Côte d’Ivoire : bienvenue chez les « microbes », les mineurs de la Maca
On les surnomme « les microbes ». Ils ont fait leurs armes dans des gangs avant d’échouer à la maison d’arrêt d’Abidjan. Avec pour seule bouffée d’oxygène le sport et les valeurs qu’il défend.
«Dans le monde, il y a une centaine de GPS. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit… Et, moi, j’en ai pris deux. » Lorsqu’il explique les raisons de sa présence au Centre d’observation des mineurs (COM), au sein de la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), Samy* est presque attendrissant. Petit, frêle, grands yeux vifs, bras constamment croisés dans le dos. C’est un gamin. Il a 12 ans, il est en sixième et n’a pas vraiment le profil type du jeune délinquant. De bonne famille, il a grandi à Cocody, une commune résidentielle d’Abidjan.
Sa vie a basculé il y a un peu plus de deux mois. Avec ses mots, souvent bien choisis, il raconte : « On avait formé un petit groupe dans notre cours d’informatique. On repérait les belles maisons, les endroits où il y avait du luxe, et grâce aux GPS qu’on a pris dans un magasin on donnait leurs coordonnées aux autres, aux grands, qui, eux, pouvaient ensuite attaquer. Mais, au bout d’un moment, ils nous ont dit qu’il fallait que nous aussi on aille sur le terrain… » Le récit est digne d’un film hollywoodien. Mais Samy n’a plus envie de s’en vanter. Après deux mois passés à la Maca, il commence à trouver le temps long, très long.
Le basket comme échappatoire
Alors, en ce samedi matin, lorsque les membres du programme MiLéDou (« On est ensemble », en dialecte mina) arrivent dans la cour du centre d’observation, il fait partie des premiers à s’aligner. Ils viennent deux à trois fois par semaine jouer au basket avec les jeunes détenus. Une petite prouesse dans un pays où le football est roi. Pour preuve, sur les murs décatis du centre, on retrouve les visages dessinés des stars du ballon rond, de Didier Drogba à Lionel Messi, en passant par Samuel Eto’o et Cristiano Ronaldo. Pas ceux des rois de la NBA.
Basket contre discipline, échanges contre respect mutuel.
En deux temps, trois mouvements, les jeunes s’activent. Il faut débarrasser le terrain de jeu des deux vieux matelas posés en plein milieu, des chaises et des seaux d’eau dans lesquels certains font leur lessive. Ils s’y mettent à deux et essorent vite fait les couvertures et les draps, qui, une fois mouillés, sont souvent presque aussi lourds qu’eux.
Les « microbes »
Aux visiteurs qui pourraient se laisser attendrir par le spectacle, l’un des surveillants a préalablement expliqué, en mêlant humour et sérieux, que ces gamins ne sont pas vraiment des « gentils ». « On ne compte plus le nombre de passages que certains d’entre eux ont faits ici, lâche-t-il. On parle de séjour n+ 3, n + 4, etc. » Pas sûr que l’on retienne non plus leurs noms : les gardiens se contentent souvent de les appeler « les mineurs »…
En Côte d’Ivoire, c’est le terme de « microbes » qui prévaut depuis quelques années pour désigner ces jeunes garçons rassemblés au sein de véritables gangs ultraviolents. Ils volent de simples passants, les tuent parfois, et leurs faits d’armes occupent autant les journaux que les esprits. Un véritable phénomène de société, qui commence tout juste à être sérieusement étudié et contre lequel la police ivoirienne a déjà lancé plusieurs opérations de grande ampleur. Une manière de rassurer la population, mais aussi d’éviter les épisodes de vindicte populaire qui ont mené au lynchage de plusieurs « microbes » présumés.
