Le combat de Julie Owono pour protéger la vie privée des internautes africains

La jeune Camerounaise, responsable Afrique de l’ONG Internet sans frontières, dénonce l’absence de protection des internautes africains.

Depuis l’affaire Edward Snowden, en 2013, la juriste défend le droit à la vie privée 
des internautes africains. © Alexandre Gouzou pour JA

Depuis l’affaire Edward Snowden, en 2013, la juriste défend le droit à la vie privée des internautes africains. © Alexandre Gouzou pour JA

Publié le 9 février 2017 Lecture : 4 minutes.

« Les dirigeants africains sont obsédés par la surveillance de leurs peuples et la possibilité d’un printemps arabe dans leurs pays. À tel point qu’ils mettent totalement de côté la question de la sécurité des données privées. Résultat : n’importe quel hacker pourrait s’amuser avec les données des internautes. »

Ces propos ont été tenus fin novembre 2016 par Julie Owono, une jeune Camerounaise de 30 ans responsable de la branche Afrique de l’ONG Internet sans frontières (ISF). Longue natte, rouge à lèvres, hauts talons, cette élégante fille de diplomate lutte avec acharnement contre « la surveillance incontrôlée des réseaux en Afrique » depuis son bureau du Centre d’affaires des avocats de Paris (CDAAP).

Le respect de la vie privée ? Sur le marché africain c’est « open bar » pour les entreprises ! »

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Hasard du calendrier, neuf jours plus tard, Le Monde révélera – grâce à des documents livrés par Edward Snowden – la surveillance quasi systématique des chefs d’État, ministres et hommes d’affaires de plus de 20 pays d’Afrique par le GCHQ, les services de renseignements britanniques. Preuve supplémentaire, s’il en fallait une, que la problématique de la liberté et de la sécurité sur internet ne doit plus être négligée.

« J’ai connu un Internet sans limites »

Pour comprendre comment cette avocate est devenue une défenseuse pugnace des droits sur Internet, il faut se plonger dans son parcours. Née près de Mbalmayo, au Cameroun, elle suit à 5 ans et jusqu’à l’âge de 15 ans ses parents à Moscou. Puis c’est le départ pour la France, où elle fait son lycée en internat dans le petit village d’Ussel, en Corrèze. Tout d’abord consultante en relations internationales, elle devient finalement avocate au barreau de Paris. Voilà pour le CV officiel. Car, en parallèle, il y a internet.

Elle parle avec ferveur de son engagement en 2010 au sein du réseau international de blogueurs Global Voices, afin d’attirer l’attention sur les régions francophones du continent à un moment où l’Afrique qui bouge était souvent résumée au Kenya, au Nigeria et à l’Afrique du Sud.

Depuis plusieurs années, des États africains font appel à des entreprises occidentales pour surveiller leurs citoyens.

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Internet comme passion, comme lieu d’expression, mais aussi comme moyen de résistance. « Je suis le genre de personnes dont la vie a été changée par les réseaux. J’ai connu un Internet sans limites, ce qui m’a permis d’être blogueuse, d’écrire pour les plus grands journaux : The Economist, aljazeera.com, Quartz. Mon souhait, c’est que les nouvelles générations – en particulier les femmes – puissent en profiter aussi librement que moi », explique celle qui affiche son militantisme jusque sur son ordinateur, recouvert d’autocollants de cyberactivistes.

Vie privée menacée

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Les révélations d’Edward Snowden en juin 2013 vont réorienter son action. La surveillance de masse exercée par la National Security Agency (NSA) lui fait prendre conscience que son combat ne doit pas se limiter à la question de la liberté d’expression : le droit à la vie privée est menacé. Cela vaut aux États-Unis, en Europe, et surtout en Afrique. « Depuis plusieurs années, des États africains font appel à des entreprises occidentales pour surveiller leurs citoyens », explique la militante.

Le Citizen Lab, un laboratoire de l’université de Toronto spécialisé dans la surveillance des réseaux, a ainsi détecté en octobre 2015 la présence d’un outil de surveillance dans sept pays d’Afrique subsaharienne : Éthiopie, Nigeria, Afrique du Sud, Soudan, Kenya, Gabon et Angola. Cela signifie que dans tous ces pays les dirigeants peuvent scruter en toute impunité les moindres faits et gestes de leurs citoyens connectés.

Mobiliser les citoyens 

Face à cette surveillance de masse, elle organise la résistance et met en place des formations, entre Paris et Abidjan, pour les publics les plus sensibles – les journalistes, les artistes, les opposants politiques –, des gens pour qui la question de la vie privée et des données personnelles « est une question de survie. Je connais des blogueurs qui ont dû fuir, car le contenu de leur ordinateur avait été fouillé, leurs informateurs avaient été torturés ou emprisonnés ».

Depuis peu, elle met ses compétences d’avocate au service de son activisme. « Le numérique prend de plus en plus de place dans nos vies : nos données de santé sont stockées en ligne, etc. Il faut donc bien défendre nos droits dans l’espace cybernétique ! » Elle essaie par exemple d’importer en Afrique l’index Ranking Digital Rights, qui classe des entreprises en fonction de leur degré de respect de la vie privée et de la liberté d’expression, car « sur le marché africain c’est « open bar » pour les entreprises ! »

Par exemple ? Facebook et son projet Internet.org, qui donne accès gratuitement à internet aux Africains à deux conditions : les internautes ne peuvent se rendre que sur une liste réduite de sites (dont Facebook) et ils sont obligés d’accepter le partage de leurs données avec l’opérateur téléphonique, Facebook… mais aussi des tiers, qui pourraient être le gouvernement.

Un problème pour le respect des droits des Africains mais aussi, peut-être, pour les citoyens du monde entier, car « l’Afrique est le laboratoire de toutes les dérives ! » La preuve, internet.org serait en passe de débarquer… aux États-Unis.

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