Biographie : Alain Mimoun, un sportif déchiré entre la France et l’Algérie
Au front et dans les stades, la légende du marathon Alain Mimoun s’est battu pour devenir un Français à part entière. Un livre raconte enfin le parcours exceptionnel du coureur algérien.
Trente-deux titres de champion de France, 12 records de France, 4 victoires dans le Cross des nations et, bien sûr, un sacre de champion olympique à Melbourne en 1956… Le palmarès d’Alain Mimoun est long comme un marathon. Et pourtant l’athlète, encore élu il y a trois ans 10e sportif français le plus populaire via un sondage du Journal du dimanche, n’avait encore jamais eu droit à une biographie.
Des auteurs s’étaient frottés au projet, dont le très polémique Jean-Edern Hallier, venu régulièrement toquer à la porte de « L’Olympe », comme était baptisée la maison du coureur à Champigny-sur-Marne. L’écrivain aurait aimé faire le portrait d’un sportif récupéré, envoûté par de Gaulle, et enquêter sur son rôle dans la guerre d’Algérie.
Mais le champion, prudent, résistait à la tentation du dictaphone. Même sous la plume d’un autre, il ne voulait pas confier son histoire. Se sachant colérique et rancunier, il aurait forcément ressassé de vieilles querelles et terni sa gloire passée. Quelques années après la disparition du porte-drapeau de l’olympisme français, en juin 2013, à l’âge de 92 ans, c’est Alain Billouin, grande signature du journal L’Équipe, fan et ami du sportif, qui prend la plume pour raconter son destin extraordinaire.
Son enfance en Algérie, alors département français
L’ouvrage, Alain Mimoun. Toute une vie à courir, évoque évidemment ce qui a fait sa légende : ses exploits sur piste et sur route, son duel avec le Tchécoslovaque Emil Zatopek, qui a duré une dizaine d’années et que les amateurs savouraient comme un feuilleton, son impact durable sur le « running » tricolore. Mais il approche aussi la vie personnelle de ce Berbère qui avait pour héros, étant petit, Vercingétorix, Jeanne d’Arc et le chevalier Bayard.
À titre militaire, il sera promu et décoré par sept présidents différents.
Car Alain Mimoun, né en 1921 à Maïder, dans le Telagh, au cœur de l’ancien département d’Oran, est l’enfant d’une Algérie lointaine où l’on rassemblait les écoliers « sous les lampions » pour célébrer l’armistice ou le 14 juillet, parmi d’autres fêtes « nationales ». Une Algérie fascinée par les spahis, ces cavaliers redoutés incorporés à l’armée française, aux flamboyants uniformes rouge et bleu. Une Algérie évangélisée par les Pères blancs, qui exerceront une forte influence sur Mimoun, converti en 1955 au catholicisme après un pèlerinage sur les pas de sainte Thérèse de Lisieux.
« Petit garçon, il se passionne pour l’histoire-géographie, c’est un bon élève qui est tombé sous le charme de son institutrice, mademoiselle Bernabé, rappelle Alain Billouin. Il a de la France une vision fantasmée, il se la représente sous les traits d’une belle déesse lointaine… qu’il souhaite très tôt rejoindre. »
Ses espoirs anéantis par la guerre
Ce fils de paysan veut devenir instituteur, mais doit décrocher une bourse d’études pour mener à bien son projet. Les instances académiques refusent… donnant la priorité à des enfants de colons. « J’étais scandalisé, se souviendra le sportif. J’ai compris que j’étais ramené à ma condition de petit Algérien d’Algérie aux horizons bouchés. C’est ce jour-là que j’ai annoncé devant ma mère, médusée : “La seule chance qu’il me reste, c’est de partir un jour en France, la vraie France. L’Algérie est peut-être un département français, mais ce n’est pas la vraie France, c’est une colonie. Je veux être un Français comme les autres. Un jour je partirai.” »
Le 4 janvier 1939, tout juste âgé de 18 ans, il signe un engagement dans le 6e régiment de tirailleurs algériens. Et c’est en combattant pendant près de sept ans que Mimoun va s’imposer comme un « vrai fils de la France », s’affirmant même par la suite, de par ses faits d’armes, « plus français que les Français ». Envoyé à la frontière belge, puis victime de la débâcle, il a effectivement participé à la campagne de Tunisie, puis à celle d’Italie.
À l’inverse des footballeurs qui ont composé une équipe du FLN, il ne s’est jamais engagé pour les indépendantistes.
