UA : plongée dans les coulisses du retour du Maroc au sein de l’organisation continentale
Plus de trente-deux ans après en avoir claqué la porte, le royaume chérifien a réintégré l’organisation continentale. Plongée dans les coulisses d’un sommet historique venu couronner l’offensive diplomatique lancée par Mohammed VI en juin dernier.
Union africaine : tout savoir sur le 28e sommet des chefs d’États africains
Les 30 et 31 janvier dernier, Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, accueillait la grande réunion des représentants et chefs de gouvernement africains.
Sur l’esplanade du siège de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba, zébrée par l’ombre des 54 drapeaux des États membres, la Mercedes noire aux vitres teintées de Mohammed VI (M6) file sous bonne escorte en direction de l’Africa Hall. Il est 14 h 20, ce 31 janvier, jour de clôture du 28e sommet de l’organisation continentale. Un 55e fanion, rouge frappé d’une étoile verte à cinq branches, aurait dû être levé quelques heures plus tôt, mais le huis clos des chefs d’État a pris du retard.
Parmi les résolutions soumises à l’approbation des chefs de délégation, vers 13 heures, celui portant admission du Maroc. Le nouveau président en exercice de l’UA, Alpha Condé, demande, comme après la présentation de chaque projet : « Y a-t-il des objections ? » Il regarde en direction du tableau électronique où apparaissent les demandes d’intervention, pays par pays. Rien ne s’affiche. Alors il déclare : « Adopté ! » Le coup de marteau libératoire retentit dans la salle.
Trente-deux ans d’absence
Le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar, sort de l’assemblée, emprunte l’un des ascenseurs et se dirige vers le bureau juridique de l’institution, où il dépose les instruments de ratification que lui avait remis, la veille, l’ancienne présidente de la Commission, Nkosazana Dlamini-Zuma. Le Maroc devient officiellement le 55e membre de l’UA. Le roi est prévenu, il peut quitter le Sheraton, où il séjourne depuis le 27 janvier, et venir siéger aux côtés de ses pairs.
Il faut être comme une girafe, et regarder loin. Cette décision aura des conséquences.»
Le royaume retrouve la grande famille africaine, plus de trente-deux ans après en avoir claqué la porte, le 12 novembre 1984, après que l’Organisation de l’unité africaine (OUA) eut accepté en son sein un 51e membre, la République arabe sahraouie démocratique (RASD), État autoproclamé par le Front Polisario – sur une bande de sable dont le royaume chérifien revendique la souveraineté depuis le départ des colons espagnols, en 1975. La RASD est notamment soutenue par l’Algérie, mais aussi par l’Afrique du Sud, l’Angola et plusieurs pays d’Afrique australe.
Accueil chaleureux
Devant la porte qui mène à l’assemblée, le roi, talonné par certains des hommes qui, en coulisses, œuvrent depuis un an et demi à ce retour, s’arrête un instant et salue la presse marocaine, venue en nombre immortaliser l’événement. Son entrée dans la salle provoque applaudissements et youyous en provenance des gradins. Le monarque se retourne et leur fait un signe de la main, puis s’installe dans un siège qui lui a été préparé par la responsable du protocole : plaque et fanion sont bien en place. Assis derrière lui, Salaheddine Mezouar, ainsi que son ministre délégué aux Affaires étrangères, Nasser Bourita, et son plus proche conseiller, Fouad Ali El Himma
Après la prestation de serment des nouveaux membres des commissions de l’UA, Alpha Condé invite M6 à se rendre à la tribune pour son discours. « Il est beau le jour où l’on rentre chez soi… » Salve d’applaudissements, y compris ceux, timides, du président de la RASD, Brahim Ghali, et du ministre algérien des Affaires maghrébines, de l’UA et de la Ligue des États arabes, Abdelkader Messahel. Abdelmalek Sellal, son Premier ministre, lui, est absent.
Revenir aux côtés de la République arabe sahraoui démocratique ?
Très ému, M6 voit là l’aboutissement d’un long travail diplomatique. Intronisé le 23 juillet 1999, il s’était rapidement tourné vers le Sud. « Les relations bilatérales ne se sont jamais interrompues, mais le sommet Afrique-Union européenne de 2000 [au Caire] a été décisif », se souvient un proche. Dès lors, des liens se nouent lors des grandes réunions internationales avec les dirigeants subsahariens. « À l’occasion d’entretiens, puis de déjeuners, certains deviennent des amis », poursuit notre source. Le royaume a déployé une véritable diplomatie économique à travers tout le continent, comme le rappelle M6, qui évoque les quelque 1 000 partenariats signés entre 2000 et 2016, contre un peu plus de 500 entre 1950 et 1999.
