Idriss Déby Itno : « Au lieu de nous donner des leçons, l’Occident devrait écouter notre avis »

Chaos en Libye, enjeux sécuritaires autour du lac Tchad, crise pétrolière ou encore franc CFA. Le président tchadien livre un état des lieux sans concession de son pays et des relations entre Europe et Afrique.

Idriss Déby Itno, président du Tchad, le 18 janvier,  à N’Djamena. © Vincent Fournier/JA

Idriss Déby Itno, président du Tchad, le 18 janvier, à N’Djamena. © Vincent Fournier/JA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 6 février 2017 Lecture : 18 minutes.

Vingt-six ans d’apprentissage, jusqu’au brevet de pilote militaire, vingt-six ans à la tête du Tchad et, entre ces deux quarts de siècle, onze années à faire la guerre contre Kadhafi d’abord, contre Habré ensuite : la vie d’Idriss Déby Itno se découpe en tranches distinctes reliées par un fil conducteur unique – le pouvoir, qu’il soit au bout du fusil ou au fond des urnes. L’homme de 64 ans qui nous rejoint en cet après-midi du 18 janvier pour une rare interview s’appuie sur une canne, accessoire récent mais épisodique puisqu’il repartira sans, y compris pour redescendre les marches du Palais.

Physiquement en forme donc, psychologiquement serein, assure-t-il, mais politiquement soucieux. Entre la chute des cours du pétrole qui met l’économie tchadienne à genoux, le front social qui craque sous les coups de boutoir des syndicats et les défis sécuritaires que font peser Boko Haram et le chaos libyen, on le serait à moins. À N’Djamena, où nombre de chantiers sont en panne sèche, où les grands hôtels sonnent creux, où les check-points se sont multipliés depuis les attentats terroristes de 2015, la vie quotidienne est dure, et le climat tendu.

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As de la diplomatie militaire et maillon fort du dispositif antijihadiste mis en place au Sahel par la France et les États-Unis, avec qui il partage une communauté d’ennemis, « IDI » doit faire face à la plus grave crise financière qu’ait connue le Tchad depuis quinze ans. Il s’en explique ici, sans langue de baobab ; quitte à ce que ses propos ne fassent pas que des heureux – ce dont il ne semble pas se soucier outre mesure.

Jeune Afrique : Votre mandat de président de l’Union africaine (UA) s’achève avec le sommet d’Addis-Abeba. Mission accomplie ?

Idriss DÉby Itno : Ce n’est pas à moi de le dire, mais aux Africains. Ils jugeront si cette mission difficile, importante, complexe a été menée avec succès ou non. En ce qui me concerne, j’ai le sentiment d’avoir fait ce que j’ai pu et ce que j’ai dû.

Un peu de sens de la solidarité et du partage à l’africaine ferait beaucoup de bien à l’Europe. »

Parmi les dossiers non encore résolus que vous transmettez à votre successeur, celui de la Libye est sans doute le plus problématique. Considérez-vous que ce pays représente toujours une menace de sécurité majeure pour la région ?

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La Libye de Mouammar Kadhafi a joué un rôle exemplaire dans la construction de l’unité africaine, et sa disparition a généré un grand désordre interne dont les Africains, comme chacun le sait, ne sont pas responsables. Résultat, un pays sans État où les gens s’entre-tuent et un incubateur du terrorisme et des trafics en tout genre. Depuis 2011, tous les pays voisins de la Libye pâtissent de cette situation, et les choses n’ont pas l’air de s’arranger. Les Occidentaux, qui ont jugé utile de ne pas associer les Africains à leur projet d’assassinat de Kadhafi, continuent de nous tenir à l’écart. Nous avons donc décidé, lors du dernier sommet de l’UA à Kigali, de mettre en place un comité ad hoc dirigé par le président Sassou Nguesso.

Le Tchad a décrété, début janvier, la fermeture de sa frontière avec la Libye. Pour quelle raison ?

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Jusqu’à la fin de 2016, la zone d’activité des terroristes de Daesh était pour l’essentiel concentrée assez loin des 1 100 km de frontière commune, à Syrte et dans la région de Benghazi. L’intervention des forces spéciales occidentales contre Daesh à Syrte n’a pas réglé cette menace, elle l’a déplacée depuis la côte méditerranéenne jusqu’à la région de Koufra au sud, à 200 km du Tchad, où les terroristes se regroupent. D’où notre décision de fermer et de renforcer notre frontière en multipliant par deux nos effectifs sur zone, ce qui, soit dit en passant, implique un coût financier important qui s’ajoute à celui que le Trésor public supporte déjà depuis cinq ans, le tout dans un contexte économique pour le moins morose.

