Maroc : cachez-moi cette burqa…
Décrétée par le ministère de l’Intérieur marocain, l’interdiction à la vente du voile intégral afghan suscite la colère des salafistes, mais aussi l’indignation de certains progressistes.
Discrétion oblige, on l’appellera Abdessamad. Depuis presque dix ans, ce quadragénaire tient une échoppe de prêt-à-porter dans un souk adjacent à la médina de Casablanca. L’interdiction du commerce de la burqa au Maroc, décidée le 9 janvier, il en a vécu les péripéties. « C’est le moqaddem qui est venu, lundi matin [le 9 janvier], nous informer de cette décision », nous explique-t-il. Abdessamad n’a reçu aucune notification écrite, contrairement à d’autres commerçants, dans certaines régions du royaume.
Un « avis d’interdiction de la production et de la commercialisation de la burqa », signé par un pacha (adjoint du gouverneur) de Taroudant, à 80 km à l’est d’Agadir, a en effet fait le buzz sur les réseaux sociaux. Un document dont l’authenticité n’a jamais été remise en question par le ministère de l’Intérieur, dont dépendent les agents d’autorité chargés de faire respecter cette décision.
Une mesure de sécurité
Depuis l’éclatement de l’affaire, le département de Mohamed Hassad reste muet au sujet de cette interdiction. Aucune explication n’a été fournie pour justifier le sens ou le timing de cette guerre totale à la burqa dans l’espace public. Dans les sphères sécuritaires, on avance néanmoins l’argument de prévention. Les crimes commis par des personnes « camouflées » en burqa, parfois des hommes, ne sont pas rares et compliquent souvent la tâche aux forces de l’ordre.
Il y a deux ans, par exemple, les agressions aveugles, à coups de rasoir, commises par une prétendue jeune femme portant le voile intégral avaient soulevé un vent de panique à Rabat. « Aujourd’hui, avec le risque terroriste croissant, il est tout à fait légitime que les forces de sécurité cherchent à interdire tout moyen de dissimuler le visage au sein de l’espace public, nous explique Hatim Beggar, avocat à Casablanca. L’avis signé par le pacha, s’il est authentique, peut reposer légalement sur une interprétation des prérogatives des agents d’autorité. »
Ce n’est pas avec ce genre de restriction des libertés que l’on va lutter contre l’extrémisme. Inculquer les valeurs de respect ou de tolérance passe par d’autres moyens
Un vêtement étranger à la culture marocaine
Quoi qu’il en soit, l’approche adoptée par le ministère de l’Intérieur aura été d’une efficacité redoutable. Abdessamad, notre commerçant bidaoui, n’a pas attendu le délai de quarante-huit heures accordé par le moqaddem pour se débarrasser de son petit stock de burqas : « Le soir même, j’ai rapporté chez moi la quinzaine d’articles que j’avais dans le magasin en attendant de savoir quoi en faire. Le prix d’une burqa varie entre 60 et 100 dirhams [entre 5,60 et 9,30 euros], en fonction de la qualité du tissu. Notre marge est réduite, entre 10 et 15 dirhams. Et c’est un peu normal. Qu’y a-t-il à valoriser dans une bâche avec deux trous », ironise Abdessamad, qui confesse gagner plus avec les sous-vêtements, les robes ou encore les djellabas pour femme.
« En plus, ajoute-t-il, ce n’est pas un vêtement marocain. Ça fait à peine une dizaine d’années qu’on le croise dans nos rues. Nos mères et nos grands-mères portaient le niqab à la marocaine, une djellaba avec capuchon, avec un voile assez transparent sur le visage. »
Récupération politique à toutes les échelles
Le débat autour de cette interdiction a jusque-là tourné autour de l’origine afghane de ce vêtement. Certains militants associatifs se cachent derrière cet argument pour justifier leur silence par rapport à cette mesure, alors qu’ils se seraient insurgés si elle avait concerné les bikinis. D’autres vont encore plus loin, estimant qu’il s’agit d’un premier pas dans la lutte contre l’extrémisme. « La burqa est un moyen d’asservissement de la femme », assure Nouzha Skalli, ancienne ministre de la Femme.
