Sindika Dokolo : « Les prochains oligarques seront africains »
Art contemporain, José Eduardo dos Santos et sa fille, Joseph Kabila et Moïse Katumbi, Sonangol… Loin d’esquiver les questions délicates, le collectionneur Sindika Dokolo répond sans tabou à Jeune Afrique.
Dix-sept mai 2016, à l’hôtel du Cap-Eden-Roc. Ce soir-là, en marge du Festival de Cannes, le joaillier des stars De Grisogono présente un diamant hors norme : le « 404 », évalué à 16 millions d’euros. Cette pierre est la plus importante jamais extraite du sous-sol angolais. L’heureux propriétaire ne se cache pas : il s’agit du Congolais Sindika Dokolo, codétenteur de la maison suisse avec l’État angolais. Son épouse, Isabel dos Santos, la femme la plus riche d’Afrique et la fille du président José Eduardo dos Santos, est aussi de la partie. Parmi les invités, Kim Kardashian et des top-modèles.
Affaires et relations internationales, luxe et people, politique et arts… Le jet-setteur est au carrefour de tous ces univers. Mais c’est dans le petit monde de l’art africain que le dandy est le plus connu : il soutient l’art contemporain, revendique le titre de premier collectionneur du continent et a entrepris de rapatrier les œuvres pillées pendant la guerre civile angolaise.
Identité métissée
D’Isabel dos Santos, épousée sous les ors du palais présidentiel de Luanda en 2002, il a trois enfants. Mais Sindika Dokolo n’est ni « le mari de », ni un nouveau riche. À 29 ans, en 2001, il a hérité de son père, Augustin Dokolo Sanu. Ce patriarche mukongo avait édifié l’un des plus vastes empires économiques du Zaïre de Mobutu, avec pour fleuron la Banque de Kinshasa. À son côté, la mère de Sindika, Hanne Kruse, une Danoise épousée en 1968. Elle est aujourd’hui consule générale honoraire à l’ambassade de Norvège à Kinshasa, d’où elle surveille les affaires de la famille en RD Congo.
Sindika Dokolo grandit entre l’Afrique et l’Europe – il fréquente l’ultrasélect lycée parisien Saint-Louis-de-Gonzague – et se lie avec la future élite politique de RD Congo, dont Olivier Kamitatu. « Augustin Dokolo m’avait pris en affection et il m’a demandé de collaborer avec son fils, se souvient Kamitatu. Je le considère aujourd’hui comme un frère. » À la fin des années 1990, Mobutu sanctionne Augustin Dokolo, devenu trop puissant à son goût, et dépèce son empire. « Dokolo Sanu ne se sera jamais remis de cette spoliation organisée », note le site internet de la famille. Sindika se replie en Angola. Désormais membre du clan présidentiel, il prospère et étend ses affaires jusqu’en Europe.
Aujourd’hui plus que jamais, Sindika Dokolo est au cœur de l’actualité alors que la RD Congo est plongée dans une crise marquée par la rivalité entre le président Joseph Kabila et l’opposant Moïse Katumbi. Et que dos Santos n’a pas renoncé à exercer son influence sur Kinshasa.
Cet homme à la fois cultivé, intelligent et ambitieux nous a reçus à Londres à notre demande et, dans le français mâtiné d’anglais des élites mondialisées, a répondu à toutes nos questions, sans conseiller et sur un ton souvent iconoclaste. « J’ai une responsabilité liée à l’interprétation qui peut être donnée de mes propos, a-t-il souligné. Mais, en tant qu’homme de culture, je cultive ma liberté de ton. »
Jeune Afrique : Votre père était un homme d’affaires et un collectionneur d’art. Est-ce que vous vous placez dans la continuité de son travail ?