À la nuisance Daesh s’ajoute celle que fait peser un énième mouvement tchadien de rébellion installé dans le sud de la Libye sous la houlette d’un certain Mahamat Mahdi Ali et dont l’objectif est de vous renverser. Le prenez-vous au sérieux ?

Le chaos libyen profite à toute une série d’aventuriers qui, à l’instar de Daesh, recrutent au sein des populations de migrants, notamment tchadiens. Mahdi Ali fait partie de ces mercenaires qui se vendent au plus offrant parmi les milices libyennes, lesquelles sont aussi nombreuses que les tribus. Lui et son groupe ne représentent aucune menace sérieuse.

Le maréchal Khalifa Haftar, que vous connaissez, apparaît de plus en plus aux yeux des observateurs comme incontournable dans tout règlement de la crise libyenne. Est-ce aussi votre avis ?

Fait-il partie du problème ou de la solution ? Aux Libyens de le dire. Haftar est un chef militaire qualifié, qui connaît bien son pays. Je l’ai reçu deux fois à N’Djamena et je ne pense pas qu’il ait des ambitions politiques personnelles.

Vraiment ? Il se dit pourtant que vous le soutenez…

Comme tout bon soldat qui a pour souci principal de préserver l’unité et l’intégrité de son pays, Khalifa Haftar fait de son mieux pour apporter sa contribution à la sortie de crise. Si vous voulez le fond de ma pensée, j’estime que cet homme peut être une solution pour la Libye, et je crois que tout le monde, y compris l’ONU, a fini par comprendre qu’il fallait l’impliquer. Pour le reste, le Tchad ne fournit d’armes ou de munitions à personne. J’ai reçu les acteurs de tous les camps, je connais je crois assez bien ce pays, mon rôle est d’aider à un rapprochement et je n’ai aucun autre agenda que celui du retour de la stabilité.

Lors de l’entretien, au palais présidentiel. © Vincent Fournier/JA

Lors de l’entretien, au palais présidentiel. © Vincent Fournier/JA

Regrettez-vous toujours la disparition de Kadhafi ?

Il ne s’agit pas de cela. Nul plus que moi n’a combattu Kadhafi, mon corps en porte encore les traces. J’ai simplement mis en garde les Occidentaux contre les conséquences de leur opération de déstabilisation de la Libye. Tout comme je les ai mis en garde contre la division du Soudan en deux pays. À chaque fois, l’Histoire m’a donné raison.

Reste que l’Occident n’est pas responsable de tout. Boko Haram par exemple : on croyait s’être débarrassé de l’hydre. Et pourtant, elle ne cesse de resurgir. Pourquoi ?

Le terrorisme est un phénomène qui a ses propres règles. Nous avons fait face à Boko Haram avec une très grande détermination, au Tchad, au Nigeria, au Cameroun et au Niger. L’ensemble du territoire que contrôlait la secte a été récupéré, mais cela ne signe pas la fin de sa capacité de nuisance, ni celle des opérations kamikazes menées par le truchement de femmes ou d’enfants. Dans le bassin du lac Tchad, la solution ne saurait être que militaire. C’est le déficit de développement qui est à l’origine de la montée en puissance de Boko Haram, et, tant que nous n’apporterons pas d’emplois et de sources d’espoir à la jeunesse de cette région, nous ne parviendrons pas à éradiquer définitivement cette menace. Cela est valable pour toute la zone sahélienne.

Y a-t-il encore des Tchadiens au sein de Boko Haram ?

Un millier de combattants ont finalement regagné le bercail. Mais il en reste, oui.

Autre voisin à problèmes : la Centrafrique. Quel conseil formulez-vous à l’endroit du président Touadéra afin qu’il stabilise son pays ?

