Didier Le Bret : « Cessons d’être naïfs avec Poutine »

Renonciation de Hollande et phénomène Macron, lutte antiterroriste, menace russe… Sur tous ces sujets, l’ancien coordonnateur du renseignement parle désormais librement. Candidat du PS aux législatives, il brigue la 9e circonscription des Français de l’étranger.

François Fillon, alors Premier ministre de Nicolas Sarkozy, et son homologue russe Vladimir Poutine, le 10 juin 2010 à Paris. © Thibault Camus/AP/SIPA

François Fillon, alors Premier ministre de Nicolas Sarkozy, et son homologue russe Vladimir Poutine, le 10 juin 2010 à Paris. © Thibault Camus/AP/SIPA

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 25 janvier 2017 Lecture : 6 minutes.

Diplomate et ancien ambassadeur de France en Haïti, Didier Le Bret, 53 ans, a dirigé le Centre de crise et de soutien du ministère français des Affaires étrangères entre 2013 et 2015. Celui qui est, à la ville, le compagnon de l’écrivaine Mazarine Pingeot, la fille de François Mitterrand, s’est mis au service d’un autre président socialiste, François Hollande, en devenant, entre juin 2015 et novembre 2016, coordonnateur national du renseignement, au plus fort de la vague des attentats terroristes.

De son expérience il a tiré un livre, L’Homme au défi des crises (éd. Robert Laffont, paru le 12 janvier), dans lequel il analyse les convulsions du monde de manière distanciée, en les replaçant dans la durée. Un essai foisonnant, souvent stimulant, mais qui laissera les journalistes friands de sensationnalisme sur leur faim : contrairement à son ancien patron, Hollande, qui s’était longuement épanché dans un livre de confidences désastreux, Le Bret se montre tout en retenue lorsqu’il s’agit d’aborder les questions secret-défense. Et donne parfois l’impression de succomber à la méthode Coué lorsqu’il évoque la manière dont la France gère la crise syrienne ou ses relations avec la Russie, qu’il désigne comme « l’ennemi principal de la stabilité internationale »…

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Une nouvelle aventure se profile pour le diplomate, officiellement investi candidat du Parti socialiste aux législatives de juin 2017 dans la 9e circonscription des Français de l’étranger, qui englobe les trois pays du Maghreb et les principaux pays de l’Afrique de l’Ouest – jusque-là détenue par le socialiste Pouria Amirshahi, qui ne se représente pas. Critique à l’égard de Manuel Valls, dont les positions ont « heurté la conscience de la gauche », peu sensible au charme d’Arnaud Montebourg et à celui de Benoît Hamon, il a choisi sans illusions de soutenir l’outsider Vincent Peillon à la primaire de la gauche, dont le premier tour s’est tenu le 22 janvier.

Jeune Afrique : Après vingt-cinq années dans la diplomatie, quelles raisons vous ont poussé à vous lancer en politique, et pourquoi avoir choisi une circonscription des Français de l’étranger ?

Didier Le Bret : J’y vois une forme de continuité. Je souhaitais m’engager et exprimer une parole libre. Mon parcours, au cours duquel j’ai eu la chance de couvrir tous les aspects de la vie internationale (les crises, les questions de développement, l’action culturelle, la Francophonie…) me permet d’être en phase avec les attentes de mes compatriotes de l’étranger. Il y a aussi des raisons plus personnelles et plus intimes à cette candidature : mon histoire familiale, celle de mon père, né à Saigon, et celle de ma mère, née à Oran.

L’investiture du PS ne risque-t-elle pas de se transformer en handicap, au vu des difficultés que rencontre ce parti ?

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Par rapport à 2012, c’est certain, le nier serait absurde, mais une élection législative se joue aussi beaucoup sur la personnalité des candidats, sur leur capacité à convaincre de la cohérence de leur parcours, de l’authenticité de leur démarche. Je pense être là pour les bonnes raisons, et les militants m’ont désigné à 57 %.

 L’injustice réside clairement dans le sort fait aux Palestiniens, dans la souffrance de ce peuple. »

Vous attendiez-vous à ce que François Hollande renonce à briguer un second mandat ?

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Non. Mais nous vivons une période où la rupture est la norme. Qui aurait imaginé que Nicolas Sarkozy serait absent du second tour de la primaire de la droite ou qu’Alain Juppé serait écrasé par François Fillon ? François Hollande a fait ce choix en conscience, pour préserver les chances de la gauche. Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron se disent de gauche, mais préfèrent faire cavaliers seuls et refusent de se soumettre au verdict du peuple de gauche [à la primaire].

