Agroalimentaire : Yariv Elbaz, l’homme qui veut racheter le cœur de l’empire Mimran

L’investisseur né au Maroc est sur le point de prendre le contrôle de la Compagnie sucrière sénégalaise ainsi que celui des Grands Moulins de Dakar et d’Abidjan. Pour près de 1 milliard d’euros.

Zone de distribution de la canne à sucre de la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS), au Sénégal, le 16 janvier 2015. © Sylvain Cherkaoui/JA

Zone de distribution de la canne à sucre de la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS), au Sénégal, le 16 janvier 2015. © Sylvain Cherkaoui/JA

Publié le 1 février 2017 Lecture : 4 minutes.

Avant 2014, Yariv Elbaz était peu connu au Maroc, où il est pourtant né. Le patron du gestionnaire de fonds et investisseur Ycap (1,2 milliard d’euros sous gestion) annonçait alors qu’il rachetait le producteur de farine et de semoule Forafric (marques Maymouna et Ambre), un poids lourd local. La presse marocaine estimait l’opération à une centaine de millions d’euros. Et, pour sa première incursion sur le continent, le président d’Ycap ne cachait pas ses ambitions : « Nous voulons en faire un champion africain, créateur de valeur et d’emplois, grâce à l’implantation d’unités en Afrique subsaharienne », affirmait-il lors d’une conférence à Marrakech. Quelques mois plus tard, Forafric créait une plateforme logistique destinée à importer ses produits au Gabon et, surtout, rachetait l’un de ses concurrents marocains, Tria, également actif dans le négoce.

C’est un personnage très secret et très sérieux : il est issu d’une famille modeste, il a tout fait par lui-même.

Mais sa plus grosse opération, Yariv Elbaz (41 ans dans quelques semaines) l’a menée en toute discrétion tout au long de 2016. Comme l’a révélé Jeune Afrique Business+ le 16 janvier, il a convaincu le milliardaire Jean-Claude Mimran, 71 ans, de lui céder les joyaux de son empire au sud du Sahara : la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS), les Grands Moulins de Dakar (GMD) et les Grands Moulins d’Abidjan (GMA).

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Si Elbaz a confirmé cette information par l’entremise de ses conseils (le cabinet Valyans pour le côté financier et Norton Rose Fulbright pour l’aspect juridique), il n’a pas donné suite aux demandes d’interview de JA. Pas plus que Mimran, actuellement « en voyage à l’étranger ». Ce dernier, également né au Maroc, affirmait en août que « se retirer des affaires ce serait mourir » (il a pourtant failli céder les mêmes actifs à Emerging Capital Partners en 2008), tout en ajoutant que « tout [avait] un prix ». Il a ainsi répondu favorablement à la proposition d’Elbaz, d’un montant compris entre 800 millions et 1 milliard d’euros. Tous deux résidents suisses, les businessmen auraient entamé les discussions mi-2016.

Elbaz, « brillant et opportuniste »

Qui est donc l’homme capable de promettre une somme aussi importante ? Diplômé de l’école de commerce ESCP Europe Paris (promotion 1998), Elbaz commence sa carrière de financier en France chez BNP avant d’y cofonder en 2001 le gestionnaire de portefeuille Keren Finance (1 milliard d’euros gérés aujourd’hui), qu’il quittera au bout de dix-huit mois pour créer une autre société de gestion, la Cogef, basée elle à Genève. Elbaz revendra ses parts en 2009 pour fonder en 2010 le groupe Ycap, installé à Luxembourg et à Paris. Une société dont il reste actionnaire mais où il n’exerce plus de fonction opérationnelle, indique-t-on à la direction de Forafric.

Les deux sociétés détiennent encore entre 50 % et 70 % de leurs marchés, mais ils doivent faire face à une concurrence grandissante.

« C’est une personne à la fois brillante et opportuniste, témoigne un ancien collègue. Il a le sens des affaires et possède un énorme carnet d’adresses. » Très proche de Richard Attias, avec lequel il partage ses bureaux parisiens à deux pas du très chic hôtel George-V, il est régulièrement invité aux conférences du communicant franco-marocain. « Nos familles se connaissent depuis toujours, nous confie ce dernier. C’est un personnage très secret et très sérieux : il est issu d’une famille modeste, il a tout fait par lui-même. »

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Il a su tisser des liens avec le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), qui a investi, pour des montants non connus, dans deux fonds montés par Elbaz en 2012. Les portefeuilles d’actifs d’Agriland et d’Infra PPP Africa, gérés par Edifice Capital et destinés à investir respectivement en Afrique 200 millions de dollars dans l’agriculture et 400 millions dans les infrastructures, ne sont pas connus. Pas plus que l’origine et le montant de sa fortune personnelle.

Une somme ambitieuse

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Dans la finance, certaines sources doutent de sa capacité à mobiliser les montants nécessaires à cette opération. Mais le cabinet Valyans (qui refuse de confirmer le montant de la transaction) se montre rassurant : « La vente est signée, et le processus de closing financier en cours sera terminé d’ici un à trois mois. Sur la partie fonds propres, quasi bouclée, de grands institutionnels internationaux vont entrer au tour de table, donc la partie dette suivra. »

L’identité des futures entités actionnaires demeure floue. Mimran pourrait conserver une part minoritaire. De même, plusieurs options restent ouvertes concernant les poids respectifs d’Elbaz et de Forafric dans la transaction. Mais le groupe marocain sera à n’en pas douter le « navire amiral », selon Valyans, de la future entité.

Au Maroc, le groupe dit prévoir en 2017 un chiffre d’affaires de 7 milliards de dirhams (650 millions d’euros), contre 2 milliards de dirhams estimés par la presse marocaine au début de 2016. Forafric-Tria est devenu, selon un expert financier marocain, le leader « incontestable » de la farine (1,5 million de tonnes de blé de capacité) devant les groupes Fandy ou Dalia, mais l’arrivée d’Elbaz comme actionnaire – qui a investi en propre dans Forafric, selon la direction – est encore trop récente pour évaluer correctement son action.

Perte de monopole

Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, Elbaz sera confronté à d’importants enjeux. La situation des Grands Moulins s’est considérablement dégradée en dix ans. S’ils restent rentables, ils ont perdu leurs confortables monopoles sous les présidences d’Abdoulaye Wade et de Laurent Gbagbo. Certes, les deux sociétés détiennent encore entre 50 % et 70 % de leurs marchés, mais ils doivent faire face à une concurrence grandissante sans possibilité d’exporter sur un marché ouest-africain en surproduction.

Quant à la CSS, qui totalise à elle seule la moitié des bénéfices de Mimran en Afrique, elle reste seule au Sénégal bien que l’ouverture du marché, localement ou à l’importation, constitue un risque grandissant. La stratégie du futur propriétaire n’est pas encore connue, mais les équipes en place seront conservées, assure Valyans. La nouvelle page qui s’ouvre pour les joyaux du groupe Mimran dépassera de loin les termes du bouclage financier.

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