Cuba : qui sont les héritiers de Fidel ?

Ils s’appellent Castro. Certains se contentent d’être des fils à papa, d’autres convoitent le pouvoir, d’autres enfin sont passés à l’ennemi. Radioscopie d’une famille pas comme les autres.

Raúl Castro entouré des siens, lors des obsèques de Vilma, son épouse, le 22 juin 2007. © AIN FOTO/Raul ABREU/Estudios Filmicos del MINFAR/AFP

Raúl Castro entouré des siens, lors des obsèques de Vilma, son épouse, le 22 juin 2007. © AIN FOTO/Raul ABREU/Estudios Filmicos del MINFAR/AFP

Publié le 25 janvier 2017 Lecture : 6 minutes.

Il restera dans l’Histoire comme le tombeur de Batista, un acteur majeur de la guerre froide et un leader du mouvement des non-alignés. Fidel Castro avait eu beau quitter le devant de la scène, son frère Raúl, qui avait repris les rênes du pouvoir en 2008, continuait de le consulter quotidiennement. Jusqu’à la mort d’El Comandante, le 25 novembre 2016, à l’âge de 90 ans. Le décès du patriarche signe-t-il pour autant le déclin de la puissante dynastie des Castro ? Pas si sûr. Depuis son arrivée à la tête de l’État, en 1959, l’histoire de l’île est une histoire de famille. Pendant que Fidel et Raúl, catapulté ministre des Forces armées révolutionnaires, dirigeaient Cuba d’une main de fer, leur nombreuse parentèle a tracé son chemin, parfois loin des arcanes du pouvoir.

Une vie privée bien cachée

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Fidel Castro a toujours jalousement protégé sa vie privée et voulu que ses fils soient tenus à l’écart de la politique. Ce n’est par exemple qu’en 2006 que les Cubains apprennent l’existence de Dalia Soto del Valle, que leur chef a rencontrée en 1961 et épousée civilement en 1980 ! Ils ont même eu cinq garçons, dont les prénoms commencent tous par la lettre A : Alexis, Alexander, Antonio, Alejandro et Ángel –, selon le souhait de Fidel, fervent admirateur d’Alexandre le Grand. Élevés dans une école réservée à la nomenklatura, ils ont grandi dans un univers privilégié, préférant les yachts et les loisirs aux cercles du pouvoir.

Antonio, qui passe pour le préféré de son père, est chirurgien orthopédiste et président de la Fédération cubaine de baseball. Alexis et Alejandro sont diplômés en informatique. Alexander se consacre à la photographie. Il a exposé récemment une série de portraits de son père dans une galerie huppée de Mexico. Le benjamin, Ángel, est le seul à n’avoir pas suivi d’études supérieures. Passionné d’automobiles, il travaille, dit-on, pour le représentant cubain de Mercedes-Benz. Selon Juan Reinaldo Sánchez, un ancien garde du corps d’El Comandante et auteur de La Vie cachée de Fidel Castro (éd. Michel Lafon), Dalia Soto del Valle considère ses fils comme les seuls héritiers légitimes.

Immigré insurgé

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Mais revenons au commencement. En 1899, un jeune Espagnol originaire de Galice quitte sa terre natale pour Cuba. Ángel Castro Argiz débarque à La Havane le 4 décembre. Il a déjà deux enfants de son épouse, María Luisa Argota Reyes, lorsqu’il est séduit quelques années plus tard par Lina Ruz González, alors âgée de 19 ans (il en a 47). Elle lui donne sept enfants, et il ne l’épousera qu’au bout de vingt ans, raison pour laquelle Fidel, né en 1926 et troisième de la fratrie, ne portera le nom de son père qu’à son adolescence. Quand le futur dirigeant de Cuba s’insurge contre la dictature de Fulgencio Batista, puis déclenche la révolution en 1959, il entraîne dans l’aventure son cadet Raúl et sa sœur Juanita. « Il était mon héros », confiera cette dernière à la presse cinquante ans plus tard.

Mais les abus des guérilleros, de confiscations de biens en exécutions sommaires, la font déchanter et elle coopère… avec la CIA. Posant pour seule condition de ne pas attenter à la vie de ses frères, Juanita – dont le nom de code est Donna –, achemine de l’argent et des armes sur l’île… jusqu’à ce que Fidel et Raúl apprennent ses liens avec Washington. Peu après la mort de leur mère, en 1964, Juanita fuit la fureur de ses aînés et prend un aller simple pour Mexico, où elle se réfugie chez leur sœur cadette, Emma, mariée à un Mexicain. Elle ne reviendra jamais. Installée à Miami, aux États-Unis, où elle a tenu pendant plusieurs années une pharmacie, elle a publié ses Mémoires en 2009.

