Hydrocarbures : une nouvelle ère s’ouvre pour le continent

Dans un secteur énergétique en pleine mutation, sur fond d’abondance pétrolière et de compétition intense pour attirer les investissements, les analystes s’opposent sur les perspectives de croissance de la production africaine.

Exploitation d’hydrocarbure à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, en février 2011. © Antonin Borgeaud /JA

Exploitation d’hydrocarbure à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, en février 2011. © Antonin Borgeaud /JA

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Publié le 21 février 2017 Lecture : 8 minutes.

En Afrique subsaharienne, l’addiction aux hydrocarbures fait la différence (photo d’illustration). © BRUCE STANLEY/AP/SIPA
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Pétrole et gaz : quand les majors relèvent la tête

Après quelques années d’adaptation à la baisse du prix du baril, les majors du pétrole comme Eni, Shell, BP et Total se sont refait une santé. En grande partie grâce à l’Afrique.

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Il faudra s’y faire. Le retour du cours du pétrole – qui se situe actuellement autour de 57 dollars – à plus de 100 dollars le baril n’est pas pour demain. « L’accord sur une réduction de la production conclu par les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), fin septembre à Alger, a eu un effet à court terme, mais il ne va pas propulser les prix aux niveaux d’avant la chute de 2014 », estime le trader ivoirien Charles Thiemele.

« D’une part parce que la discipline au sein de l’organisation sera difficile à faire respecter, y compris en Afrique ; d’autre part parce que les pays hors Opep – qui sont de plus en plus nombreux – ne vont pas forcément suivre et se restreindre », ajoute ce spécialiste qui achète et vend des produits pétroliers depuis et vers le continent pour le négociant suisse AOT. Ce diagnostic douloureux pour le secteur est désormais partagé par la plupart des dirigeants des grandes compagnies pétrolières, dont les quatre patrons des géants les plus actifs en Afrique : Patrick Pouyanné, du français Total, Claudio Descalzi, de l’italien ENI, Darren Woods, de l’américain ExxonMobil, et Bob Dudley, du britannique BP.

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Mutation du secteur énergétique 

Publié fin janvier par les équipes de ce dernier, le rapport « BP Energy Outlook », qui fait référence en matière de prospective pétrolière, dresse le portrait d’un secteur énergétique en pleine mutation. Selon Spencer Dale, l’économiste en chef de BP qui en a coordonné la rédaction, le monde connaît actuellement une « période d’abondance », avec des réserves pétrolières mondiales qui ont doublé en trente-cinq ans : pendant cette période, pour chaque baril extrait du sous-sol, deux ont été découverts.

Sur ces larges volumes mis au jour, 65 % – soit 1 700 milliards de barils – sont situés au Moyen-Orient, dans les États de l’ex-URSS ou en Amérique du Nord. Alors que les cours paraissent installés pour longtemps entre 40 et 80 dollars le baril, les grands producteurs ont le choix entre les gisements disponibles et vont logiquement privilégier ceux qui pourront être exploités à meilleur coût.

Production maximum

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Dans ce contexte d’abondance pétrolière et de compétition intense pour attirer les investissements, les économistes de BP pensent que la production de pétrole africaine a atteint son apogée, avec 8,4 millions de barils par jour en 2015. Et parient sur une légère baisse à l’horizon 2035, avec 8,3 millions de barils. « C’est un scénario pessimiste, fondé notamment sur la situation politique actuellement difficile de grands pays producteurs africains, comme le Nigeria et la Libye, estime Charles Thiemele.

Or ces deux pays, qui vont nécessairement se stabiliser, reviendront à des niveaux de production importants à moyen terme. Il est encore temps pour les gouvernements africains de faire mentir le scénario de BP, notamment en investissant eux-mêmes dans les infrastructures de transport – pipelines, ports et centres de stockage – pour rendre leurs pays plus attractifs et moins dépendants des multinationales pétrolières. »

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Réserves de gaz

En attendant, Mansur Mohammed, analyste pour l’Afrique subsaharienne chez Wood Mackenzie, prévoit pour 2017 la reprise des grands projets extractifs gaziers et pétroliers sur le continent – tous gelés depuis 2014. « Au cours des cinq dernières années, il y a eu de gigantesques découvertes gazières au Mozambique, en Tanzanie, et plus récemment au Sénégal et en Mauritanie. Nous prévoyons que des décisions finales d’investissement soient prises pour six grands projets de GNL [gaz naturel liquéfié] flottant sur le continent », explique-t-il.