En revanche, Khadija Ryadi, ex-présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), dénonce la décision : « Je suis contre l’utilisation du corps de la femme, que ce soit à des fins politiques ou à des fins commerciales. Je reste opposée au fait de forcer une fille à porter le voile intégral, tout comme à celui d’utiliser son corps pour faire la promotion d’un bikini. Les deux portent atteinte à la dignité de la femme. Ce n’est pas avec ce genre de restriction des libertés que l’on va lutter contre l’extrémisme. Inculquer les valeurs de respect ou de tolérance passe par d’autres moyens, comme l’éducation, l’information et les politiques publiques en général. »
Les islamistes, de leur côté, ont trouvé dans cette décision un prétexte pour dénoncer l’autoritarisme de l’État et son éloignement des fondements de l’islam. La réaction la plus virulente est venue du salafiste Abou Naïm, le cheikh qui excommunie plus vite que son ombre. Dans une vidéo postée sur sa chaîne YouTube, l’inquisiteur dénonce l’interdiction en qualifiant ceux qui sont derrière « d’infidèles, d’apostats et de renégats qui mènent une guerre contre Dieu ». La polémique ne fait donc que commencer.
De Paris à Brazzaville : ces pays qui ont interdit le port du voile intégral
En seulement quelques années, des lois anti-burqa ont émergé au quatre coin du monde. Petit tour des pays qui sont passés à l’acte.
Sidération en septembre 2016 : des médias du monde entier annoncent que Daesh a décidé d’interdire le port de la burqa et du niqab après un attentat perpétré contre deux de ses combattants par une personne entièrement voilée. Comment le pseudo-État islamique, seule entité sur la planète, avec le mouvement taliban, à imposer aux femmes de cacher totalement leur corps, pourrait-il abolir ce principe sacré ? L’information a vite été démentie. Facteur d’insécurité, instrument d’oppression sexiste ou pratique étrangère aux mœurs locales, les trois arguments servent aux adversaires du voile intégral pour exiger son interdiction légale.
« La République se vit à visage découvert », placardait le gouvernement français à la veille de l’entrée en vigueur de la loi du 11 octobre 2010, première mesure légale interdisant la « dissimulation du visage dans l’espace public ». « Il remet en question le modèle d’intégration à la française, fondé sur l’acceptation des valeurs de notre société », expliquait alors le ministre de la Justice. En 2011, la Belgique imitait la France, à laquelle la Cour européenne des droits de l’homme, saisie, donnera raison en juillet 2014. La Bulgarie est le dernier pays européen en date à avoir appliqué, en septembre 2016, une prohibition qui, aux Pays-Bas, n’attend que le feu vert du Sénat après avoir été votée par le Parlement fin novembre 2016.
Une ampleur internationale
Pionnier en Afrique, le Congo, bien qu’éloigné des zones à risque, a banni le vêtement en mai 2015. Au Tchad, c’est un double attentat-suicide, en juin 2015, qui amène le président Idriss Déby Itno à décréter l’interdiction immédiate du voile intégral. Las, le 11 juillet suivant, un kamikaze en burqa parvient à se faire exploser sur un marché, faisant 15 morts. Boko Haram, l’allié continental de Daesh, est soupçonné, et, le même mois, le Cameroun et le Niger prohibent le vêtement facial dans les régions menacées.
En Espagne, en Italie, en Russie et en Chine, des interdictions locales ont aussi été appliquées, mais de telles initiatives ont échoué aux États-Unis, où le sacro-saint premier amendement protège la liberté de culte. Dans le monde arabe, enfin, outre le Maroc, le débat agite les assemblées de Tunis et du Caire, où la députée et professeure de philosophie islamique Amina Nasir dénonce la dissimulation du visage comme une pratique judaïque antéislamique. Dans le quartier ultraorthodoxe de Mea Shearim, à Jérusalem, des juives couvertes de la « frumka », ressemblant à s’y méprendre aux femmes « niqabées », paraissent lui donner raison.
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