Sindika Dokolo : Mon père avait le feu créatif. Il se levait à 4 heures du matin pour se rendre sur les chantiers, il réfléchissait tout le temps, pensait, se projetait. Son parcours, assez unique en RD Congo, n’est pas suffisamment célébré : il a été le premier Africain à fonder une banque, c’était l’architecte d’une vision africaine dans le domaine des affaires comme dans sa vie. Son engagement dans l’art était lié à cette vision, et j’en suis l’héritier. Cela m’inspire dans la manière dont je considère ma responsabilité sociale, mes intérêts économiques, mes projets.
Vous œuvrez pour la reconnaissance des artistes africains. Il semble qu’elle soit devenue effective ces dernières années…
Au niveau africain, c’est un champ en friche. Sur le plan des infrastructures, de l’accès du public à la création, du marché, des institutions, c’est-à-dire de tout ce qui doit former le socle d’un marché de l’art structuré, les fondations comme la mienne ne sont que des cas isolés. Et puis les Africains eux-mêmes méconnaissent grandement leur patrimoine. Il y a un énorme travail à faire pour réhabiliter le continent dans le fil de l’histoire de l’art. Pourtant, la découverte de l’art classique africain a été le grand déclencheur de la modernité.
Votre passion pour l’art, c’est votre père qui vous l’a transmise ?
Oui, et aussi l’un de ses meilleurs amis, un grand collectionneur belge qui se cachait un peu pour des raisons fiscales… J’ai eu la chance qu’il m’accepte certains week-ends dans la maison où il vivait seul avec son chien, une espèce de musée de curiosités avec des œuvres précolombiennes et africaines. J’ai compris grâce à lui à quel point l’art classique africain apportait quelque chose qui n’avait jamais été proposé avant, avec une acuité et une intensité inégalées. Aujourd’hui, le grand défi de l’art africain contemporain, c’est de parvenir à faire le lien et d’assumer le rôle de dépositaire de ce phénomène exceptionnel qu’a été l’art classique. Pas seulement par rapport à ce qu’il a produit, mais aussi par rapport à la place de l’art dans la société, à la manière dont on définit les artistes et les œuvres, à la façon dont on vit l’art.
D’où votre volonté de récupérer les œuvres d’art classiques situées hors du continent ?
Même si le débat est légitime, ce n’est pas la présence de chefs-d’œuvre dans des collections européennes qui a motivé ma démarche. Il y a en Angola, à Dundo, un musée qui faisait référence en matière de culture tchokwé. Au moment du difficile accès de l’Angola à l’indépendance, il a été pillé, souvent par des Portugais qui travaillaient sur place. Je pense notamment à deux statues de Tshibinda Ilunga, le héros fondateur de la civilisation tchokwé, qui valent peut-être 15 à 20 millions de dollars [14 à 19 millions d’euros] aujourd’hui. Je pense aussi au masque mwana pwo que j’ai récupéré dans une foire de Maastricht, où l’on en demandait 600 000 euros. Quand j’ai visité le musée de Dundo avec le marchand Didier Claes, je n’ai pas vu les quelque trente masques qui devraient s’y trouver. Pourquoi un musée parfaitement réhabilité et sécurisé ne recevrait-il aucun chef-d’œuvre ?
L’Afrique a besoin de jeunes gens inspirés qui envisagent l’avenir avec appétit. »
C’est pourquoi vous êtes parti à la chasse aux œuvres volées…
Si mon action dans la culture doit servir à une meilleure affirmation de soi, à une exigence de dignité, il est important de ne pas détourner le regard. Cela renvoie à des questions de patrimoine universelles, que l’on parle de la frise du Parthénon ou des biens dont les Juifs furent spoliés. Quitte à être caricaturé en membre de l’élite corrompue africaine, autant utiliser cette carte à bon escient. J’ai choisi une méthode assez radicale en disant aux marchands : « J’ai une armée d’avocats, j’ai les moyens financiers de faire de votre vie une misère, je peux vous faire passer pour les ennemis de l’Afrique, l’expression contemporaine de racistes de base… » Et, généralement, les gens qui aiment l’art africain, même s’ils n’ont jamais mis les pieds sur le continent, ne supportent pas l’idée d’être des pillards ou des racistes. J’ai aussi expliqué que ces œuvres devaient faire prendre conscience de son patrimoine au public africain.