La crise centrafricaine remonte à loin, aux mutineries du milieu des années 1990. Depuis lors, le Tchad se tient aux côtés de Bangui pour l’aider à se relever. Le président Touadéra a été bien élu, celui de l’Assemblée nationale Karim Meckassoua aussi, mais la Centrafrique a besoin d’une réconciliation nationale inclusive. Tant qu’on ne fera pas en sorte que le président Touadéra puisse organiser un vaste forum national en ce sens, incluant tous ceux qui, aujourd’hui, sont mis à l’écart par la communauté internationale, à savoir les anciens présidents Bozizé et Djotodia, les chefs de l’ex-Séléka et des anti-balaka, on n’y arrivera pas.

Si j’ai la certitude qu’après moi, le Tchad demeurera en paix, alors je partirai sans demander la permission. »

Si parmi eux il y a des gens qui ont du sang sur les mains, laissons du temps au temps. Inutile de créer une juridiction pour cela : les victimes pourront toujours porter plainte et obtenir gain de cause, comme cela s’est produit au Tchad avec les agents de l’ex-DDS du temps de Hissène Habré. La réconciliation nationale est un préalable. Sans cela, l’essentiel du territoire centrafricain restera sous la coupe de bandes armées.

L’utilité et les capacités opérationnelles de votre armée sont reconnues, notamment par vos partenaires français. Mais s’agit-il de l’armée du Tchad ou de la vôtre ?

J’ai rejoint l’armée tchadienne en 1974, en intégrant l’école des officiers. C’est donc un sujet que je maîtrise. S’il existe aujourd’hui au Tchad une armée nationale multiethnique efficace, capable d’accomplir des missions périlleuses, c’est bien parce que j’ai toujours pensé qu’il ne saurait y avoir de développement sans sécurité et sans stabilité. Cet état de fait, dans un pays où le premier coup de feu a résonné en 1963, trois ans après l’indépendance, et le dernier fin 2008, est en soi radicalement nouveau.

Mon premier souci, après l’arrêt total des hostilités sur l’ensemble du territoire, a été de réorganiser complètement notre armée. En 2011, je me suis installé pendant trois mois dans le centre-ouest du pays et j’ai convoqué à Moussoro l’ensemble des cadres de nos forces. C’est là que nous avons fait le tri et que l’ossature de l’armée actuelle a été refondue. Avant 2011, cette dernière était une sorte de conglomérat issu de différentes tendances politico-militaires, près d’une centaine au total. Depuis, tout a changé au profit d’une force professionnelle et, je le répète, multiethnique. L’armée compte désormais 30 000 hommes issus de toutes les régions du Tchad, avec un quota précis calculé par rapport à la taille des populations. La police, la gendarmerie et la Garde nomade ont été reconstituées sur le même modèle.

Multiethnique à tous les niveaux, y compris à celui des états-majors ?

Absolument. Qu’on me prouve le contraire ! L’armée monoethnique des années 1970 à 1990 n’existe plus.

Votre mandat à la tête de l’UA a coïncidé avec deux épisodes importants. Tout d’abord, votre réélection, en avril 2016, pour un cinquième mandat de cinq ans. Vous disiez pourtant hésiter à vous représenter. Qu’est-ce qui vous a convaincu ?

Chaque pays a ses particularités et son histoire. Je ne suis pas de ceux qui disent « après moi, le déluge ». Je veux être sûr qu’après mon départ le Tchad ne connaîtra pas de soubresauts, que la stabilité et la sécurité seront installées pour de bon. Tel a toujours été le sens de mes candidatures. Si demain j’ai la certitude que si je me retire le Tchad demeurera en paix, stable et uni, alors je ne demanderai à personne la permission d’aller me reposer. Je suis né ici, j’ai vécu ici, je mourrai ici, je n’irai nulle part ailleurs, et mes enfants non plus.

La limitation du nombre des mandats tend à devenir une règle générale de bonne gouvernance. Vous êtes contre ?

A priori, non. La limitation des mandats, tout comme celle du cumul des mandats, n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais, là encore, chaque pays a ses spécificités. Il y a quelques mois, tout le monde tirait à boulets rouges sur Joseph Kabila, soupçonné de vouloir violer la Constitution. J’ai rencontré Kabila pour la dernière fois en octobre 2016 à Luanda et je lui ai posé la question. Il m’a dit ceci : « Je ne toucherai pas à la Constitution, je ne la modifierai pas. Mais si j’annonçais aujourd’hui que je ne me représenterai pas, alors la RD Congo entrerait dans un cycle de violence entre les différents candidats à ma succession. J’attendrai donc le moment opportun. »

Au lieu de nous donner des leçons, de chercher à nous imposer ses valeurs présentées comme universelles, d’exporter chez nous la culture de l’individualisme et la dépravation des mœurs, l’Occident ferait mieux d’écouter nos avis. Un peu de sens de la solidarité et du partage à l’africaine ferait beaucoup de bien à l’Europe.

