Bénin : Sébastien Ajavon, le roi du poulet, veut transférer ses activités à l’étranger
Ex-candidat à la présidentielle béninoise, l’homme d’affaires, présenté comme la deuxième fortune du pays, se dit victime d’une guerre d’usure. Il cherche à transférer ses activités à l’étranger.
Depuis le 13 janvier, Sébastien Ajavon n’est plus à la tête de sa société Comon-Cajaf, spécialisée dans l’importation et la distribution de produits alimentaires, principalement de volaille surgelée.
L’intéressé lui-même n’a donné aucune explication officielle à sa démission, mais il ne fait aucun doute qu’il s’agit là de la conséquence de ses récents ennuis judiciaires.
Cette décision illustre également la volonté de celui qui est arrivé troisième au premier tour de l’élection présidentielle de mars 2016 de faire en sorte que son engagement politique ne pénalise pas ses activités commerciales.
Le Bénin subit la crise nigériane
Présenté comme la deuxième fortune du Bénin, derrière le chef de l’État, Patrice Talon, Sébastien Ajavon est aussi le premier contributeur fiscal du pays. Depuis 2016, son empire économique a beaucoup souffert. Tout d’abord, en raison de la récession qui sévit au Nigeria, son groupe, détenteur de 50 % des parts du marché de la réexportation de poulet vers ce pays voisin, a vu ses recettes fondre de plus de 70 %.
Une situation assez difficile, que l’affaire, qualifiée de « rocambolesque » par ses proches, des 18 kg de cocaïne retrouvés dans l’un des conteneurs de sa société au port de Cotonou est venue aggraver. C’était le 28 octobre 2016. Gardé à vue pendant sept jours, puis relaxé « au bénéfice du doute » et « pour insuffisance de preuves », il a vigoureusement dénoncé un « complot politique » destiné à l’« humilier ».
Un empire attaqué
Certes, Sébastien Ajavon a bénéficié du soutien de ses pairs durant cette affaire, avec sa reconduction à la tête du patronat béninois. Mais il a également découvert, selon ses proches, que cette « guerre politique » n’était que la face visible d’une guerre d’usure. Car, environ deux semaines après sa libération, et sur le fondement de cette affaire de cocaïne, les douanes béninoises ont retiré à l’homme d’affaires l’agrément qui lui permettait d’opérer sur le terminal à conteneurs de Djeffa. Une mesure perturbant sérieusement le fonctionnement de toute la chaîne de transit du groupe.
Dans la foulée, deux autres symboles de l’empire de Sébastien Ajavon ont également été touchés par des mesures restrictives : la chaîne de télévision Sikka TV et la radio Soleil FM ont été fermées par la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication pour avoir, comme cinq autres médias, violé leurs conventions d’autorisation en modifiant unilatéralement le lieu d’où elles devraient émettre. La radio a été autorisée fin janvier à émettre de nouveau, mais tel n’est pas encore le cas de Sikka TV.
Une alliance politique rompue
Après avoir eu maille à partir avec le régime précédent, sous lequel son groupe a notamment fait l’objet d’un redressement fiscal de 32 milliards de F CFA (49 millions d’euros), l’homme d’affaires béninois espérait un quinquennat paisible, lui qui a été faiseur de roi et membre privilégié de la coalition qui a permis à Patrice Talon de remporter la présidentielle de mars 2016. Mais ce rêve semble s’être brisé.
Autour de Sébastien Ajavon, on laisse entendre que celui-ci n’attend plus grand-chose du pouvoir en place depuis la violation de l’accord formel qu’il avait conclu avec l’actuel chef de l’État : « Nous devions obtenir le tiers des postes ministériels. Nous n’avons eu que trois petits ministères, qui de surcroît sont gérés depuis la présidence. Pour moi, ce n’est pas une bonne collaboration. »
Un conseiller proche du président béninois estime quant à lui : « Ajavon a lui-même cherché les histoires qui le poursuivent. On ne peut pas dire qu’on est dans la mouvance présidentielle et en même temps entretenir des mouvements syndicaux contre le régime. C’est une lubie ! » Dans les salons présidentiels, Patrice Talon refuse de commenter. « Notre alliance a vécu », a-t-il cependant confié à l’un de ses visiteurs du soir, en décembre dernier.
Dans le collimateur du pouvoir
En réalité, les deux plus grandes fortunes du Bénin n’ont jamais connu la parfaite entente, et les déboires actuels d’Ajavon font dire à plus d’un qu’il est depuis longtemps dans le collimateur des gouvernements de son pays. Issu d’une famille de commerçants, l’entrepreneur a fait ses débuts dans les affaires comme directeur commercial de la poissonnerie familiale avant de transformer celle-ci en un empire agroalimentaire pesant aujourd’hui quelque 46 milliards de F CFA de chiffre d’affaires.
Pour cela, il se spécialise d’abord dans l’importation de volaille congelée, avant d’élargir ses activités au transport de ces marchandises. Depuis, l’homme d’affaires contrôle l’intégralité de la filière d’importation sur ce créneau. Ses cargaisons arrivent au port de Cotonou avant d’inonder le marché ouest-africain. Chaque jour, des centaines de camions et de camionnettes remplis de poulets surgelés quittent ses entrepôts et traversent la frontière vers les marchés voisins.
Un récent voyage à Ouagadougou
Selon plusieurs sources proches de l’homme d’affaires, celui-ci n’a aucune envie de perdre le reste de ses plumes au Bénin. Il aurait donc décidé d’entamer des démarches pour s’exiler ou déménager son empire vers d’autres pays de la sous-région. Déjà solidement implanté au Ghana, à travers sa société Cocas, il rêve de faire de même dans d’autres pays africains. Son récent voyage à Ouagadougou fait sans doute partie d’un plan de recherche de nouveaux pays d’accueil pour relancer ses activités mises à mal au Bénin.
Ce qui ne l’a pas empêché, lors d’une rencontre le 9 janvier avec le Premier ministre burkinabè, Paul Kaba Thiéba, en sa qualité de président du patronat béninois, de plaider pour un renforcement de la coopération entre le Burkina Faso et le Bénin.
DU BUSINESS À LA POLITIQUE
Depuis ses déboires avec les nouvelles autorités du Bénin, Sébastien Ajavon apparaît comme l’un des principaux opposants au pouvoir de Patrice Talon, qu’il a pourtant contribué à faire élire.
Le désormais ex-patron de Comon‑Cajaf est un novice en politique : avant de se lancer dans la course à la présidence, en janvier 2016, il n’avait aucune expérience dans ce domaine et ne se revendiquait d’aucun parti. Cependant, celui qu’on surnomme le bouddha de Djeffa, une localité située entre Porto-Novo et Cotonou, était considéré comme l’un des principaux financeurs des différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays.
D’ailleurs, les faveurs et soutiens de ces derniers lui ont permis de consolider sa fortune. Après l’affaire des 18 kg de cocaïne retrouvés dans un conteneur destiné à son groupe, certains leaders politiques lui auraient proposé de prendre la tête d’une grande coalition de l’opposition. Mais, d’après ses proches, l’homme d’affaires entend désormais créer son propre mouvement politique.
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