Namibie : que sont devenus les enfants de combattants indépendantistes envoyés en RDA ?

Pendant la guerre d’indépendance, plus de 400 enfants de combattants indépendantistes namibiens ont été confiés à l’Allemagne de l’Est. Ils étaient appelés à y devenir l’ « élite de la nation ».

Nostalgique de la RDA, Andreas survit grâce à la langue de Goethe, soutirant de l’argent aux touristes. © Charline Vasseur

Nostalgique de la RDA, Andreas survit grâce à la langue de Goethe, soutirant de l’argent aux touristes. © Charline Vasseur

Publié le 2 février 2017 Lecture : 7 minutes.

« Si je n’avais pas été en Allemagne de l’Est, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Je serais peut-être dans le nord en train de garder des vaches et des chèvres. Je ne serais pas allé à l’école. J’aurais une autre vie. » Envoyé à l’âge de six ans en RDA, Simeon Shivute embrasse ce passé avec une pointe de nostalgie. Cet informaticien est aujourd’hui installé à Windhoek, la capitale namibienne, et travaille depuis dix ans pour une grande banque locale.

Il se rend au bureau dans son 4×4 Toyota gris métallisé et, à 35 ans, est propriétaire d’une jolie maison dans une résidence sécurisée du quartier de Windhoek West. Assis à la table-bar de son impeccable petit coin cuisine, t-shirt blanc col en V et short bleu marine, Simeon dégage une force tranquille. Ce grand gaillard timide est né en Angola, dans l’un des camps de réfugiés installés pendant la guerre civile qui ravage la Namibie depuis les années 1960. Ses parents étaient encore vivants quand il est parti en RDA à l’hiver 1985.

la suite après cette publicité

Rescapés de la guerre civile 

Une chance que n’ont pas eu beaucoup d’enfants de combattants de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (Swapo), le mouvement indépendantiste namibien, membre de l’Internationale socialiste. Avec 400 autres garçons et filles, il a ainsi pu échapper à la guerre d’indépendance entre l’ancienne colonie allemande et l’Afrique du Sud, et a été éduqué et formé pour faire partie de la future élite communiste du pays. Simeon n’est retourné dans son pays qu’en 1990, une fois la victoire des rebelles namibiens contre les Sud-africains acquise.

Nous étions censés devenir la future élite du pays, nous ne voulions pas décevoir nos parents.

Au-dessus du placard de la cuisine trône un petit moulin à café qui appartenait à son père adoptif, Otto Herrigel. Ce Namibien d’origine allemande fut le tout premier ministre des Finances du pays indépendant, nommé par le président Sam Nujoma, le leader de la Swapo. Avec sa femme Karin, ils ont accueilli, puis adopté, deux enfants revenus de RDA. La famille vivait la plupart du temps dans leur grande ferme du nord, vendue il y a quatre ans, suite au décès d’Otto.

Identité métissée

la suite après cette publicité

Sans autre descendance, les Herrigel ont donné aux deux petits ce que beaucoup n’avaient plus à leur retour : une famille, un foyer, un futur. Simeon se souvient d’Otto comme d’un père aimant mais très traditionnel, intransigeant. Chaque soir, après l’école, le jeune garçon travaillait pour une société de service allemande. Puis il entrepris des études pour devenir informaticien, insistant pour payer lui-même les frais universitaires. À cette époque, Karin et Otto transformaient certains cadeaux de Noël ou d’anniversaire en coup de pouce financier.

Sur le placard de la cuisine, deux timbales africaines siègent à côté de deux imposantes chopes à bière. Des lithographies d’animaux sauvages habillent les murs et quelques photos de famille la porte du frigo. Un grand plaid synthétique, imprimé léopard, recouvre le canapé. Simeon est reconnaissant envers ses parents adoptifs qui ont toujours maintenu le contact avec ses parents biologiques, avec sa meme surtout (« maman » en oshivambo). « Quand je retournais chez les Herrigel, elle me disait toujours : n’oublie pas qui tu es et d’où tu viens. Je ne l’ai jamais oublié. Je suis noir, ma mère est noire. J’en suis fier. » Mais Karin reste sa Mutti (« maman » en allemand) : « je l’aide beaucoup en informatique. Je lui ai installé son antivirus. On s’envoie des e-mails, on chatte sur Whatsapp ».

la suite après cette publicité

Croisement des cultures

À quelques kilomètres de chez Simeon, Andreas Imalwa – ou Andrew –, 35 ans, traîne à Pioneers Park, dans le centre-ville de Windhoek. Comme une dizaine d’autres enfants rentrés de RDA. Après avoir été employé par la Lufthansa en Afrique du Sud, il dit être guide touristique, mais passe le plus clair de son temps à tenter de soutirer de l’argent aux touristes. Sur le trottoir, devant le centre commercial, il appâte ses proies dans la langue de Goethe. Il prétexte une exposition sur l’histoire des enfants de la RDA pour dégainer une fausse pétition.

Ça n’avait aucun sens d’être en Namibie. La plupart d’entre nous voulions repartir en Allemagne. Les gens ici nous traitaient d’Allemands noirs.