Autre événement clé de 2016, la crise économique et financière qui a frappé le Tchad de plein fouet. L’avez-vous vue venir ?

Depuis que le premier tanker de pétrole tchadien a quitté le port de Kribi, en octobre 2003, je n’ai cessé de dire à mes compatriotes de ne pas perdre la tête, le pétrole étant une matière périssable, tandis que l’agriculture et l’élevage sont nos deux mamelles. Je me souviens qu’en 2011 j’ai eu une réunion avec des syndicalistes, enseignants et personnels de santé. Ils exigeaient des augmentations.

Je les ai mis en garde : « Plus vous serez augmentés – et vous l’avez déjà été de 450 % –, plus les prix augmenteront. Que ferez-vous quand il n’y aura plus de pétrole ? Serez-vous prêts à revenir en arrière ? » Ils m’ont répondu : « Oui, Monsieur le président. Nous avons connu les arriérés de salaires et les demi-salaires, s’il le faut on s’adaptera. Mais pour l’instant, augmentez-nous ! » Eh bien maintenant, il n’y a plus de revenus du pétrole, ou presque.

Que faire, si ce n’est vivre avec nos propres ressources ? Face aux grèves et aux revendications, les Premiers ministres et les gouvernements successifs n’ont cessé de lâcher du lest, et nous en sommes arrivés au point critique : la masse salariale que doit payer l’État tchadien représente le double de ses recettes. Je regrette qu’on ne m’ait ni écouté ni compris.

Avec son épouse, Hinda, au sommet de Bamako, le 14 janvier. © STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP

Avec son épouse, Hinda, au sommet de Bamako, le 14 janvier. © STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP

Tout de même, n’avez-vous pas abusé de la période d’euphorie pétrolière en lançant des chantiers surdimensionnés aux allures d’éléphants blancs ?

Où sont-ils, ces pachydermes inutiles ? Nous avons construit des routes, des écoles, des universités, des hôpitaux, des dispensaires. L’accès à l’eau potable est désormais assuré pour 53 % des Tchadiens, contre moins de 20 % au début des années 1990. La fourniture d’électricité était de 10 mégawatts en 2003, elle est passée à 183 mégawatts aujourd’hui. En 1990, 400 000 enfants étaient scolarisés. Ils sont aujourd’hui plus de deux millions. En 1990 toujours, lorsque j’ai lancé le chantier de la première faculté de médecine, il y avait au Tchad douze médecins généralistes. La France, le FMI et la Banque mondiale se sont opposés à ce projet, le jugeant non prioritaire. Aujourd’hui, nous avons 600 médecins et 200 autres en formation à Cuba et au Soudan. Vous appelez cela du gaspillage ?

Niez-vous aussi que ces années de vaches grasses furent propices à l’explosion de la corruption ?

Non, je ne le nie pas. Il y a eu une forte corruption. Les villas de luxe qui ont poussé comme des champignons, c’est l’argent du pétrole, nous le savons tous. Depuis 2003, j’ai mis en place tous les garde-fous, toutes les structures de contrôle possibles, jusqu’à la création prochaine d’une cour spéciale chargée d’instruire et de juger ce type de délits. Malgré cela, les mauvaises mœurs ont eu le dessus. Je reconnais le mal et je demande à tous les Tchadiens de m’aider dans ce combat permanent.

Vous taillez dans le montant des indemnités des fonctionnaires et des bourses pour les étudiants. Comment voudriez-vous qu’ils vous en sachent gré ?

Il s’agit là de décisions douloureuses, mais hélas indispensables pour amortir le choc en attendant l’hypothétique remontée des cours du pétrole. Des mesures de compensation sont à l’étude, elles verront bientôt le jour. Reste que la crise a fait prendre conscience aux Tchadiens des réalités telles qu’elles sont, et ce n’est déjà pas si mal. Le Tchad compte quinze millions d’habitants, dont cent mille émargent au budget de l’État : pourquoi devrions-nous mettre toutes nos maigres ressources au service de ces cent mille-là ? Et les autres ? Aujourd’hui, un instituteur gagne plus qu’un médecin vétérinaire : ce n’est pas normal.