Aujourd’hui majeur, donc assis dans la cour de la Maca, qui jouxte le COM, l’un d’eux a un énorme pansement à la main. Il s’est fait couper le doigt par les propriétaires d’une bâtisse où il a été arrêté. « Il avait volé, donc ils lui ont coupé un doigt, raconte l’un des gardiens. Mais ne vous fiez pas aux apparences, ils sont redoutables. Ils ont récemment dépouillé une femme, membre d’une ONG, qui était venue ici. »
Les téléphones, les objets de valeur, l’argent, sont donc évidemment interdits lors des visites. Le personnel du centre fait aussi particulièrement attention à ne pas laisser entrer de médicaments. Beaucoup parmi ces jeunes se shootent au Tramadol, un antalgique surnommé « la cocaïne du pauvre » qui fait des ravages au Moyen-Orient et en Afrique de l’Ouest.
Logés à la même enseigne
Retour au COM, où le terrain de basket est enfin prêt. Ils sont une petite vingtaine ce matin. Avant l’échauffement, chacun se présente rapidement. Ils viennent de Yopougon et d’Abobo surtout, les deux communes les plus peuplées et populaires d’Abidjan, mais aussi de Treichville, Marcory, Cocody… Toute la capitale économique est « représentée ». Lorsqu’il s’agit de donner son âge, tous sont hilares.
Le trop jeune risquant de passer pour le « bébé » et les plus vieux ayant souvent triché un peu pour éviter de se retrouver de l’autre côté du mur, avec les adultes. Parmi eux, beaucoup de voleurs, donc, mais aussi deux détenus accusés de viol, dont l’un sur une enfant de 5 ans, trois accusés de meurtres, dont l’un pour celui de sa belle-mère… Tous cohabitent et sont logés à la même enseigne, avec incarcération de 16 heures à 9 heures le lendemain.
Basket contre discipline
Histoire de créer une réelle cohésion, l’équipe des apprentis basketteurs est quasiment la même à chaque séance. « Nous ne sommes pas là pour vous divertir ou vous promettre une carrière en NBA. Nous ne sommes pas là pour vous juger, nous sommes là pour vous aider, seulement vous aider », décrète d’entrée de jeu Jean-Luc Agboyibo, fondateur de MiLéDou, dont les activités ne sont, à l’origine, pas liées au milieu carcéral.
L’enjeu est clair : imposer une certaine autorité, mais aussi les règles d’un contrat. Basket contre discipline, échanges contre respect mutuel. Courses, séries de pompes, tirs aux paniers, matchs… rapidement, les visages se décrispent, de grands sourires apparaissent. On s’encourage, on s’applaudit à chaque panier marqué.
Dans un milieu où les psychologues n’existent pas, les membres de MiLéDou tentent d’offrir une petite fenêtre d’expression à ces jeunes. Entre deux exercices, lors d’une pause, ils en isolent certains, les plus fragiles ou les plus doués, pour écouter leurs histoires, leurs parcours, leurs rêves aussi. Difficile pour la plupart d’entre eux, peu enclins à l’exercice et surtout peu habitués à être seuls, isolés de leurs bandes.
« Solidarité, paix, confiance en l’autre »
Pour le programme, le rôle du coach Kara a été fondamental. Éducateur de métier, abidjanais, il connaît les quartiers dont sont issus ces jeunes. Il sait leur parler. « Il nous fallait une porte d’entrée dans ce monde, explique Agboyibo. Et Kara en a été une, essentielle. » Très discret, le coach martèle son discours, avec des mots qui reviennent sans cesse : solidarité, paix, confiance en l’autre. L’entraînement est parfois interrompu par de petits caïds, qui haussent des épaules et ne comprennent visiblement pas l’intérêt de cette activité.
« Restez concentrés, lance Jean-Luc Agboyibo. Vous savez, même s’il ne reste que deux d’entre vous sur le terrain, nous, on continuera à venir ici ! Pour aider ceux qui veulent s’en sortir. »
Il est midi. Le soleil cogne. La séance s’achève. Les surveillants n’en finissent plus de remercier l’équipe d’éducateurs, surpris qu’ils « prennent de leur temps pour venir ici ». Les jeunes délinquants, eux, se sont évaporés aussi vite qu’ils étaient apparus. La vie en détention a repris ses droits. C’est l’heure du déjeuner – dont certains préfèrent se passer –, des tâches collectives, mais aussi pour certains des parloirs ou du coup de fil à la famille.
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