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Des enfants anti-castristes

Juanita n’est pas le seul membre de la famille à avoir rejeté le régime castriste. La fille de Fidel, Alina, – née en 1956 d’une relation extraconjugale avec une Cubaine – a quitté l’île clandestinement en 1993 après avoir critiqué la révolution. Elle n’a aucun contact avec ses demi-frères depuis que, munie d’un faux passeport espagnol, elle a rejoint la Floride, où elle est devenue journaliste.

Sans aller jusqu’à renier l’œuvre de son frère, Ramón Castro, le deuxième des enfants Castro, n’a, lui, jamais voulu entrer en politique. Après des études d’agronomie, celui que les Cubains surnommaient affectueusement Mongo reprend la ferme de son père à Birán, dans la province de Holguin. Au lendemain de la révolution, Ramón participe à la conception des réformes agricoles, en particulier dans le secteur de l’élevage, dont il devient un expert respecté. Le « site historique de Birán », qui s’étend sur 28,6 ha, a été déclaré monument national en 2008, et Ramón, décédé en février 2016 à 91 ans, y est enterré au côté de sa sœur Angela.

Le pacte familial 

À l’exception de Juanita, les enfants d’Ángel Castro Argiz sont restés très unis. Mais Fidel et Raúl ont toujours été particulièrement proches. Le cadet idolâtrait son aîné et jouissait de toute sa confiance. Il est le seul en qui El Comandante disait se fier totalement. Et, aussi, celui qui a le sens de la famille. Le chef de sa garde rapprochée n’est autre que son petit-fils, Raúl Guillermo Rodríguez Castro. Raúl veille aussi à ce que la première épouse de Fidel, Mirta Díaz-Balart – qui vit en Espagne depuis plus de cinquante ans – puisse venir à Cuba voir son fils Fidelito.

Seul enfant d’El Comandante à avoir été montré aux médias dès son plus jeune âge, ce physicien s’est formé en Union soviétique dans un institut de recherche nucléaire ultrasecret. Une faveur que lui avait accordée Leonid Brejnev, le président de l’époque. À partir de 1980, Fidelito dirige la Commission cubaine de l’énergie atomique mais, mauvais gestionnaire, arrogant et dévergondé selon certains, il est écarté par son père. « Il n’a pas démissionné, il a été renvoyé : Cuba n’est pas une monarchie », déclare alors El Comandante, qui lui reproche sa « soif de pouvoir ». L’anecdote peut faire sourire.

Quoi qu’il en soit, le père n’adressera plus la parole à son fils pendant plusieurs années. En mars 2014, Fidelito est apparu sur la chaîne de télévision Russia Today, qui l’interviewait à l’occasion d’un voyage à Moscou. Aujourd’hui âgé de 67 ans, il a salué les réformes économiques entreprises par son oncle, mais semble plus réservé sur l’héritage de son père, qu’il qualifie de « leader historique » sans jamais le nommer.

Le combat a changé, la famille reste la même

Et si les mieux placés pour succéder à leurs père et oncle étaient les enfants de Raúl ? Directeur du renseignement au ministère de l’Intérieur, le colonel Alejandro Castro Espín, 51 ans, qui passe pourtant pour peu charismatique, joue depuis 2014 un rôle de premier plan dans les négociations qui ont abouti à un rapprochement avec les États-Unis. Sa sœur aînée Deborah a, elle, longtemps été mariée à un homme clé du pouvoir : Luis Alberto Rodríguez López-Callejas, avec qui elle a eu deux enfants. À la tête du Groupe d’administration des entreprises (Gaesa) des Forces armées révolutionnaires, il contrôle l’essentiel de l’activité économique de l’île (restaurants, hôtels, supermarchés, location de voitures…), à en croire l’agence américaine Bloomberg. Il supervise aussi l’agrandissement et la modernisation du port de Mariel, à 45 km de La Havane, qui jouera un rôle stratégique après la levée de l’embargo américain.

Enfin, Mariela, députée depuis 2013, a une âme de militante. Très engagée sur les sujets de société, favorable au mariage gay, cette sexologue réputée sur la scène internationale préside la Fédération des femmes cubaines (4 millions de membres) et prépare son autobiographie.

Alors que Raúl a annoncé qu’il se retirerait en 2018, ses enfants, eux, ne semblent pas près de lâcher les rênes du pouvoir. La dynastie Castro a, semble-t-il, encore de beaux jours devant elle. À moins d’une révolution…

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