L’idée d’un retour « à la maison » a commencé à germer au début des années 2010. L’UA avait remplacé l’OUA en 2001, et « une nouvelle génération de dirigeants avait fait son apparition, nous recevions des demandes de la part de nos amis africains », explique Salaheddine Mezouar. Avec l’aide de Nasser Bourita et du conseiller royal Taïeb Fassi Fihri, les démarches s’accélèrent. Reste une question épineuse : le Maroc peut-il venir siéger dans la même enceinte que la RASD ? La position est d’abord la suivante : poser comme condition à ce retour la suspension de la RASD.
En juin 2016, le président rwandais, Paul Kagame, hôte du 27e sommet de l’organisation, qui allait se tenir un mois plus tard, se rend à Rabat en visite officielle. Le retour est évoqué. Kagame convie le roi à Kigali. La diplomatie chérifienne part ensuite à la conquête de soutiens, visitant pas moins de 41 pays – dont l’Algérie – en deux semaines et demie avant de débarquer dans la capitale rwandaise avec une motion signée par 28 pays sur 54, qui « saluent la décision du royaume du Maroc d’intégrer l’UA, […] et décident d’agir en vue de la suspension prochaine de la RASD ». Mais, après l’avoir envisagé, M6 renonce finalement à se rendre à Kigali.
Obtenir la majorité
C’est que, rapidement, ce retour conditionné commence à faire débat, y compris parmi les soutiens du royaume. La diplomatie marocaine doit consentir à assouplir sa position, la priorité étant d’obtenir un satisfecit pour son adhésion. Le 22 septembre, elle officialise sa demande par l’envoi d’un courrier à Nkosazana Dlamini-Zuma. Le texte ne fait aucune mention de la RASD. « À Kigali, nous avons démontré que tous les membres n’avaient pas la même opinion.
Ensuite, nous avons adopté une position plus sage, ce qui a mis à l’aise tout le monde », confirme Mezouar. Le roi veut maintenant s’assurer du soutien d’une majorité simple de membres de l’UA, soit au moins 28, et entame une tournée en Afrique de l’Est. Mais les pays proches de la RASD grondent, et Dlamini-Zuma retarde le processus. Au point que le monarque est contraint de solliciter l’intervention du Tchadien Idriss Déby Itno (IDI), président en exercice de l’UA.
Quarante jours après avoir reçu la demande des mains de Mezouar, Dlamini-Zuma en informe enfin les États membres. Après la Tanzanie et le Rwanda, M6 se rend en Éthiopie, qui accueille le prochain sommet et où il vient de nommer une ambassadrice, Nezha Alaoui M’hammdi. Parallèlement, le Maroc est tenu informé en temps réel des réponses à sa demande d’adhésion. Selon Rabat, 42 pays s’y disent favorables. Le 20 janvier, l’acte constitutif de l’UA est ratifié par le Parlement marocain. Le processus est lancé.
Long processus d’adhésion
Arrivée à Addis-Abeba avant le roi, la délégation marocaine doit effectuer les derniers réglages pour éviter le moindre couac. Le 26 janvier, Mezouar rencontre Dlamini-Zuma dans l’enceinte de l’UA. Officiellement, il s’agit de faire le point sur l’évolution de la procédure. Mais le face-à-face tourne à la mise au point. « Pourquoi avez-vous mis quarante jours pour transmettre notre demande ? Et pour quelle raison n’avez-vous pas informé les pays membres et le Maroc après avoir reçu le nombre de réponses favorables suffisantes ? Les textes n’étaient-ils pas assez clairs ? » demande le chef de la diplomatie marocaine. « Il fallait que je clarifie votre demande d’adhésion. J’étais dans mon rôle », répond Dlamini-Zuma, qui lui explique sa vision de la procédure.
Invité par le Premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, le roi s’envole de Rabat le 27 janvier dans l’après-midi. Rien n’indique encore qu’il participera au sommet. Lors de la réunion afro-arabe, en novembre, à Malabo, il avait quitté l’assemblée en voyant la présence du drapeau sahraoui. Le 28, IDI reçoit Alpha Condé, son futur successeur à la tête de l’UA, et Dlamini-Zuma. C’est l’un des tournants de la finalisation du retour marocain. Dans la résidence de l’ambassadeur du Tchad, Dlamini-Zuma propose que la question du Maroc soit examinée lors de la retraite, qui doit se tenir le lendemain. IDI s’y oppose.
Apaisement après les élections
Craignant que le caractère plus restreint de la rencontre n’encourage pro- et anti-Marocains à s’affronter, il propose « avec insistance », selon une source diplomatique, que ce point soit inscrit à l’ordre du jour du huis clos des chefs d’État du 30 janvier. Alpha Condé accepte. Dlamini-Zuma cède. Mais IDI ne s’arrête pas là. Il suggère que l’élection du nouveau président de l’UA se fasse avant l’examen de la demande marocaine. Ses deux interlocuteurs acquiescent. C’est donc le président guinéen qui arbitrera les débats.