Précisément, que pensez-vous d’Emmanuel Macron ?

Il séduit. Sa force tient en peu de mots : sa jeunesse d’abord, sa virginité politique ensuite. Avec son « ni gauche ni droite », il surfe sur la vague antiestablishment. Est-il un danger ou une chance pour la gauche ? Cela dépendra beaucoup de ce qui sortira de son programme, pour l’instant à l’état gazeux. Il faudra nécessairement qu’il se dévoile, qu’il sorte de son inventaire de mesures à la Prévert pour nous proposer une vraie vision politique, des orientations tranchées. Pour l’instant, il s’y refuse. Il dit qu’il ne doit rien à personne, alors qu’en réalité il doit tout à François Hollande. Il a commencé sa carrière politique avec un parricide. Il dit vouloir mener les Français à bon port, mais nul ne sait exactement quel est son cap.

Dans votre livre, vous parlez peu du Maghreb et ne faites pas allusion à la question du Sahara, qui oppose le Maroc et l’Algérie, or votre circonscription est à cheval sur ces deux pays…

C’est un sujet passionnel, très sensible et clivant. Deux pays qui auraient vocation à coopérer se tournent dangereusement le dos, et ce contentieux a anéanti toute perspective d’une intégration maghrébine. La position de la France, qu’elle exprime à l’ONU, me semble équilibrée.

Alors que le processus de paix se trouve dans l’impasse, la France devrait-elle reconnaître l’État de Palestine ?

Le statu quo n’est plus une option. Il nous éloigne de la solution des deux États, qui a l’aval de la communauté internationale. La politique du fait accompli a transformé la Palestine en peau de léopard. La dernière résolution, votée en décembre 2016 par le Conseil de sécurité de l’ONU, condamne explicitement la poursuite de la colonisation israélienne en Cisjordanie.

Que faire au-delà des mots ? C’est un sujet qui divise les Européens, mais l’histoire tragique de l’Europe ne doit pas être un prétexte pour figer les situations et nous empêcher de voir où est l’injustice. L’injustice réside clairement dans le sort fait aux Palestiniens, dans la souffrance de ce peuple. Si l’UE se met d’accord pour adopter des sanctions communes, par exemple l’étiquetage et le refus d’importer les produits venant des colonies israéliennes, je trouverais cela juste. Je suis en revanche opposé au boycott sans distinction des produits israéliens, car une fraction importante de la société israélienne s’oppose à la poursuite de la colonisation. Quant à la reconnaissance bilatérale de l’État de Palestine, c’est l’ultime recours, mais ne risque-t-elle pas de créer un obstacle supplémentaire à des négociations directes ?

La Russie cherche à créer l’illusion qu’elle est encore une puissance qui compte. »

Menacé dans son fief syrien de Raqqa, Daesh est aussi sur le point de perdre Mossoul, en Irak. L’État islamique a-t-il encore un avenir ?

Même si ses « capitales » tombent et s’il ne peut plus exercer le même attrait qu’au temps de ses victoires, la menace qu’il représente ne disparaîtra pas immédiatement. Il ne faut pas sous-estimer sa capacité à trouver de nouveaux sanctuaires. Mais aucun ne pourra égaler Mossoul. En 2014, les jihadistes avaient trouvé les coffres de la banque centrale remplis de dollars et un stock d’armement considérable, abandonné par les forces irakiennes dans leur déroute – ce qu’ils n’auraient pas pu imaginer, même dans leurs rêves les plus fous.

Votre livre contient des jugements très abrupts sur la Russie. Est-elle le nouvel ennemi de la France ?

La Russie n’est pas l’ennemie de la France, mais la Russie de Vladimir Poutine est l’ennemie de la stabilité dans le monde. Elle s’est lancée dans une fuite en avant, car elle cherche à créer l’illusion qu’elle est encore une puissance qui compte. Elle génère un sentiment d’instabilité dans tout l’espace ex-soviétique et a violé le droit international en annexant la Crimée. Il ne faut pas être naïf et espérer bâtir une relation harmonieuse avec un dirigeant issu des services secrets, qui ne comprend que le rapport de force, et dont la culture comme les préférences politiques sont aux antipodes de celles que nous voulons promouvoir. La Russie reste une puissance de second rang dont le PIB est à peine supérieur à celui de l’Espagne. Elle est surarmée ? Peut-être, mais l’arsenal militaire de l’URSS n’a pas empêché ce pays de s’effondrer lamentablement.

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