Littérature : « No Home », une saga familiale marquée par l’histoire de l’esclavage

Ghanéenne née en 1989, Yaa Gyasi a connu un succès foudroyant aux États-Unis avec son premier roman, « No Home ».

L’écrivaine Yaa Gyasi, née à Mampong, au Ghana. © michael lionstar

L’écrivaine Yaa Gyasi, née à Mampong, au Ghana. © michael lionstar

Publié le 7 février 2017 Lecture : 3 minutes.

Phénomène littéraire de l’année 2016 aux États-Unis, No Home avait été acheté pour plus de 3 millions de dollars à Londres, en 2015, par l’éditeur new-yorkais Knopf. Porté par le talent d’écriture d’une jeune auteure qui entend bien s’inscrire dans l’histoire littéraire américaine, No Home est un lacis complexe de récits entrecroisés, enjambant sans cesse l’Atlantique entre l’Amérique et le Ghana. Roman-fleuve de plus de 450 pages, il se déploie sur près de trois siècles, du XVIIIe à nos jours.

 On a longtemps perçu l’esclavage comme quelque chose qui était éloigné de notre propre histoire.

Tout commence dans un village fanti où la jeune Effia, malmenée par sa belle-mère, est mariée de force à un officier britannique. Nous sommes alors au XVIIIe siècle, et le Ghana est l’une des plaques tournantes du commerce triangulaire. Effia s’installe au fort de Cape Coast, sur la côte de l’Or, en compagnie de celles qu’on appelle « les filles », ces femmes indigènes qu’on refuse de reconnaître comme de véritables épouses.

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Apprendre sa propre histoire

Comme nombre de ces femmes mariées sous la contrainte, Effia donne naissance à un enfant métis, Quey. Élevé parmi les Blancs de Cape Coast, Quey est ensuite éduqué en Angleterre, puis formé au commerce des esclaves comme son père négrier. « On a longtemps perçu l’esclavage comme quelque chose qui était éloigné de notre propre histoire. Il y a une absence d’éducation sur le sujet en Afrique », juge Yaa Gyasi.

No Home s’applique à mettre en lumière, sans se voiler la face, l’implication des Africains eux-mêmes dans la traite. « Il y a des personnages qui nient leur complicité et d’autres qui l’admettent sans pouvoir y échapper », explique l’auteure.

Et après l’esclavage ?

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L’ironie cruelle de No Home veut qu’Esi, la demi-sœur d’Effia, soit elle-même enfermée dans les cachots de Cape Coast, avant d’être déportée vers l’Amérique. Alors que la descendance d’Effia s’enrichit du commerce macabre des hommes, Esi vit un calvaire sans nom. No Home décrit sans fard un univers concentrationnaire et d’effroyables conditions de captivité. Il n’y a aucun répit pour la filiation d’Esi, confrontée au racisme et à la ségrégation tout au long du roman.

Le racisme reste institutionnalisé aux États-Unis.

D’un chapitre à l’autre, sa descendance tente de survivre aux mauvais traitements, des plantations du Sud aux mines de charbon en passant par les quartiers pauvres de Harlem. Pour Yaa Gyasi, il était fondamental de dénoncer les formes d’assujettissement qui se sont substituées à l’esclavage. « Les lois Jim Crow ont, par exemple, organisé la ségrégation raciale pendant cent ans », dit-elle.

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Se souvenir pour agir 

Construits comme de lents éveils, les chapitres semblent des tentatives toujours menacées, toujours partielles, de décrypter l’obscurité première de l’esclavage. Comme Toni Morrison, qu’elle a beaucoup lue, Yaa Gyasi se demande comment l’inoubliable a pu être occulté. Il fallait dire, se laisser emporter dans le flux du temps et des malheurs pour comprendre. « Les relations interraciales aux États-Unis s’enracinent dans l’héritage dévastateur de l’esclavage, explique Yaa Gyasi. Le racisme reste institutionnalisé aux États-Unis. »

Avec No Home, la jeune femme, qui a quitté son Ghana natal en 1991, deux ans après sa naissance, produit un texte remarquable sur la condition noire, mais aussi un somptueux roman polyphonique naviguant à travers les époques. À la manière d’une conteuse, Yaa Gyasi dénoue le fil de l’écriture dans le labyrinthe d’une généalogie complexe. Son roman recompose, fragment par fragment, la mémoire dense et entremêlée de la diaspora noire.

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