Le 29, à la veille de l’ouverture du sommet des chefs d’État, Mohammed VI lance une dernière offensive diplomatique. Il organise un cocktail dans un salon du Sheraton. Quarante-quatre pays sont représentés sur les 47 invités. Accueilli par Macky Sall, fer de lance de ses soutiens, le roi est l’un des derniers à faire son apparition. L’ambiance est bon enfant, on se tape sur l’épaule, on prend quelques selfies. Extinction des feux à 21 h 30.
Par souci d’apaisement, Mohammed VI a décidé de supprimer plusieurs passages pugnaces de ce son discours. »
Malgré ces efforts, le lendemain, le retour du Maroc reste incertain. Depuis plusieurs jours, dans les couloirs de l’Africa Hall, les délégations réticentes multiplient les apartés. Les rumeurs les plus folles circulent. La plus sérieuse voudrait que l’Afrique du Sud tente de retarder le processus en demandant la formation d’un comité de chefs d’État pour étudier la demande marocaine. Ce climat de suspicion est d’autant plus prononcé que le bureau juridique de l’organisation a fait circuler au sein des représentations diplomatiques un document de dix pages dans lequel il émet un avis sur la question. Un texte très engagé et très critique vis-à-vis de Rabat.
Consensus malgré les réticences
La question marocaine est le point 2 à l’ordre du jour. Très rapidement, deux camps se forment. Le président zimbabwéen, Robert Mugabe, ouvre les hostilités. Il affirme que l’acte constitutif de l’UA ne peut accepter un pays « qui occupe une partie du territoire d’un État membre », à savoir le Sahara occidental. S’engage alors un débat qualifié de « juridisme. On tournait en rond », soupire un diplomate. Si l’Algérie prend plusieurs fois la parole, elle préfère laisser d’autres mener la fronde. « Il faut être comme une girafe, et regarder loin, prévient le Lesotho. Cette décision aura des conséquences. »
Lors de sa deuxième et dernière intervention, Brahim Ghali va jusqu’à affirmer que « le Maroc viole, tue et pille [leurs] ressources ». Un « dernier baroud d’honneur », selon un chef de gouvernement. Pour Macky Sall, à partir du moment où une large majorité de membres a répondu positivement à la demande écrite du Maroc, l’admission de ce pays s’impose. « Le reste, dit-il, c’est de la politique, et on peut en débattre, mais pas dans le cadre de l’ordre du jour de cet après-midi. »
Finalement, après avoir été offensif, le Sud-Africain Jacob Zuma décide de calmer le jeu. C’est le déclic. Tous les pays hostiles à l’entrée du Maroc s’alignent sur la position de l’Afrique du Sud. Quelques minutes plus tard, Alpha Condé propose que « l’admission du Maroc soit adoptée par consensus ». Le recours au vote, tant redouté, est évité.
Première étape vers le dialogue ?
Le lendemain, M6 consent à siéger à quelques mètres de Brahim Ghali, ce qu’il se refusait de faire jusque-là. « Par cinq fois, les Marocains ont tenté de nous faire exclure, sans succès, soutient Mohamed Salem Ould Salek, le ministre sahraoui des Affaires étrangères. Ils ont accepté de siéger avec nous, c’est une victoire. » Côté marocain : « C’est une première étape, répond un diplomate. Dans quelques mois, quelques années, nous nous retrouverons à Addis pour fêter autre chose. » Comprendre : l’exclusion de la RASD.
En outre, si la démarche marocaine a cristallisé tant d’inquiétudes, c’est parce qu’un certain nombre d’États craignent que la rivalité entre les deux géants maghrébins ne divise l’organisation panafricaine. « Le conflit autour du Sahara est d’abord un problème entre l’Algérie et le Maroc. Un problème entre deux voisins à l’histoire commune, aux peuples très proches, qui doivent s’asseoir pour discuter », concède Mezouar. Les bons offices de l’UA contribueront-ils à réconcilier les deux pays rivaux ?
Avant de prononcer son discours, Mohammed VI en a évoqué les grandes lignes avec Alpha Condé et, par souci d’apaisement, a décidé d’en supprimer plusieurs passages pugnaces à propos du Sahara. Et si, pendant le sommet, les délégations marocaine et algérienne n’ont eu aucun échange officiel, lorsque Mezouar, Bourita et Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, sont tombés nez à nez dans le lobby du Sheraton, ils ne se sont pas évités, mais se sont salués en se donnant une accolade chaleureuse.
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