États-unis : avec Donald Trump, la fin de l’Alliance atlantique ?

Moins d’un mois après son investiture, Donald Trump ne fait plus mystère de son intention de faire exploser l’Union européenne. Guerre commerciale et diplomatique en perspective !

Manifestation anti-Trump devant la porte de Brandebourg, à Berlin, le 21 janvier 2017. © Stefan BONESS/PANOS-REA

Manifestation anti-Trump devant la porte de Brandebourg, à Berlin, le 21 janvier 2017. © Stefan BONESS/PANOS-REA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 14 février 2017 Lecture : 6 minutes.

Certains espéraient qu’une fois installé à la Maison-Blanche l’iconoclaste candidat Donald Trump se calmerait un peu. Qu’il finirait par se plier aux mœurs et traditions de la diplomatie américaine. Il n’en est rien. Depuis son intronisation, le 20 janvier, il a tour à tour provoqué, insulté ou humilié le Mexique, l’Allemagne, l’Irak, la Chine, l’Iran et l’Australie.

Les Européens, par exemple, ont été abasourdis de l’entendre souhaiter ouvertement l’échec de leur intégration. Même George W. Bush (lire ci-dessous) n’était pas allé aussi loin ! Le 15 janvier, dans un entretien accordé au quotidien britannique The Times et au tabloïd allemand Bild, il s’est livré à une attaque en règle contre l’UE, qu’il estime n’être qu’un « instrument pour l’Allemagne », raison pour laquelle « le Royaume-Uni a eu bien raison d’en sortir ».

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L’Otan et l’Europe humiliées

Le Brexit, qu’il applaudit, a selon lui été provoqué par l’afflux des réfugiés, car les peuples veulent « préserver leur identité ». Il s’attend donc à ce que « d’autres pays sortent de l’UE ». De manière générale, la politique migratoire d’Angela Merkel a été, à l’en croire, une « erreur catastrophique ». Enfin, les États-Unis ont fâcheusement tendance « à importer trop de Mercedes ». Quant à l’Otan, elle est carrément « obsolète » parce que les Européens ne la financent pas assez et qu’elle a échoué à combattre le terrorisme.

Soit nous nous prenons en main, en particulier en matière de défense, soit il va tenter de nous diviser.

Cette philippique a été particulièrement mal reçue par les Allemands, qui, depuis 1945, se voient comme le plus ferme soutien des États-Unis, hérauts de l’Occident et garants de leur sécurité. L’article 5 du traité de l’Atlantique Nord ne prévoit-il pas un soutien automatique à tout membre de l’Otan attaqué ? Lâchage militaire potentiel, dénonciation de la sous-évaluation de l’euro qui permet à leurs industriels d’exporter à outrance… les Allemands ont de sérieuses raisons de s’inquiéter. Pour eux, c’est carrément un bouleversement de l’horizon géostratégique.

Vive le Brexit	! Conférence de presse de Donald Trumpet Theresa May, à la Maison-Blanche, le 27 janvier 2017. © Andrew Harrer/Bloomberg via Getty Images

Vive le Brexit ! Conférence de presse de Donald Trumpet Theresa May, à la Maison-Blanche, le 27 janvier 2017. © Andrew Harrer/Bloomberg via Getty Images

Menace pour l’union et la paix

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Trump renoue ainsi avec le vieil isolationnisme du début du XXe siècle. À l’époque, aucun président américain, à l’exception de Woodrow Wilson, ne croyait au multilatéralisme. Dans sa conception purement économique du monde, qu’il considère comme une « jungle », il n’y a ni alliés ni ennemis. Seulement des occasions à saisir, des rapports de force à instaurer, des intérêts à préserver. L’Afrique et son Union seraient bien inspirées de s’en souvenir !

Pour lui, l’UE et l’Allemagne ne sont que des rivales. Jouant sur la xénophobie et le nationalisme ambiants, il espère démantibuler l’UE, première puissance commerciale mondiale, de manière à négocier en position de force avec chacun de ses membres. Si d’aventure la Chine et la Russie jugeaient bon de s’associer à cette entreprise de démolition, il n’y verrait bien sûr aucun inconvénient !

L’UE n’est pas un self-service où l’on prend des fonds structurels et […] où l’on n’est solidaire de rien.

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Donald Tusk, le président du Conseil européen, en a tiré les conclusions qui s’imposent. Le 31 janvier, il en a informé par lettre ses vingt-huit collègues. Pour lui, l’Union est confrontée à la menace la plus grave depuis sa création, en 1957.

Renforcer l’Europe

« La tendance de la Chine à s’affirmer de plus en plus, en particulier sur les mers ; la politique agressive de la Russie envers l’Ukraine et ses voisins ; les guerres, le terrorisme et l’anarchie au Moyen-Orient et en Afrique ; le rôle majeur qu’y joue l’islam radical ; les inquiétantes déclarations de la nouvelle administration américaine ; tout cela contribue à rendre notre avenir parfaitement imprévisible », écrit-il. D’où son appel à un renforcement de la solidarité européenne : « Nous devrions mettre à profit le revirement de la politique commerciale des États-Unis pour intensifier nos pourparlers avec tous les partenaires intéressés, afin de mieux défendre nos intérêts. »

Washington mis sur le même plan que Pékin, Moscou ou l’État islamique en termes de dangerosité, c’est pour le moins nouveau ! Ce branle-bas de combat en prévision d’une future guerre commerciale transatlantique, aussi. Et dire qu’il n’aura pas fallu un mois à Trump pour déclencher ce formidable séisme !