Comment mettre un terme à votre bras de fer avec les syndicats ?

Les responsables syndicaux doivent comprendre qu’ils sont eux-mêmes des cadres de ce pays et se rendre à l’évidence : il n’y a pas d’argent. Pour toute l’année 2016, le pétrole a généré moins de 30 milliards de F CFA [45 millions d’euros] de recettes, contre 600 milliards avant la chute des cours ! Il n’y a plus d’argent. Nier cette réalité, c’est mettre en péril les générations futures.

Si les recettes pétrolières sont si faibles, c’est aussi parce que le Tchad a contracté une très forte dette en 2014 auprès de la multinationale Glencore, afin de racheter les parts de Chevron dans les gisements de Doba : près de 1,3 milliard de dollars (960 millions d’euros) qu’il vous faut maintenant rembourser…

Soyons clairs : il s’agissait là d’un très mauvais prêt, contracté à une période de soudure où nous avions de grands projets d’infrastructures. Chevron a abandonné Doba alors que les cours étaient à 110 dollars le baril. Ils sont redescendus juste après, pour atteindre 50 dollars en janvier 2015. Y a-t-il eu délit d’initiés ? J’avoue que je me pose la question. Toujours est-il que cette dette pèse excessivement lourd puisqu’elle nous prend 98 % de nos dividendes dans le consortium de Doba. J’ai donc demandé à Glencore de la restructurer, ce qui a été accepté.

Plus généralement, la chute des cours du brut a pris les pays producteurs de la zone Cemac complètement par surprise alors que nous nous étions tous lancés dans de grands chantiers. D’une croissance à deux chiffres, le Tchad est tombé à presque zéro en 2016.

Le chef de file de l’opposition tchadienne, Saleh Kebzabo, soutient que le fond du problème n’est pas économique mais politique. Il faut, dit-il, un dialogue inclusif débouchant sur de nouvelles élections. Qu’en pensez-vous ?

Cela me fait sourire : le Tchad n’est pas un poulailler. Les élections de 2016 ont été organisées sur la base d’un compromis entre la majorité et l’opposition. Pour la première fois, la biométrie a été généralisée – ce qui a coûté 15 milliards de F CFA à l’État –, et une commission électorale indépendante paritaire a été mise en place, d’un bout à l’autre du processus. Refaire le scrutin n’a donc aucun sens, le pays n’a pas besoin de cela. Quant à M. Kebzabo, il a été cinq fois mon ministre : au Commerce et à l’Industrie, aux Travaux publics, aux Affaires étrangères, au Pétrole et à l’Agriculture. Quelles leçons a-t-il à nous donner ?

La façon dont est géré le franc CFA est un frein au développement de nos pays. Il faut réviser nos accords avec la France. »

Que répondez-vous à ceux qui affirment que votre communauté d’origine, les Zaghawas, ou même votre famille, contrôle le pays ?

Que c’est descendre très bas sur l’échelle des valeurs. Quand on est à court d’arguments et de popularité, on ne cherche pas à déchirer l’unité nationale. Le fait de prétendre à diriger un pays et celui de cultiver une haine viscérale à l’encontre d’une partie de sa population sont totalement incompatibles.

Deux des fils de votre opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, disparu en 2008, sont rentrés à N’Djamena et vous avez nommé l’un d’eux à la tête de la société d’État Cotontchad. Était-ce un « coup » politique ou la volonté de tourner définitivement cette page douloureuse ?

Ni l’un ni l’autre. J’ai à plusieurs reprises demandé aux jeunes cadres de la diaspora tchadienne de rejoindre leur pays, lequel a besoin de leurs compétences. Des médecins, des enseignants, des ingénieurs ont répondu à cet appel. Le fils d’Ibni en fait partie.

Un débat traverse en ce moment les élites africaines à propos de l’avenir du franc CFA. Quelle est votre position ?