Ce à quoi il faut ajouter, pour l’Afrique du Nord, le mégaprojet gazier de Zohr, mené par ENI au large de l’égypte. Ces nouveaux gisements gaziers devraient faire passer la production africaine de 20 milliards à 30 milliards de pieds cubes par jour entre 2015 et 2035, permettant au gaz de prendre progressivement la relève du pétrole sur le continent.

Vers l’autosuffisance énergétique ?

Reste une grande inconnue, de l’aveu même des rédacteurs du « BP Energy Outlook » : la consommation énergétique africaine. La population du continent – représentant 16 % de celle de la planète – consomme actuellement moins de 4 % de l’énergie mondiale. Selon BP, cette demande devrait augmenter de 77 % dans les vingt prochaines années, mais il est difficile de prévoir l’évolution de sa composition – entre pétrole, gaz et énergies renouvelables – et son influence sur les marchés.

Pour réduire leur dépendance aux marchés internationaux et aux fluctuations de prix, les Africains auraient tout intérêt à augmenter la consommation locale du pétrole et du gaz qu’ils extraient, par exemple en développant le raffinage pour se fournir en carburant, ou en s’équipant de centrales électriques à gaz pour satisfaire leurs besoins énergétiques.

Jeune Afrique poursuit cette démarche prospective en dessinant les tendances à venir pour chacune des principales régions productrices du continent.

Dans l’Ouest, de nouveaux producteurs appelés à plus de productivité

« L’arrivée d’une major pétrolière comme BP en tant que partenaire de Kosmos Energy dans ses projets gaziers au Sénégal et en Mauritanie est une bonne nouvelle pour ces pays dont l’expérience dans le secteur des hydrocarbures est encore jeune », estime Mansur Mohammed, de Wood Mackenzie, pour qui ces pays doivent consolider leur industrie de services à ce secteur. « Les pays d’Afrique de l’Ouest – hier le Ghana et la Côte d’Ivoire, aujourd’hui la Mauritanie et le Sénégal, demain la Guinée-Bissau, la Guinée, le Togo et le Bénin – sont partis dans la course au pétrole très tardivement. *

La bonne question n’est pas de savoir s’il y a du pétrole chez eux – on en a déjà trouvé ou on en trouvera bientôt –, mais si ces pays vont savoir gérer intelligemment leurs débuts dans le secteur en mettant en place des réglementations pas trop strictes et une fiscalité pas trop lourde », explique le trader Charles Thiemele. On peut à cet égard citer le cas de la Côte d’Ivoire, où le décollage de la production reste lent, avec seulement 83 000 barils par jour (b/j) en 2016, en dépit d’un potentiel proche de celui de son voisin le Ghana, qui atteint déjà 200 000 b/j.

Les ténors du Golfe de Guinée dans le doute

En se montrant plus souples dans leurs politiques de « contenu local » pour attirer les investisseurs et en faisant évoluer leur fiscalité pour s’adapter à la chute des cours, l’Angola et le Congo ont permis, selon Mansur Mohammed, de Wood Mackenzie, de faire avancer leurs grands projets respectifs de Kaombo et de Moho Nord. Menés par le français Total, ils devraient tous deux entrer en production en 2017, permettant de faire repartir les volumes à la hausse. En dehors de ces deux pays, les principaux producteurs du golfe de Guinée sont dans l’incertitude. C’est le cas du Nigeria, qui a cédé en 2016 sa place de leader du continent (1,5 million barils/jour [b/j]) à l’Angola (1,8 million b/j).