Peut-être la solution sera-t-elle de limiter l’Union à dix ou douze États, conscients de l’urgence d’un effort collectif pour renforcer leurs solidarités ?

« L’isolationnisme américain classique ne signifiait pas une négation de l’interdépendance. Celui de Trump, si. Et l’agressivité qu’il y met constitue un tournant historique, explique Yves Bertoncini, directeur du think tank Notre Europe-Institut Jacques-Delors. Il nous dit : “Ne comptez plus sur moi pour vous aider à tenir tête à Poutine, à mettre de l’ordre au Sahel, en Syrie et en Libye ou à lutter contre un réchauffement climatique auquel je ne crois pas. »

Il nous place donc devant nos responsabilités. Soit nous nous prenons en main, en particulier en matière de défense, soit il va tenter de nous diviser. Serons-nous capables d’un sursaut pour rester unis ? J’aimerais répondre par l’affirmative, mais l’instinct de survie peut inciter certains pays à se replier sur leurs frontières. Peut-être la solution sera-t-elle de limiter l’Union à dix ou douze États, conscients de l’urgence d’un effort collectif pour renforcer leurs solidarités dans le domaine de la sécurité ou de l’inclusion sociale ? Face à Poutine et à Trump, serons-nous munichois ou gaulliens ? » Bonne question.

L’euro affaibli ?

« Éternels alignés », selon le mot de Jean-Luc Mélenchon, les Européens sont-ils encore capables d’un sursaut ? Le 25 mars, à l’occasion de la célébration par les Vingt-huit du soixantième anniversaire du Traité de Rome, l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne devraient proposer une Europe à géométrie variable censée avancer vers une plus grande intégration, mais sans les pays qui rejettent toute espèce de solidarité en matière migratoire, comme la Hongrie ou la Pologne. François Hollande a prévenu que « l’UE n’est pas un tiroir-caisse ; elle n’est pas un self-service où l’on prend des fonds structurels et […] où l’on n’est solidaire de rien ».

L’UE a donc une bonne occasion d’affirmer sa souveraineté. Le 26 janvier, au micro de la BBC, Ted Malloch, pressenti pour devenir l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’UE, en a rajouté dans les postures antieuropéennes. « J’ai eu dans le passé, a-t-il rappelé, des postes diplomatiques qui m’ont permis de contribuer à abattre l’URSS. Peut-être qu’aujourd’hui une autre Union a besoin d’être domptée. » Le « diplomate », si l’on peut dire, a confirmé que Trump « n’aime pas cette organisation supranationale [l’UE] non élue, mal dirigée par des bureaucrates et qui n’est franchement pas une démocratie ». Il prédit un effondrement de l’euro dans un délai d’un an et demi.

En refusant son accréditation, l’UE enverrait un signal clair de sa foi en elle-même.

LES ÉTATS-UNIS ET l’EUROPE : HISTOIRE D’UNE SOLIDARITÉ FRAGILE

Depuis 1945, les présidents américains ont parfois été au bord de la brouille avec leurs vieux alliés européens, les turbulents féaux gaullo-chiraquiens en premier lieu. Mais ça finissait toujours par s’arranger. Avant Trump, cette immuable solidarité transatlantique n’a connu que deux remises en question.

Pour des raisons qui tiennent en partie à son histoire personnelle, Barack Obama a d’abord tourné ses regards dans une autre direction. Vers cette Asie orientale en pleine renaissance qui, à terme, lui semblait seule en mesure de contester la suprématie de l’Amérique. Les aléas de la lutte contre le terrorisme islamiste l’ont peu à peu ramené à une vision géographiquement plus équilibrée.

L’ère Bush

Avec les marionnettistes néo- et ultraconservateurs qui, en coulisse, manipulaient l’insipide George W. Bush, l’affaire fut plus sérieuse. Ulcérés par l’opposition franco-germano-russe à leur plan de remodelage démocratique du Moyen-Orient – autrement dit à la guerre en Irak –, les Paul Wolfowitz, Donald Rumsfeld, Dick Cheney et consorts formèrent le projet de punir leurs indociles alliés, de casser l’Union européenne et de la transformer en simple zone de libre-échange sous tutelle américaine.

Le plan était à ce point irréaliste qu’il fallut vite y renoncer. Au moins les conservateurs bushiens étaient-ils des internationalistes et des interventionnistes revendiqués. Délirants, peut-être, mais cohérents.

Isolationnistes dans la grande tradition, Trump et ses boys le sont beaucoup moins. Pourquoi sont-ils aussi farouchement hostiles à l’UE ? Parce qu’ils refusent d’être des « pigeons » contraints d’allonger les dollars pour assurer la défense de leurs alliés.

Ils veulent bien l’hyperpuissance, mais sans avoir à en payer le prix. « I want my money back ! » disait naguère Margaret Thatcher, la ménagère de Downing Street. « America first », lui répondent en chœur les boutiquiers trumpiens. On mesure l’ampleur du projet géostratégique !

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