Richard Lowe – PDG d’Activa : « Malgré la conjoncture morose, je reste très optimiste »
Quelques jours après le lancement de sa filiale européenne – la première hors d’Afrique –, le patron du groupe d’assurances camerounais expose sa stratégie et ses idées pour faire évoluer le marché.
Comment assurer les Africains demain ?
Modernes et adaptées à l’Afrique, les entreprises d’assurances se développent et pourraient bientôt répondre aux enjeux de développement du continent.
En dépit d’une croissance économique atone sur le continent, le fondateur d’Activa, présent au Cameroun, au Ghana, en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia, reste optimiste quant au futur de l’assurance africaine. Le patron camerounais n’élude aucune question et dévoile les ambitions de son groupe, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 66 millions d’euros en 2015, pour un bénéfice de 7 millions d’euros.
Le taux de pénétration de l’assurance reste au-dessous de 1 % en Afrique subsaharienne. »
Jeune Afrique : Ces dernières années, une certaine euphorie régnait chez les assureurs. A-t-elle été douchée par le ralentissement des économies africaines ?
Richard Lowe : L’évolution démographique sur le continent nous rendait optimistes. Je le demeure, parce que le ralentissement lié à la baisse des cours du baril est conjoncturel et que notre enthousiasme concernait plus les particuliers que les entreprises. Le développement de la classe moyenne urbaine se poursuit et va s’amplifier, même si le rythme est plus lent qu’attendu. Nous nous tournons aussi vers ceux qui se lancent dans une activité agricole et vers les ménages à faible revenu, que la micro-assurance doit intéresser.
Le cabinet McKinsey se montre tout de même prudent au sujet de cette classe moyenne…
Certes, elle sera selon lui moins importante que prévu. Mais nous partons de loin. Le taux de pénétration de l’assurance reste au-dessous de 1 % en Afrique subsaharienne [hors Afrique du Sud]. Actuellement, de nombreux jeunes partis étudier à l’étranger rentrent, intègrent les entreprises et font grossir la classe moyenne. C’est une aubaine, puisqu’ils ont besoin d’une panoplie d’assurances. Par ailleurs, selon Deloitte, plus de 200 millions d’Africains seront propriétaires de leur logement à l’horizon 2025.
L’épidémie d’Ebola a conduit certaines populations à prendre conscience de l’importance de l’assurance. »
En 2015, Activa ne semble pas avoir souffert de la chute des prix du baril et de l’épidémie d’Ebola…
Ebola a affecté notre activité en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Mais nous avons continué de croître. Et cela a conduit certaines populations à prendre conscience de l’importance de l’assurance. Même si on note un léger tassement dans ces pays, celui-ci a été largement compensé par une bonne tenue de nos autres implantations. Finalement, notre chiffre d’affaires a augmenté de 18 % et nos bénéfices de 35 %, malgré des coûts de change en hausse.
Vers quelle direction le marché doit-il désormais s’orienter ?
Nous misons sur l’innovation. Nous pensons à des produits en matière de prévention, d’assurance-maladie ou d’assurances individuelles, par exemple pour couvrir les risques de non-remboursement de crédit.
Pensez-vous que banquiers et assureurs doivent créer des structures communes ?
Même si ce n’est pas une nécessité pour nous, il peut y avoir des avantages à être adossé à une banque, notamment en ce qui concerne le circuit de distribution. Mais celle-ci doit être tournée vers les particuliers, comme la banque de réseau, qui peut proposer des produits dans ses agences. Cependant, il s’agit de deux métiers différents. L’assureur prend des risques et les assume en cas de sinistre. Le banquier collecte une épargne pour financer l’économie. Si un groupe s’appuie sur ces deux activités, les choses doivent être séparées en interne.
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer une filiale hors du continent ?
De plus en plus d’entreprises dont les centres de décision sont situés hors d’Afrique nous font confiance. Pour répondre à leurs attentes, nous avons créé le 1er janvier Activa Europe, basé à Paris. En outre, nous avons déjà fondé le réseau Globus, présent dans 45 pays africains, avec une plateforme consacrée aux entreprises.
Pourquoi réalisez-vous moins d’acquisitions que d’autres groupes ?
Chacun a sa stratégie. Avec nos partenaires, IFC [Société financière internationale] et Proparco, nous n’avons pas de pressions venues de fonds de pension. Et grâce au réseau Globus, nous pouvons offrir le service global que les clients multinationaux attendent.
Comment atteindre de nouvelles cibles quand le courtage reste le principal canal de distribution ?
Effectivement, il couvre 75 % des besoins des entreprises. Mais les courtiers ne sont pas outillés pour vendre des assurances aux particuliers, contrairement aux opérateurs de télécoms, aux réseaux de bancassurance et aux mutuelles. La communication digitale est par ailleurs devenue très importante pour nous, par exemple sur les réseaux sociaux. Mais pour développer ces circuits de distribution, nous avons besoin d’être accompagnés par les régulateurs. Ceux-ci doivent intégrer l’évolution des pratiques sociales, par exemple en acceptant que les contrats conclus via un téléphone mobile apparaissent sous une autre forme qu’un document papier signé.
Les régulateurs, dont la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima), imposent une forte contrainte sur les fonds propres. Les groupes africains ont-ils les moyens de suivre ?
Nous avons pris nos dispositions. Tout en reconnaissant la nécessité de conforter les fonds propres des compagnies, je suggère de tenir compte de certains facteurs pour ne pas voir les groupes africains fermer boutique, être absorbés ou fusionner. En zone Cima, le régulateur a décidé que le capital des compagnies d’assurances devait passer de 1 à 3 milliards de F CFA (1,5 à 4,5 millions d’euros) en 2019 et à 5 milliards deux ans plus tard. Or toutes n’ont pas les mêmes besoins en fonds propres.
Les marchés d’assurance-vie sont ainsi constitués d’épargne à 70 %. Il n’y a pas nécessité d’immobiliser autant de capital. Et même au sein des sociétés non-vie, il faudrait différencier celles qui se spécialisent dans les petits accidents et celles qui assurent les raffineries. Pourquoi les investisseurs créeraient-ils une compagnie avec une mise de 5 milliards en capital quand le chiffre d’affaires du marché est plus ou moins équivalent à ce montant ? Par ailleurs, le régulateur veut réduire le recours à la réassurance hors du continent, qui entraîne une fuite des devises. Mais, en tant qu’investisseurs institutionnels, nous avons peu d’instruments de placement dans la zone Cima. Et investir les primes hors du continent nous protège contre les risques de change en cas de sinistre important.
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