Cela a marché ?
Quelques-uns ont essayé de résister, mais j’ai proposé de les indemniser à hauteur du coût d’achat. Finalement, je me suis bien entendu avec ceux qui ont accepté. Je crois que cela les a soulagés d’un poids, peut-être parce que je suis africain. Ainsi Philippe Ratton, qui est un grand marchand, et auquel j’ai acheté d’autres œuvres par la suite. Daniel Hourdé m’a informé qu’il détenait un siège tchokwé originaire de Dundo et qu’il souhaitait le rendre. Et nombre de gens, en Angola, m’ont dit vouloir consacrer de l’argent à cette démarche polémique, ce qui lui a donné un vrai impact dans le pays.
Quel est votre objectif ?
Constituer la plus belle collection d’art classique au monde. Face aux masques kwele gong du Quai-Branly ou du MET [Metropolitan Museum of Art, à New York], les miens leur mettent 10 à 0. Néanmoins, j’idolâtre un objet qui n’était pas le but de l’artiste : l’œuvre, c’est ce que les Anglais appellent « the masquerade », la performance, celle de l’artiste et la transe collective qui l’accompagne. Je suis dans l’erreur, mais j’essaie de me maintenir hors de ma zone de confort pour approfondir ces questions, certes périphériques, mais essentielles.
Seules les initiatives privées peuvent-elles être efficaces en matière d’art ?
Non, ce qu’il faut, c’est un catalyseur, et le secteur privé peut jouer ce rôle. En Angola, on n’aurait pas pu aller aussi loin sans le gouvernement.
Les hommes d’affaires du continent sont-ils assez impliqués ?
Les initiatives des Zinsou ou de certains Nigérians et Sud-Africains vont, je l’espère, en inspirer d’autres. Même des joueurs de foot commencent à collectionner, tel Peguy Luyindula. Didier Claes est le marchand numéro un, moi, je suis le collectionneur numéro un en art contemporain, et il y a de plus en plus de commissaires d’expos…
Qu’est-ce qu’une collection selon vous ?
Une collection d’art contemporain doit coller aux mutations du continent et représenter une sorte d’électrocardiogramme de l’époque.
En affaires, l’exemple de votre père reste-t-il le modèle essentiel ?
Oui, il avait cette force que j’ai rencontrée chez quelques autres personnes. Chez ma femme, qui est un vrai génie créateur, un feu qui ne s’éteint jamais. Chez l’homme d’affaires Moïse Katumbi, qui voit tous les défis en termes de possibles, jamais de danger, et qui n’a pas besoin de se rassurer à travers le regard des autres. Si vous abandonnez ce genre de personnes sur une île déserte et revenez trois ans plus tard, elles auront construit quelque chose d’incroyable avec les moyens du bord. Je ne revendique pas cette qualité, mais cela situe mon niveau d’exigence pour essayer d’être un bâtisseur et de changer l’environnement. L’Afrique a besoin de jeunes gens inspirés qui envisagent l’avenir avec appétit.
Moïse Katumbi en fait-il partie ?
Oui. Il a commencé en portant des cartons dans la chambre froide de son frère. C’est quelqu’un de vrai, qui a le sens de la terre et des réalités. Il a ce côté sain qui consiste à mettre une brique sur une autre pour monter un mur bien aligné. Il a réussi à le transposer dans son engagement politique. Je ne suis pas katangais, je n’ai pas vécu au Katanga, mais je l’ai visité avant et après, et je sais que l’on a plus de chances de gagner au loto que de développer une province par hasard…
Vous qui avez vécu la fin du règne de Mobutu Sese Seko, voyez-vous des parallèles avec la situation actuelle ?
Le seul que je vois, c’est que beaucoup d’acteurs de l’époque sont toujours là. Et je doute qu’ils restent dans l’Histoire comme les grands architectes du développement du pays.
