dans le Yediot Aharonot, Netanyahou consentirait à rendre payant « son » quotidien, Israel Hayom, tout en supprimant le supplément du week-end, qui plombe les bénéfices de Noni Mozes. Cet enregistrement aurait été déposé sur le bureau du procureur de l’État, Shai Nitzan, au printemps 2016. Il a été livré par la police à l’issue d’une perquisition au domicile d’Ari Harow – à la suite de soupçons de fraude fiscale – qui a permis la saisie de son ordinateur portable et d’un téléphone.
Le 6 janvier au matin, lorsque les enquêteurs avaient fait irruption dans la résidence de Netanyahou pour la seconde fois en l’espace d’une semaine, ils lui avaient présenté une série d’extraits audio. « Si nous parvenons à nous entendre, je ferai en sorte que vous restiez le plus longtemps possible au pouvoir. Je vous le dis dans les yeux de la manière la plus franche possible », entendait-on dans l’un des enregistrements, où résonnait la voix de Noni Mozes. Aux dires des policiers de l’unité 433 – l’équivalent du FBI – venus l’interroger, le chef du gouvernement aurait été « déstabilisé ». « L’affaire 2000 » vient d’éclater au grand jour et elle pourrait bien pousser l’inoxydable « Bibi » à la démission. Les proches du procureur général, Avichai Mandelbit, laissent entendre qu’une inculpation pour corruption est envisageable. Celle-ci pourrait intervenir dans les prochaines semaines.
Visé par douze affaires judiciaires en vingt ans, sans jamais être inculpé.
Des affaires éclatent
Si de nombreuses zones d’ombre subsistent – certains éléments de l’enquête étant toujours gardés secrets –, il est clair que Netanyahou s’est laissé prendre à son propre jeu. Le pacte avec Noni Mozes est finalement resté lettre morte et la « loi Israel Hayom » a été approuvée par les députés. Furieux du soutien des ministres de l’opposition à ce texte – notamment les centristes Yair Lapid et Tzipi Livni, qu’il a limogés –, se sentant trahi, le chef du gouvernement annonce la dissolution de sa coalition et la tenue de nouvelles élections anticipées, qu’il remportera haut la main le 17 mars 2015. Depuis ce scrutin, « Bibi » règne sans partage à la tête d’une coalition d’ultradroite.
Incapable de le battre dans les urnes, la gauche mise sur un faux pas du Premier ministre pour prendre la relève. Coïncidence ? Pas une semaine ne passe sans qu’éclatent au grand jour de nouvelles révélations fracassantes à son sujet. Les partisans de Netanyahou dénoncent une stratégie délibérée de « guerre d’usure juridique », allègrement relayée par des médias de plus en plus hostiles au chef du gouvernement. Sauf qu’au cours de ses vingt dernières années de carrière politique « Bibi » a été visé par douze affaires judiciaires sans être jamais inculpé. « Si chaque personne faisant l’objet d’une enquête devait démissionner, cela pourrait devenir une arme politique pour détruire ses adversaires », note Ayelet Shaked, ministre israélienne de la Justice, elle aussi épinglée par l’opposition depuis qu’elle œuvre à limiter les prérogatives des juges de la Cour suprême, ultime garde-fou de la démocratie israélienne.
Les cigares de la discorde
Netanyahou, lui, affiche une confiance à toute épreuve. « Je sais de quoi il est question et je peux vous l’assurer, rien ne se passera, car il n’y a rien », lance-t-il aux caméras le 9 janvier, en marge du Conseil des ministres. Pourtant, l’étau se resserre de plus en plus autour du chef du Likoud. Au début du mois, c’est un autre scandale, baptisé « l’affaire 1000 », qui l’éclabousse. Il concerne des « cadeaux » généreusement offerts par des hommes d’affaires proches du clan Netanyahou, dont des liqueurs et des cigares pour une valeur estimée à plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Son principal fournisseur se nomme Arnon Milchan, richissime producteur de Hollywood, qui détient par ailleurs des parts dans la dixième chaîne de télévision israélienne. Proche de l’establishment de l’État hébreu, l’intéressé est également connu pour avoir servi d’intermédiaire lors de la signature de juteux contrats d’armement. Milchan a été auditionné par la police sans que celle-ci puisse établir la contrepartie des faveurs octroyées à Netanyahou. « Toute personne raisonnable comprend que si un ami, un ami proche, vous offre des cigares comme cadeau, il n’y a rien de répréhensible », rétorque Yaakov Weinroth, l’avocat du Premier ministre, comme pour doucher les espoirs de ses détracteurs.
Reste que les « casseroles » de son client s’accumulent. Le nom de James Packer, un milliardaire australien, apparaît à son tour dans « l’affaire 1000 ». Il aurait financé plusieurs voyages de Netanyahou et de son fils, Yaïr, notamment en mettant à leur disposition son jet privé. En septembre 2015, le père et le fils auraient ainsi voyagé à New York, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, avant de rejoindre la suite de Packer dans un somptueux hôtel du quartier de Greenwich Village. L’homme d’affaires australien, fiancé à l’époque à la chanteuse Mariah Carey, aurait offert à Sara Netanyahou, l’épouse du Premier ministre, des dizaines de places VIP pour le concert de sa dulcinée à Tel-Aviv. Sept d’entre elles ont été remises à Yossi Cohen, actuel patron du Mossad.
Conflits d’intérêts
« Ça suffit ! Levez-vous et démissionnez ! » s’emporte le Haaretz, dont la rédaction, véritable bête noire de « Bibi » depuis son retour au pouvoir en 2009, rêve de lui donner l’estocade. À l’évidence, les conflits d’intérêts n’émeuvent pas outre mesure le chef du gouvernement. En novembre 2016, la presse révélait que l’avocat David Shimron, l’un des confidents de Netanyahou, avait négocié l’achat de trois sous-marins pour la marine de guerre israélienne. Le contrat, d’une valeur de 1,2 milliard d’euros, a été conclu avec le constructeur allemand ThyssenKrupp, alors que Shimron siège au sein du conseil d’administration de l’une de ses filiales.
Dans un autre registre, ce sont les liens de Netanyahou avec l’escroc français Arnaud Mimran qui ont récemment défrayé la chronique. L’un des principaux instigateurs de l’arnaque à la taxe carbone (CO2) avait transféré plusieurs dizaines de milliers de dollars sur le compte personnel du Premier ministre. Acculé par les affaires au moment où l’investiture de Donald Trump pourrait lui redonner un bol d’air sur la scène internationale, Benyamin Netanyahou passe le plus clair de son temps à tenter de laver son nom et sa réputation. Et s’est révélé finalement être son pire ennemi.
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