Côte d’Ivoire : pourquoi la galaxie Gbagbo croit en sa bonne étoile

Le temps joue-t-il en faveur de l’ex-président, jugé depuis un an à La Haye ? Les mutineries au sein de l’armée, les lenteurs de la Cour pénale internationale et les interrogations sur la solidité de son dossier redonnent des couleurs à ses soutiens. Parmi eux, plusieurs chefs d’État africains.

Des militants pro-Gbagbo manifestent devant la CPI, à La Haye, le 28 janvier 2016, jour de l’ouverture du procès. © Peter Dejong/AP/SIPA

Des militants pro-Gbagbo manifestent devant la CPI, à La Haye, le 28 janvier 2016, jour de l’ouverture du procès. © Peter Dejong/AP/SIPA

Christophe Boisbouvier

Publié le 27 février 2017 Lecture : 8 minutes.

Le 6 février, lors de la reprise du procès à La Haye, ils sont revenus par centaines devant le siège de la Cour pénale internationale (CPI) pour manifester leur soutien au prisonnier Laurent Gbagbo. Des Ivoiriens, bien sûr, mais aussi des Camerounais et des Congolais venus par autocar de toute l’Europe. Impressionné, un policier néerlandais a lâché devant l’un des manifestants : « Je suis vraiment étonné. Cela fait cinq ans que je vous vois, et vous êtes toujours aussi nombreux. » En Europe comme en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, l’homme qui a dit non à la France, suscite chez ses partisans une ferveur intacte.

Une famille politique internationale

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Au cœur de la galaxie Gbagbo, il y a Nady Bamba, la seconde épouse, qui s’est installée à Bruxelles, non loin de La Haye, avec David Al Raïs Gbagbo, le fils du couple. Elle rend visite au prisonnier presque tous les jours. En Europe, l’ancien chef de l’État ivoirien s’appuie aussi sur Stéphane Kipré, son gendre, qui a créé son propre parti, l’Union des nouvelles générations (UNG) ; Guy Labertit, le socialiste français de tous les combats depuis trente-cinq ans ; Albert Bourgi, le constitutionnaliste français, d’une fidélité sans faille lui aussi ; et le Franco-Ivoirien Bernard Houdin, un ancien étudiant parisien d’extrême droite qui est aujourd’hui le porte-parole du célèbre prisonnier pour l’Europe.

Les récentes mutineries ouvrent les yeux de certains, qui voyaient dans le nouveau régime un eldorado démocratique

En Afrique, Laurent Gbagbo se repose d’abord sur deux amis de quarante ans, Abou Drahamane Sangaré et Laurent Akoun. À Abidjan, ils sont les gardiens du temple. Avec Alphonse Douati, ils dirigent la faction du FPI qui est restée fidèle à son fondateur et considère Pascal Affi N’Guessan, le chef de l’autre aile, comme un « traître ».

Autre étoile de la galaxie, l’ex-ministre Justin Koné Katinan, qui vit en exil au Ghana depuis six ans. « Partout où les gens se réunissent, je me débrouille pour y être », dit en souriant le principal porte-parole de Gbagbo. Le 30 janvier dernier, à Addis-Abeba, il déambulait discrètement dans les couloirs du 28e sommet de l’Union africaine (UA). Pas étonnant puisque, de bonne source, certains chefs d’État et hommes d’affaires contribuent à l’effort militant.

Pétition à 27 millions de signatures ?

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En septembre 2015, au nom d’un « forum » d’anciens présidents africains, le Mozambicain Joaquim Chissano et le Béninois Nicéphore Soglo ont demandé par écrit à Fatou Bensouda, la procureure de la CPI, « de réexaminer l’affaire Laurent Gbagbo et d’entamer le processus de son retrait ou de son interruption ». En effet, selon les deux anciens chefs d’État, « l’arrestation de Laurent Gbagbo a exacerbé les divisions de la société ivoirienne à tel point que nous sommes maintenant gravement préoccupés par la perspective de la reprise du conflit dans ce pays ».

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Pas de réponse de Fatou Bensouda. En juin 2016, l’écrivain ivoirien Bernard Dadié et l’ex-Premier ministre togolais Joseph Koffigoh ont lancé une pétition dans le même sens. Selon un huissier de justice mandaté par eux, elle a recueilli en janvier 2017 près de 27 millions de signatures – chiffre énorme et invérifiable –, pour moitié en Côte d’Ivoire et pour le reste au Cameroun, au Togo, au Ghana et à travers toute l’Afrique.