Quelle opinion avez-vous sur le président Kabila, dont le dernier mandat, selon la Constitution, aurait dû se terminer le 19 décembre ?
Joseph Kabila a marqué son époque : il a rétabli la paix, mis en place la croissance, redonné une forme d’autorité à l’État, et il a tendu la main à ses adversaires. Je peux comprendre qu’aux yeux de ses partisans il soit le meilleur des présidents de l’histoire du pays. Mais le respect de la Constitution est important. Vu les tragédies qu’a connues ce pays, il est primordial de la protéger et de l’appliquer. L’accord politique survenu en fin d’année laisse espérer un plus grand respect de ces principes.
Vous rend-il optimiste ?
Je connais trop la politique congolaise pour l’être totalement… Je le suis raisonnablement.
La crise du pétrole en Angola est bénéfique. Elle a mis au jour les défauts du modèle. »
Le retrait, fin décembre, des troupes angolaises de RD Congo était-il une manière de pousser les responsables congolais à signer cet accord ?
Si l’Angola n’était pas intervenu dès 1997, il n’y aurait plus de famille politique kabiliste au pouvoir. Alors, même si ce retrait ne concernait pas un contingent mais des officiers angolais qui participaient à la formation de militaires et de policiers congolais, cela a pu être une manière « d’encourager » une solution qui garantisse l’intérêt commun, c’est-à-dire la paix et la stabilité dans la région. La priorité de l’Angola est de développer des relations entre deux peuples plutôt qu’entre deux individus, me semble-t-il. Mais ce n’est que mon interprétation de citoyen congolais. Je tiens à le préciser, puisque mes remarques risquent d’être interprétées au regard de ma situation personnelle.
Vous êtes en effet à la croisée de beaucoup de chemins…
Ça, c’est une vue de l’esprit. Mes relations avec l’État angolais se limitent au domaine culturel. Je sais si le président angolais joue de la guitare ou pratique le foot, mais je ne le dévoilerai pas ! J’ai des relations avec mon beau-père, c’est-à-dire l’homme, non avec le chef d’État. Je ne suis ni son avocat ni son confident.
Vous avez grandi avec une bonne part de la classe politique congolaise actuelle. Ne fait-on pas appel à vous pour passer des messages ou organiser des rencontres ?
Jamais. En Angola, quand vous n’avez pas de fonction officielle, vous n’avez pas voix au chapitre. Et j’adhère à cette culture. C’est aussi valable dans les affaires : je n’organise de rendez-vous pour personne. Je ne suis le porte-nom de personne. Je ne touche de commissions de personne.
Envisagez-vous une carrière politique ?
Certains milieux torturés de Kinshasa ont pu le dire, mais c’est faux et ridicule.
Cela vous dérange-t-il qu’on s’intéresse à vous, à votre famille, à vos affaires ?
Pas du tout. La notoriété est certes un poids, mais cela donne aussi du pouvoir. En Angola, certains jeunes récemment emprisonnés n’ont pas été tendres à mon endroit. Mais je suis attaché à la liberté de parole, voire d’irrévérence. Cela rend la société plus intéressante. Au Congo, il y a par exemple les [mouvements citoyens] Filimbi et la Lucha. Leur droit à s’exprimer doit d’ailleurs être proportionnel au droit que j’ai à me défendre.
Votre beau-père a annoncé qu’il quitterait le pouvoir en 2018. Le fera-t-il ?
Quel intérêt aurait-il à ne pas le faire ? Il n’est pas en position de faiblesse, il n’y a pas de crise interne au MPLA [Mouvement populaire de libération de l’Angola, au pouvoir], il jouit d’une légitimité historique que tout le monde lui reconnaît, l’opposition est faible… S’il l’avait voulu, il aurait pu facilement se représenter.
