Littérature : « Bled », la descente aux enfers d’une femme algérienne

Au début des années 1980, l’écrivain Tierno Monénembo fut enseignant à Batna et à Tiaret. Bien des années plus tard, il tire de cette expérience le roman d’une femme écrasée par la tradition.

Tierno Monenembo à Paris lors d’une séance de dédicace. © Eric Fougere/Corbis via Getty Images

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 25 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

Une fois n’est pas coutume. Dans son dernier roman, Bled, Tierno Monénembo s’attaque à un destin de femme, une première pour l’écrivain guinéen. Ce récit tragique aux accents poétiques, dans une Algérie en proie à la violence patriarcale, est bien éloigné de ses précédents écrits, fresques historiques et biographies romancées. Peuls (2004) narrait l’épopée – et les chicaneries drolatiques – des fondateurs de la théocratie du Fouta-Djalon. Le Terroriste noir (2012), mettait en scène Addi Bâ, un tirailleur sénégalais fondateur du premier maquis de la Résistance dans les Vosges. Quant au Roi de Kahel (2008), il racontait les exploits du fantasque Olivier de Sanderval, qui tenta de se forger un empire au Fouta-Djalon.

Le traditionalisme est comme l’arbre qui cache la forêt, il nous empêche de voir la complexité et les nuances de la vie.

« En quittant l’Algérie, où j’ai enseigné de 1983 à 1985, je savais que j’écrirais un roman sur ce pays, confie Monénembo. Mais j’ai mis du temps à m’y atteler car je voulais ajouter la dimension de l’intégrisme et de la violence des années 1990, dont je n’ai connu que les prémices lorsque j’enseignais dans les universités de Batna et de Tiaret, qui furent parmi les premiers foyers de l’islamisme estudiantin, explique-t-il. Il était évident pour moi qu’il fallait mettre en avant l’histoire d’une femme. Tant que celles-ci n’auront pas recouvré leurs droits, particulièrement en Algérie, la société restera fermée sur elle-même. Les femmes nous ouvrent au monde. »

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Zoubida et les autres femmes 

Édité au Seuil, Bled raconte la descente aux enfers de Zoubida, une jeune mère rejetée de son village perdu d’Aïn Guesma parce qu’elle porte la triple honte d’avoir eu un enfant hors mariage avec un Français qui a refusé de reconnaître sa paternité. Échouant au bout de sa fuite dans un bordel sordide, elle tue le maquereau des lieux et finit jetée en prison après un jugement expéditif.

Au cours de son errance à travers l’Algérie rurale, Zoubida passe en revue son itinéraire : une enfance bridée par les carcans de la tradition, empoisonnée par les tabous d’une histoire métissée mais non assumée, une adolescence illuminée par l’installation au village de Salma, une camarade de classe qui a grandi dans la banlieue lyonnaise, et par l’amitié entre sa famille et Alfred, un prof de sport camerounais.

« Zoubida est née dans une société tournée vers la figure du père et des ancêtres. Le traditionalisme est comme l’arbre qui cache la forêt, il nous empêche de voir la complexité et les nuances de la vie, affirme le romancier. C’est toujours l’étranger qui bouscule les équilibres. Alfred et Salma sortent le village d’Aïn Guesma de la routine, ils y apportent l’aventure, ils poussent ses habitants à se déplacer. » L’histoire de Zoubida s’achève par une résurrection, avec l’arrivée dans sa vie d’Arsène, sorte de prince arabe érudit et voyageur. « J’avais fait tellement souffrir mon personnage que j’ai voulu lui donner de l’amour, explique Monénembo. L’utopie et la poésie sont les seules choses qui nous font avancer, alors que toutes les grandes idéologies ont perdu leurs batailles. »

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Concerné par l’Afrique démocratique

L’écrivain, qui s’est installé à temps plein à Conakry depuis 2012, se consacre d’ores et déjà à un autre roman : encore un destin de femme – il y a pris goût –, mais cette fois-ci guinéenne. « Ce roman racontera la trajectoire d’une jeune femme de l’indépendance, en 1958, jusqu’à aujourd’hui », indique l’écrivain, qui suit de près l’actualité politique de son pays. « J’ai bien connu Alpha Condé quand il était en exil, mais je suis désabusé aujourd’hui. Il y a un héritage – presque génétique – entre les dirigeants successifs du pays, de Sékou Touré à Alpha Condé, regrette-t-il. Il nous faut un renouvellement complet de la classe politique. »

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Proche revendiqué de l’opposition, l’écrivain croit en un sursaut du peuple guinéen. Toujours amoureux de son pays – dont il est l’auteur contemporain le plus connu –, profondément marqué par l’expérience de l’exil, Tierno Monénembo s’arrime aux espoirs que permettent encore l’utopie et la poésie.

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