« Ce pays, malgré un potentiel de production évident et une industrie pétrolière bien établie, pâtit de la situation politique et sociale compliquée dans le delta du Niger. Il souffre également des incertitudes liées à l’organisation du secteur et à une nouvelle législation pétrolière qui attend toujours d’être ratifiée », note Mansur Mohammed. Dans le domaine gazier également, nombre de projets gas to power sont dans l’expectative du fait des atermoiements des pouvoirs publics dans leur soutien financier à ces programmes d’électrification.

Quant au Gabon, il est « à la croisée des chemins », selon le trader ivoirien Charles Thiemele. Le pays, producteur de pétrole depuis 1960, n’a toujours pas trouvé de relais de croissance. Aucune grande découverte n’y a été réalisée, et sa production – autour de 230 000 b/j actuellement – est en baisse constante depuis 2010. Les tensions politiques et les grèves à répétition qui ont touché les sites de production fin 2016 rebutent les groupes pétroliers, comme en témoigne le départ de Shell, qui a été confirmé début janvier 2017.

L’Est en quête d’investissements massifs

« La prochaine grande décision d’investissement du groupe Total – la première sur le continent depuis la crise de 2014 – devrait être celle concernant notre projet ougandais du lac Albert, pour une dizaine de milliards de dollars d’investissement », confiait début novembre Guy Maurice, directeur Afrique de Total Exploration et Production. La major française croit fermement au potentiel de ce projet onshore mais complexe, dans un pays qui n’a pas de tradition pétrolière.

Elle en a d’ailleurs pris la direction opérationnelle en rachetant les parts de son partenaire britannique Tullow Oil en décembre dernier. Reste que, pour que les exploitations aux alentours des lacs Albert (RD Congo et Ouganda) et Turkana (Kenya) démarrent d’ici à 2020, des milliards de dollars d’investissement seront nécessaires pour la construction de pipelines et d’installations portuaires.

Cependant, dans cette zone, c’est surtout le potentiel gazier offshore qui séduit, au large des côtes allant du Mozambique à la Somalie. Les réserves est-africaines faramineuses découvertes par ENI, Anadarko et Statoil, très bien placées géographiquement pour approvisionner les clients chinois et indiens, attirent. Mais, là encore, les ressources financières nécessaires à la construction des infrastructures de liquéfaction ou portuaires sont considérables, et difficiles à trouver, alors que les cours sont bas et qu’il n’y a pas vraiment de demande énergétique structurée dans ces pays.

Le Nord attend le retour de la Libye

Avec des grands producteurs tels que l’Algérie (1,8 million de barils par jour [b/j] en 2015), la Libye (432 000 b/j) et l’Égypte (723 000 b/j), l’Afrique du Nord est la région la plus expérimentée en matière pétrolière, avec des gisements en activité depuis des décennies. « Il y a peu de chances d’y faire de grandes découvertes. Ces pays – en particulier l’Algérie – doivent se structurer pour optimiser au mieux l’exploitation de leurs champs pétrolifères vieillissants, estime Charles Thiemele, négociant chez AOT. Et si la production libyenne a baissé de moitié depuis 2012, du fait de la guerre et de la crise politique, Tripoli n’aura aucun mal à reconquérir ses anciennes positions grâce à sa situation géographique idéale pour approvisionner les raffineries du sud de l’Europe. »

En matière gazière, en revanche, la zone attise les appétits depuis la découverte par ENI, en septembre 2015, du mégagisement de Zohr (Égypte), doté de réserves estimées à 850 milliards de m3 par le groupe italien, soit les plus importantes jamais découvertes en Méditerranée. Le Maroc suscite aussi des espoirs – beaucoup plus modestes, mais réels – avec la découverte d’un gisement de gaz offrant un potentiel de plus de 6 milliards de m3 par an, dans l’est du pays, par le britannique Sound Energy.

Ces gisements gaziers, ainsi que ceux d’Algérie, permettront à court terme de produire de l’électricité pour des marchés énergétiques locaux de bonne taille et dynamiques, compte tenu de leur niveau d’industrialisation et de leur démograp

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