Andreas s’accroche à son passé pour survivre. Il habite une cabane en tôle à Katutura, un bidonville au nord de la capitale. Un 10 m partagé avec un autre ancien de la RDA. Entre un ordinateur et un poste de télévision cassé, deux matelas crasseux s’entassent dans l’unique pièce. Une petite Bible trône sur la table de nuit. Au milieu de ce bazar, un drapeau de la RDA. « C’est de là que je viens et je n’ai que des bons souvenirs. On venait du bush, et du jour au lendemain on avait tout, on pouvait manger trois fois par jour… À notre retour ici, ça a été difficile. Il fallait s’adapter, nous ne savions pas où était notre place. » Les habitants, les paysages, tout lui paraissaient si différents. « Depuis l’avion, on avait l’impression qu’il n’y avait que du sable et des buissons. » La maison, c’était l’Allemagne. Et ce souvenir persistant : la neige. « J’ai même essayé d’en manger. »

Passée par les cases alcool, drogue et prison, Verua Kavezeri tente de se reconstruire. © Charline Vasseur

Passée par les cases alcool, drogue et prison, Verua Kavezeri tente de se reconstruire. © Charline Vasseur

La souffrance du retour

Au château de Bellin, non loin de Rostock, puis à Stassfurt, au sud de Magdebourg, les enfants de la Swapo vivaient tous ensemble, toujours encadrés par des éducateurs est-allemands et namibiens. Chaque dimanche, ceux-ci faisaient l’appel dans le réfectoire avant de faire entonner aux gamins les chants des rebelles. La patrie en toile de fond, toujours. Et puis survient la chute du Mur de Berlin. En l’espace de deux semaines, les 400 adolescents ont été renvoyés en Namibie.

Avec dans leur valise tout ce qu’ils possédaient. Vingt kilos, pas plus. Pour Andreas, « ça n’avait aucun sens d’être en Namibie. La plupart d’entre nous voulions repartir en Allemagne. Les gens ici nous traitaient d’Allemands noirs. Et dans le nord, c’était encore plus difficile. Je ne maîtrisais pas la langue. Il n’y avait pas d’eau ou d’électricité. Et puis la nourriture… purée de mangue et viande séchée. »

Je n’avais pas de conception de l’Afrique. Moi je pensais au Livre de la jungle, à Mowgli et tous ces trucs.

Quand elle passe par le centre-ville de Windhoek, Verua Kavezeri s’arrête pour discuter avec Andreas. Née en Zambie en 1977, elle est partie en RDA à l’âge de cinq ans. Elle aussi s’est égarée un temps à Pioneers Park. Avant de décrocher de l’alcool et de la drogue, après un passage par la case prison. Un soir, ivre à la sortie d’un club, elle a incendié la voiture de sa sœur qui refusait de la laisser rentrer chez elle. Le regard franc et le rire communicatif, Verua assume désormais son homosexualité et sa bipolarité. Depuis sa sortie de prison en 2013, elle vit dans le nord, sous la tutelle de sa tante. Carottes, choux, oignons… elle cultive et vend des légumes de son jardin, qu’elle espère bientôt agrandir.

Vision de l’Afrique erronée

Verua farfouille dans sa mémoire : « On nous encourageait à avoir de bonnes notes à l’école, à bien nous comporter. Sinon, on devait écrire une lettre à Sam Nujoma pour dire qu’on avait été méchant. Comme j’étais insolente, j’avais dû le faire. Nous étions censés devenir la future élite du pays, nous ne voulions pas décevoir nos parents. » Le jour où un ministre est venu leur annoncer leur retour en Namibie, leur monde s’est écroulé. « Je me suis dit : « merde, maintenant il faut retourner là-bas dans la jungle, avec les lions et les singes ». Je n’avais pas de conception de l’Afrique. Moi je pensais au Livre de la jungle, à Mowgli et tous ces trucs. » En larmes, Verua fera rentrer dans sa petite valise ses albums photos et ses plus jolis habits.

À leur retour à Windhoek, les enfants ont été accueillis dans des entrepôts de Katutura, aménagés en dortoir et en école. Les familles, s’il y en avait encore, y retrouvaient leurs enfants. Un déchirement parfois, après une décennie de séparation. « J’ai refoulé ma culture d’origine. La nourriture, la musique d’ici… je détestais ça. Mais j’ai grandi. À 30 ans, être africaine ne me posait plus de problème. Même si, bien sûr, je serai toujours allemande au fond de moi. »

Simeon déplie lui aussi volontiers un grand drapeau de la RDA soigneusement rangé dans une armoire. « Je suis un Noir qui parle allemand, je suis Namibien. Aujourd’hui j’ai l’impression d’être chez moi. » Simeon envisage de monter son entreprise un jour, de voyager aussi. Comme Verua et Andreas, il aimerait revoir l’Allemagne.

ENFANTS D’AFRIQUE, DE CUBA À BRATISLAVA

Envoyés au quatre coin du monde soviétique pendant la guerre froid, nombreux sont les enfants de rebelles qui ont dû quitter leur pays pour échapper à la guerre.

C’est après le massacre du camp de Kassinga par les troupes sud-africaines, en mai 1978, que le départ des enfants de rebelles est décidé. Ils ont alors déjà été déplacés avec leur famille dans des camps de réfugiés de l’Angola marxiste et en Zambie. Un an plus tard, les 80 premiers enfants partent en RDA. Mais à la demande de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (Swapo), d’autres sont envoyés à Cuba et en Tchécoslovaquie, pays membres du bloc soviétique.

À Cuba, ils sont pris en charge dans des écoles internationales, avec d’autres jeunes, venus du Mozambique notamment. Au programme, entraînement militaire, éducation scolaire et travail agricole. En 1983, la Swapo demande à la Tchécoslovaquie de créer une école. Deux ans plus tard, une cinquantaine d’enfants de rebelles s’y rendent. Ils ne rentreront au pays qu’en 1991. L’histoire des petits namibiens de la RDA a été mise en scène en Allemagne et à Windhoek, en septembre 2016. La pièce s’intitule Oshi-Deutsch, le nom de leur dialecte, un mélange d’allemand et d’oshivambo.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image