Pendant la bataille du mont Cassin, le 28 janvier 1944, un éclat d’obus le blesse à la jambe… il échappe miraculeusement à une amputation, préconisée par les médecins américains, lorsqu’il est soigné à l’hôpital français de Naples. Il fait également partie des soldats débarquant en Provence le 15 août 1944… « À titre militaire, il sera promu et décoré par sept présidents différents, rappelle Alain Billouin. Jacques Chirac, dont il était un ami, le fait commandeur de la Légion d’honneur en 1999, Nicolas Sarkozy grand officier de la Légion d’honneur en 2008. À sa mort, il reçoit l’hommage réservé aux célébrités les plus estimées du pays dans la cour des Invalides avec allocution de François Hollande. »
Déchirement culturel entre l’Algérie et la France
Pourtant, sa « francité » ne semble pas aller de soi après-guerre. Alors qu’il est sélectionné pour les JO de Londres de 1948, le masseur de l’équipe de France lui annonce que son « standing » ne justifie pas de soins particuliers (des dizaines d’années plus tard, il cherchera encore à retrouver ce triste personnage pour « s’expliquer » avec lui). Il se fait parfois traiter de « berbère » ou d’« arabe », et n’hésite pas à se bagarrer pour se faire respecter. D’autant qu’il se considère avant tout comme un patriote. Gaulliste passionné, il orne tous les ans le balcon de sa maison de Champigny d’un drapeau tricolore pour fêter la victoire du 8 mai, le 14 juillet et l’Armistice.
Reste une zone d’ombre : la position du champion pendant la guerre d’Algérie. Billouin l’évoque sans en faire l’un des principaux sujets de son livre. L’athlète ne s’est jamais déclaré pour un camp ou un autre. « Tout ce que l’on sait c’est qu’il a été très affecté par les événements, et par exemple par l’arrestation de Ben Bella en 1956, précise Alain Billouin. Il a aussi aidé, en faisant jouer ses connexions politiques gaullistes, à libérer son beau-frère, un activiste qui participait aux manifestations parisiennes du début des années 1960. Il a sans doute été approché… mais, à l’inverse des footballeurs qui ont composé une équipe du FLN, il ne s’est jamais engagé pour les indépendantistes. D’ailleurs, il ne retournera pas dans son pays d’origine avant 1988, pour rendre visite à sa mère. Trop “marqué” du côté français, il devait savoir qu’il n’y était pas le bienvenu. »
Après les accords d’Évian, le 20 juin 1963, étant à l’origine ressortissant d’Algérie vivant en France, Mimoun enregistre officiellement sa « reconnaissance de nationalité française ». Cela va de soi : sa famille (sa femme, Germaine, originaire de Tulle, et sa fille Pascale-Olympe), ses amis, ses collègues vivent dans l’Hexagone. S’il reste un « Algérien de cœur », la France, dit-il, est sa « mère patrie ». C’est à Bugeat, dans un petit village de Corrèze, auprès de son épouse, qu’il repose aujourd’hui.
Dans son hommage rendu dans la cour des Invalides, François Hollande célébrait un champion porté par l’amour de la France, qui courait sur les champs de bataille « pour porter nos couleurs » et sur les pistes des stades « pour faire retentir La Marseillaise. » La route aura été longue pour l’enfant du Telagh.
LIVRE : « TOUTE UNE VIE A COURIR », PAROLE D’UN JOURNALISTE, D’UN FAN, D’UN AMI
Le denier ouvrage de Alain Billouin, ancien journaliste français, est dédié à la vie de son héro. Un portrait richement documenté et critique à l’égard des sportifs actuels.
«J’aimais déjà Mimoun quand j’étais gamin, se souvient Alain Billouin. Pour moi il portait les valeurs de l’olympisme, l’esprit de compétition, l’abnégation, le respect de l’adversaire… des valeurs qui m’ont suivi toute ma vie. » On pourrait douter de l’objectivité de l’auteur, qui ne cache pas son admiration pour la star des podiums, mais cet ancien journaliste de L’Équipe a réalisé un travail d’enquête très complet pour cerner l’athlète et l’homme.
Il a réuni une documentation impressionnante, approché un grand nombre de sportifs, ainsi que la fille du champion, Pascale-Olympe Mimoun, et évidemment rassemblé ses souvenirs personnels. En ressort le portrait d’un incroyable coureur à la discipline de « chef commando », d’une personnalité parfois colérique, toujours attachante, mais surtout hantée par le succès, gage d’intégration et de reconnaissance. En filigrane, Billouin brosse également le portrait d’une autre génération de sportifs, plus préoccupée de défendre le maillot que de toucher le jackpot à chaque apparition.
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