Boycott des législatives

Dans ses vœux pour 2017, le prisonnier de la CPI a remercié personnellement Joaquim Chissano, Joseph Koffigoh et Bernard Dadié. « Leur engagement inlassable à nos côtés reste un témoignage fort de fraternité », écrit-il. Mais, ce qui intéresse avant tout l’ancien chef de l’État ivoirien, c’est le crédit qu’il a conservé au pays. Au vu du fort taux d’abstention – 65 % – aux législatives du 18 décembre dernier, il veut croire que les consignes de boycott lancées par son parti ont été largement suivies.

Un taux de croissance exceptionnel de 9 % par an ne règle pas tous les problèmes

S’il reçoit le rapport très fouillé sur la Côte d’Ivoire que les députés de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française ont présenté à la presse ce 15 février à Paris, il aura le plaisir d’y lire, page 25, qu’il « dispose encore d’une forte influence sur le jeu politique ivoirien ». À l’un de ses visiteurs, Bernard Houdin, le détenu de La Haye a déclaré récemment : « Ce sont d’abord les changements dans l’opinion publique en Côte d’Ivoire qui vont modifier la compréhension des choses dans le reste du monde. »

Récupération du mouvement militaire par le camp Gbagbo

Quel bénéfice peut tirer le camp Gbagbo des récentes mutineries en Côte d’Ivoire ? « Elles montrent combien la société ivoirienne est divisée et ouvrent les yeux de certains, qui voyaient dans le régime d’Alassane Ouattara un eldorado démocratique, lance Guy Labertit. Aujourd’hui, François Hollande doit être perplexe. » L’ex-député ivoirien Kouadio Konan Bertin (KKB) renchérit : « Les gens se disent : ‘‘Gbagbo n’avait pas si tort que ça.’’ »

Réplique d’un conseiller du président Ouattara : « Ces mutineries, c’est un peu embêtant, oui, mais c’est limité. La population ne suit pas, bien au contraire. » À Paris, un proche de François Hollande ajoute : « Ces événements prouvent qu’un taux de croissance exceptionnel de 9 % par an ne règle pas tous les problèmes d’un coup de baguette magique. Forcément, cela change un peu le regard de tout le monde sur la Côte d’Ivoire. Mais aucun mutin n’a contesté l’autorité du gouvernement et du chef de l’État. »

Un procès trop long pour être légitime ?

Outre les secousses en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo et les siens essaient de capitaliser sur les couacs à la CPI. « Le 11 avril 2011, les images de l’arrestation de Laurent Gbagbo ont choqué beaucoup d’Africains. Son transfert à la CPI, le 29 novembre de la même année, a été attribué à Nicolas Sarkozy. Tout cela est une honte pour la France », affirme Albert Bourgi. Déjà, en mai 2011, le président Rwandais Paul Kagame déclarait à Jeune Afrique : « Plus je regarde ces images et plus je vois, derrière, l’ombre du metteur en scène étranger.

Le fait que, cinquante ans après les indépendances, le destin du peuple ivoirien soit encore contrôlé par l’ancienne puissance coloniale pose problème. » À La Haye, les lenteurs du procès font dire à Guy Labertit : « On n’a jamais vu un tribunal qui puisse prendre une décision après dix ans d’incarcération. Le discrédit est là. » L’ex-diplomate français Laurent Bigot ajoute : « C’est à se demander si on ne fait pas durer ce procès pour neutraliser politiquement Gbagbo. »

Une justice à deux vitesses ?

Les soutiens de Gbagbo pointent aussi le fait que le camp Ouattara n’est pas poursuivi par la CPI. « Il y a une justice à deux vitesses », estime aujourd’hui, devant les députés de l’Assemblée nationale française, la Nigérienne Aïchatou Mindaoudou, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire. Surtout, les pro-Gbagbo espèrent que, lors de ce procès, l’accusation sera incapable de prouver l’implication de l’inculpé dans les tueries de 2010-2011. « Il est vrai que les témoignages verbaux risquent de ne pas suffire », concède le proche de François Hollande cité précédemment.

 Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des milliers de morts entre décembre 2010 et avril 2011

« Si le dossier sonne creux et si les chefs d’État sont convaincus qu’ils ne soutiennent pas un criminel, les décisions politiques seront simplifiées », explique Bernard Houdin. Réplique d’Ally Coulibaly, le ministre ivoirien de l’Intégration africaine : « Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des milliers de morts entre décembre 2010 et avril 2011. Après le verdict de l’UA, le 10 mars 2011 à Addis-Abeba, M. Gbagbo aurait pu encore négocier une sortie de crise. Mais il n’a rien voulu savoir et a conduit le pays au chaos. Par son autisme, M. Gbagbo est en grande partie responsable de ce qui lui est arrivé. »

Le débat autour de la CPI favorable Gbagbo

Pour Laurent Gbagbo, le mouvement de défiance des chefs d’État africains à l’égard de la CPI tombe à pic. À la manœuvre, il y a le président ougandais Yoweri Museveni. Or, comme ses homologues angolais José Eduardo dos Santos et sud-africain Jacob Zuma, celui-ci regarde avec sympathie le parcours anticolonialiste du socialiste Gbagbo. Depuis 2012, il se dit même prêt à l’accueillir dès qu’il sera mis en liberté provisoire.

« Aujourd’hui, l’impatience des chefs d’État a dépassé l’espace anglophone et lusophone », lance, un peu sibyllin, Guy Labertit. Tous les regards se tournent vers les ex-compagnons socialistes de Laurent Gbagbo qui, aujourd’hui, gouvernent en Afrique de l’Ouest. « Comme il y a une vieille camaraderie entre eux et que Gbagbo les a longtemps soutenus, ils se sentent une forme de devoir amical et moral à son égard », confie un membre influent de l’Internationale socialiste (IS). Un conseiller du président malien souffle pour sa part : « Pour nous, la détention de Gbagbo a assez duré. »

Gbagbo proche de Guterres, le nouveau secrétaire général de l’ONU

De bonne source, le 13 janvier à Bamako, lors du dernier sommet Afrique-France, le Guinéen Alpha Condé a évoqué le cas Gbagbo devant François Hollande, au cours d’un aparté en présence du Malien Ibrahim Boubacar Keïta, du Nigérien Mahamadou Issoufou et du Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré. « Il faut que les Africains gèrent eux-mêmes leurs problèmes. Ce n’est pas l’extérieur qui doit nous imposer des solutions », a dit en substance le président guinéen. Commentaire d’un conseiller d’Alassane Ouattara : « Pendant la crise de 2010-2011, Alpha Condé n’a pas fait preuve d’un grand dynamisme en faveur de Laurent Gbagbo. Et, aujourd’hui, il est prudent, car il a besoin de bonnes relations avec la Côte d’Ivoire. »

Cette année, le chef de l’état guinéen préside l’UA. Est-ce une simple coïncidence ? Dans son équipe, il vient de recruter l’ancien ministre ivoirien Amara Essy, qui a rendu visite plusieurs fois au prisonnier de La Haye. « Bientôt, une initiative politique va être prise au niveau de certains chefs d’État », annoncent plusieurs proches de Laurent Gbagbo, sans vouloir en dire plus. Est-ce en lien avec l’entrée en fonction du nouveau secrétaire général de l’ONU, le socialiste portugais Antonio Guterres, qui a côtoyé le camarade Gbagbo pendant près de vingt ans à l’IS ?

« Laurent Gbagbo constitue le corps, le cœur et la chair douat débat sur l’avenir politique de la Côte d’Ivoire », aime à dire l’infatigable Abou Drahamane Sangaré. Réaction d’un conseiller d’Alassane Ouattara : « Si ses fidèles le prennent pour le Messie, ils peuvent toujours attendre. »

LE SOUTIEN INCONDITIONNEL DE JEAN-LUC MÉLENCHON

Le candidat de La France insoumise à l’élection présidentielle en France a pris plusieurs fois position en faveur de Gbagbo :

« La détention de Gbagbo est un scandale insupportable. Quand [je serai président], Gbagbo sortira de prison puisque j’irai le chercher. », janvier 2016.

« M. Gbagbo a été iniquement envoyé au TPI alors qu’il demandait un recomptage, et on laisseraitM. Bongo nous le refuser en usant de violences sans rien dire ? Mieux vaudrait queM. Gbagbo soit libéré etM. Bongo jugulé. », septembre 2016.

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