Il est déjà arrivé qu’un dirigeant annonce son départ pour finalement rester…
Surtout ceux qui n’ont pas la même légitimité que le président dos Santos ! Ils disent alors : « Je n’en ai pas envie, mais… » Ils ne l’annoncent pas tout de go comme il l’a fait. Par exemple, si Joseph Kabila avait réellement le projet de se maintenir au pouvoir, il aurait pu se montrer plus habile en amont. En Angola, la Constitution n’empêchait pas le président de se représenter depuis sa révision en 2010. In tempore non suspecto.
C’est donc un homme de parole ?
Il est méconnu, en fait. Il est assez simple, sain, parle peu. Mais, bizarrement, quand il dit les choses clairement, peu de gens le croient.
Avez-vous encore des intérêts en RD Congo ?
Il y en a énormément, aux quatre coins du pays, dans les ports, l’immobilier… Mon père a créé tous les jours jusqu’à sa mort, trop jeune, à 67 ans. Maintenir ce patrimoine est un travail en soi. Pour l’instant, ces intérêts sont dormants. Je vis en Angola, et la croissance y a porté mes affaires. Elle m’a permis d’acquérir un savoir-faire, par exemple dans le domaine industriel avec [le cimentier] Nova Cimangola. J’aimerais en faire autant en RD Congo, mais les conditions ne sont pas réunies. Mon baromètre, c’est la spoliation des affaires de mon père. Je tente de les récupérer, notamment sa banque, et je suis à un niveau judiciaire très avancé. Désormais, seule une décision politique pourrait remettre ma famille dans ses droits.
Donc, vous poursuivez toujours ce combat…
Bien sûr. Il s’agit quand même de la mémoire et de l’honneur de mon père et de ma famille ! Aujourd’hui, une banque katangaise [la Trust Merchant Bank] se dit propriétaire du siège de la Banque de Kinshasa, fondée par mon père pratiquement à l’endroit où je suis né. Ce n’est pas acceptable. Qu’irais-je faire dans un pays qui n’est pas en mesure de reconnaître ça ?
L’économie angolaise s’appuie sur le pétrole, dont le prix a beaucoup chuté. Aujourd’hui, le pays est en crise…
Cette crise est bénéfique. Elle a mis au jour les défauts du modèle. Elle oblige la classe politique et le MPLA, qui va probablement remporter la prochaine élection, à réfléchir sur ce qui a manqué pour que ces années de croissance se traduisent par un vrai décollage. Un débat important doit avoir lieu sur le tout-État, l’importance du secteur privé, la corruption… Cela finira par être très positif, on le voit déjà avec le travail accompli à la Sonangol [la compagnie publique qui gère les ressources pétrolières du pays, dirigée par sa femme], un exemple qui me touche évidemment de près.
Comment vivez-vous la nomination de votre femme à sa tête ?
Ce débat n’a pas de sens. La Sonangol est la deuxième compagnie pétrolière la plus importante d’Afrique. Elle devrait même être la première… Elle est la colonne vertébrale de l’économie angolaise, et je ne vois pas qui serait plus compétent et capable que ma femme pour la remettre en ordre. Il suffit d’écouter ce que ses partenaires du secteur privé disent de son courage et de son leadership. C’est un général qu’on appelle sur un champ de bataille au moment décisif. Il s’agit de changer complètement la culture de cette entreprise. Cette dernière ne peut plus se contenter d’être un simple consultant, un arbitre ou un entraîneur. Elle doit être un joueur, le numéro dix, et marquer des buts.
Vous avez investi dans beaucoup de secteurs : le diamant, le pétrole, l’immobilier, la téléphonie – et de pays : l’Angola, le Portugal, la Suisse, le Royaume-Uni, le Mozambique…
Au Mozambique, je ne sais pas trop où nous en sommes…
Quelle est la cohérence de cet ensemble ?