C’est un très bon débat. J’ai dit il y a six ou sept ans déjà que ce ne devait pas être un sujet tabou. Les uns déplorent le fait que nous, Africains, ne jouissions pas de notre souveraineté monétaire, d’autres répondent que rien ne saurait remplacer le franc CFA. Voici ma position : le moment est venu de revoir en profondeur les accords monétaires qui nous lient avec la France. Là-dessus, je suis formel. Je ne renie pas pour autant le franc CFA, mais il doit devenir la vraie monnaie souveraine des États qui l’utilisent.

La situation actuelle, où le compte d’opérations des exportations de quatorze pays africains est géré par le Trésor d’un pays européen, fût-il l’ancienne puissance coloniale, ne peut pas perdurer éternellement. Cette période, qui dure depuis soixante-dix ans, est dépassée. Il faut que les autorités françaises acceptent d’examiner avec nous ce qui, dans nos accords, marche ou ne marche pas. Le franc CFA est certes un facteur d’intégration très important, mais là où le bât blesse, c’est que nous n’avons pas la possibilité de placer ne serait-ce qu’une partie de nos ressources dans le circuit bancaire pour qu’elles génèrent des intérêts. Les sommes en jeu se chiffrent en dizaines de milliards. Soyons lucides : la façon actuelle dont est géré le franc CFA est un frein au développement de nos pays. Réviser nos accords avec la France est absolument nécessaire et incontournable.

Vous étiez il y a peu à Bamako pour le sommet Afrique-France. Avez-vous fait, comme d’autres, vos adieux à François Hollande ?

Je ne suis pas allé à Bamako pour dire adieu à qui que ce soit, mais pour participer à un sommet. Je me pose d’ailleurs la question de l’utilité de tous ces sommets Afrique-France, Afrique-Amérique, Afrique-Chine, Afrique-Japon, Afrique-Inde, etc., où les chefs d’État africains se retrouvent face à un chef d’État unique, même s’il dirige un pays puissant. Là encore, cette habitude est démodée.

Je suis pour les partenariats bilatéraux diversifiés, pour les sommets entre l’Union africaine et l’Union européenne par exemple, mais cette manière qu’ont certains de vouloir nous réunir comme des enfants afin de nous dispenser des leçons et de nous lancer à la figure des promesses de financement distribuées au compte-gouttes, dans des pays sélectionnés en fonction de leurs propres intérêts, n’est plus acceptable. Ces milliards devraient être remis entre les mains de la commission de l’Union africaine, qui les gérera et les répartira sur des projets de développement profitables à tous.

Après la chute de Blaise Compaoré, en 2015, nombre d’observateurs prédisaient qu’en 2016 ce serait votre tour, ainsi que celui de Denis Sassou Nguesso et d’Ali Bongo Ondimba. Que s’est-il passé ?

Nous sommes toujours là, vous le voyez bien. Pour une raison très simple : ce sont nos peuples qui décident, pas ces gens dont vous parlez.

LE QUESTIONNAIRE INTIME D’IDRISS DÉBY ITNO

Après la grande interview du président tchadien sur les sujets d’actualité, place aux questions personnelles.

Quelle est votre principale qualité ?
La modestie.

Votre principal défaut ?
Une certaine forme de naïveté.

La qualité que vous préférez chez les autres ?
Qu’ils soient des hommes, ou des femmes, de principe.

Le défaut que vous ne supportez pas ?
Le mensonge.

La personnalité historique à laquelle vous vous référez ?
Aucune.

Qu’est-ce-que l’argent pour vous ?
Je ne l’aime pas. Mon père ne m’a pas appris le matérialisme.

Êtes-vous un homme riche ?
Personne ne peut dire que j’ai des biens mal acquis au Tchad ou à l’étranger, ni que j’ai détourné quoi que ce soit. Sur ce plan, je suis aussi blanc que votre chemise.

Une date importante dans l’Histoire
17 janvier 1961. Assassinat de Patrice Lumumba. Hier, c’était le 56e anniversaire.

Quel métier auriez-vous aimé exercer ?
Médecin.

Votre distraction favorite?
Écouter de la musique traditionnelle tchadienne, parfois soudanaise.

Votre plat favori ?
La pâte de mil.

Votre état d’esprit en ce moment ?
Serein. Dans ma vie, il y a deux choses dont je ne me suis jamais plaint : la fatigue et la faim.

Que voudriez-vous que l’on dise de vous après votre mort ?
Je suis mal placé pour cela. Quand je serai poussière, les gens diront ce qu’ils retienn

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