L’objectif n’est pas de bâtir un grand groupe intégré, même si je suis le seul, à ma connaissance, à avoir la chance de voir l’Angola et la RD Congo comme un seul ensemble complémentaire. Imaginez s’il ne s’agissait que d’un seul pays ! Un axe Luanda-Kinshasa pourrait créer un contrepoids à la suprématie sud-africaine. Il y a donc plusieurs projets auxquels je suis très attentif et que j’essaie de porter, comme le chemin de fer de Benguela, ou le barrage d’Inga.
Vous semblez insister sur la rareté des profils tels que le vôtre…
Les prochains oligarques, tels qu’on en voit en Russie, viendront de notre région. L’influence de ce pays ne serait pas ce qu’elle est sans eux. Mais en RD Congo, à part Moïse Katumbi, personne ne peut rivaliser avec les dix ou vingt premiers hommes d’affaires angolais.
Vous reste-t-il des actifs en RD Congo dans le secteur extractif, les mines, le pétrole ?
Je détiens encore des actifs miniers en RD Congo, notamment dans l’or, mais je ne les ai pas développés. Le commerce des minerais a longtemps été interdit aux Zaïrois. Mon père a été l’un des architectes de la libéralisation du secteur et l’un de ses premiers acteurs au début des années 1980. Dès cette époque, nous avons eu des mines d’or et de diamants, des comptoirs…
Je ne fais pas partie de ces nouveaux riches qui se sentent obligés de redonner une partie de leur fortune. »
En Angola, vous êtes très impliqué dans ces secteurs. On a beaucoup parlé de votre acquisition du plus gros diamant jamais trouvé dans ce pays. Pourquoi l’avoir acheté ?
J’ai acheté le 404, mais aussi le diamant le plus cher au monde, produit à la mine de Lucara au Botswana, qui fait 813 carats. Nous avons fait de la publicité en les présentant à Cannes, à Dubaï, pour valoriser le fait que nous sommes un acteur africain – c’est-à-dire originaire du lieu où se trouve cette richesse – présent tout au long de la chaîne, y compris là où on fait les marges les plus importantes, dans le secteur du luxe.
Le diamant déchaîne l’imaginaire collectif, mais c’est un tout petit secteur. Vous pouvez certes avoir 5 millions de dollars au creux de votre main, mais cela demeure inférieur au prix d’une flotte de camions de n’importe quelle mine à ciel ouvert. Cela dit, cette pierre est l’une des richesses naturelles dont l’Afrique regorge. Et je suis fier d’avoir mis en place, en peu de temps, une plateforme intégrée, Nemesis, à Dubaï. Aujourd’hui, elle est le numéro un mondial du commerce de diamants, à l’exception des compagnies productrices, comme De Beers.
Quel est votre lien avec la Société de commercialisation de diamants d’Angola [Sodiam] ?
La loi confère à la Sodiam l’exclusivité du commerce de diamants en Angola. Nous sommes son client à travers Nemesis. Elle vend sa production dans des conditions de concurrence et de marché normales. Par ailleurs, nous sommes partenaires avec elle au capital [du joaillier suisse] De Grisogono. Aujourd’hui, si deux tiers de nos pierres viennent d’Angola, un tiers provient d’autres pays du monde.
Que répondez-vous à vos détracteurs qui affirment que vos affaires sont favorisées par votre proximité avec le pouvoir angolais ?
On n’empêchera jamais les gens de croire que l’opportunité crée forcément le larcin. Mon père et mon beau-père m’ont donné de l’ambition et l’idée qu’il vaut mieux être acteur que commentateur. Je ne fais pas partie de ces nouveaux riches qui se sentent obligés de s’excuser de l’être ou de redonner une partie de leur fortune ! J’assume que les gens ne m’aiment pas ou trouvent mon profil indigeste. Cela ne me dérange pas tant que ça ne m’empêche pas de faire ce qui m’intéresse.
Dans une interview accordée au quotidien français Le Monde en 2015, vous dites que les « personnes politiquement exposées » [PPE, susceptibles d’être en conflit d’intérêts], dont vous faites partie, sont les « nouveaux pestiférés ». Pouvez-vous préciser ?
Je n’avais jamais été confronté à cette situation de PPE avant de connaître ma femme. C’est vrai que c’est difficile, même pour mes enfants, de se dire : « On me juge sans me connaître comme si j’étais coupable d’un péché originel. » Je sais que je serai un jour amené à justifier ce que j’ai fait et d’où vient ce que j’ai pu acquérir. Personne ne sera conciliant à mon égard, donc je fais les choses le plus rigoureusement possible. Avec les piles d’informations que je suis obligé de donner sur l’origine de ce que je possède, il me serait difficile de passer au travers des mailles du filet. Toutes ces vérifications ne seraient pas une mauvaise chose si cela apaisait les suspicions. Mais, paradoxalement, je constate que les deux avancent parallèlement : il y a toujours plus de contrôle, et toujours plus de soupçons.
Vous n’avez pas recours aux paradis fiscaux ?
Si, et c’est un objectif ! Je paie mes impôts là où je dois les payer, mais je ne suis pas stupide ! Je viens de pays, l’Angola ou la RD Congo, qui n’ont presque aucun accord fiscal anti-double taxation. Il est donc normal de structurer ses projets pour éviter de perdre de l’argent chaque fois que l’on traverse une frontière. Sinon, le profit potentiel est nul.
D’aucuns jugent cela peu éthique…
L’optimisation fiscale n’est pas immorale. Si vous trichez et que vous vous faites attraper, tant pis pour vous. Mais cela devient de plus en plus difficile, et j’espère que cela permettra de réduire la méfiance à l’égard des milieux d’affaires africains.
Les milieux d’affaires occidentaux sont-ils moins suspectés ?
Les grosses sociétés, matures et installées, n’apprécient pas les petits émergents qui remettent en question leur mainmise. C’est parfois bien commode pour elles de sortir des cartons jaunes ou rouges et de dire : « Vous n’avez pas le droit de rentrer ici. » À ce sujet, il faut saluer le Portugal pour son ouverture d’esprit, qui a permis aux Angolais d’entrer dans des secteurs stratégiques en Europe. Jamais un Africain francophone n’a encore racheté une multinationale française telle qu’une banque, une boîte de téléphonie ou un groupe pharmaceutique. Il faut que ça change.
UN COUPLE DE POUVOIR
Décrit comme les amoureux parmi les plus fortunés d’Afrique, la fille du président angolais et le collectionneur d’art ont monté leur business à travers le continent.
Sur son fascinant compte Instagram, Isabel dos Santos a célébré ses quinze ans de mariage par un selfie éclatant d’elle et son époux dos à la mer, lunettes de soleil sur le nez. Ces deux-là se sont bien trouvés : de la même génération, ils sont métis, héritiers, formés en Europe, riches, ambitieux et décomplexés. Ils se sont rencontrés en 1999 au Miami Beach de Luanda, repaire de la jet-set angolaise et premier investissement d’Isabel. Ils se marient trois ans plus tard, au palais présidentiel. Ils ont trois enfants, et Lucy, une petite chienne.
La fille du président dos Santos est aujourd’hui la femme la plus riche d’Afrique, avec plus de 3 milliards de dollars d’actifs, selon Forbes. Dans son pays – et, dans une moindre mesure, au Portugal –, elle est active dans presque tous les pans de l’économie, dont le pétrole, véritable mamelle de l’État. En juin, elle a été nommée pour cinq ans à la tête de la Sonangol, la compagnie nationale.
Or, en plus de son patrimoine en RD Congo, Sindika Dokolo est aussi un puissant homme d’affaires en Angola et au Portugal. Dans certaines sociétés, tel le groupe pétrolier portugais Galp, tous deux détiennent des actions. « Quand nous sommes coactionnaires, l’un de nous prend le lead. Cela permet de différencier mon bilan du sien. Nous séparons notre vie dans les affaires de notre vie familiale », assure Dokolo.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles