Obtenir la nationalité tunisienne ? Une vraie Chakchouka

Au pays de la « révolution du jasmin », l’octroi de la nationalité à des étrangers n’est pas une mince affaire. Comme en témoignent les six mille demandes en souffrance.

Seule une demande de nationalisation sur cinq aboutit. © Damien Glez

Seule une demande de nationalisation sur cinq aboutit. © Damien Glez

Publié le 8 mars 2017 Lecture : 3 minutes.

Le 4 janvier 2016, Alfonso Campisi, 48 ans, fait le buzz. Cet écrivain et professeur de philologie à l’université de La Manouba (Tunis) adresse ce jour-là au président de la République tunisienne un émouvant plaidoyer pour obtenir sa naturalisation. Installé en Tunisie depuis vingt ans, ce Sicilien « se sent tunisien et vit comme les Tunisiens », complètement assimilé, au point d’être salarié de la fonction publique. L’avènement de la démocratie avait conforté Campisi dans son souhait.

Des procédures très lentes

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Cette lettre ouverte avait mis au jour les difficultés que rencontrent les étrangers qui veulent devenir tunisiens. Pourtant, le code de la nationalité est clair : on peut être naturalisé par le mariage ou en en faisant simplement la demande auprès du ministère de la Justice. La nationalité peut également être octroyée à titre exceptionnel pour services rendus au pays. Les conditions à remplir sont les suivantes : être majeur, connaître les bases de la langue arabe, être de bonne moralité, avoir un casier judiciaire vierge, être sain d’esprit et ne pas représenter de danger pour la collectivité.

C’est comme s’il y avait un droit coutumier plus fort que la loi

Rien que de très normal, sauf que le traitement des dossiers traîne tellement en longueur que les requérants finissent par perdre espoir. « Quand un dossier est complet et satisfait aux critères, les magistrats, qui ne peuvent alors émettre de refus, choisissent de ne pas répondre », confirme Jean-François, un entrepreneur français amoureux de la Tunisie qui attend depuis neuf ans une réponse du tribunal. « Comme s’il y avait un droit coutumier plus fort que la loi », déplore Alfonso Campisi, tandis que l’avocat Mehdi Bouaouaja reconnaît que « la Tunisie considère comme un privilège l’octroi de la nationalité. Depuis l’indépendance, on en a fait un symbole de souveraineté auquel se mêle un profond sentiment nationaliste ».

6 000 personnes en attente 

Chaque année, ils sont environ cinq cents à demander la nationalité et une centaine à l’obtenir. À ce jour, six mille personnes attendent l’aval des autorités. Certains contournent les difficultés par le mariage.

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« En tant qu’étranger, je devais avoir dans mon entreprise un associé tunisien, confie Massimo, installé en Tunisie depuis 2004. Faute de quoi je ne pouvais accéder au crédit bancaire ni, a fortiori, être propriétaire. Me marier était la solution la plus efficace. Obtenir une carte de séjour est tout aussi compliqué. Concernant les étrangers, le système est un peu hypocrite pour un pays qui se veut accueillant. »

J’étais à la merci d’un refus de séjour jusqu’à mon mariage avec un Tunisien.

Le mariage, unique solution ?

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Les Algériens nés en Tunisie en savent quelque chose. « Durant les années noires, la Tunisie ne m’a pas accordé la nationalité, bien que ma mère soit tunisienne et que nous soyons installés à Tunis depuis longtemps. J’étais à la merci d’un refus de séjour jusqu’à mon mariage avec un Tunisien », raconte Iman, une sage-femme.

À l’inverse, le président Ben Ali n’avait pas hésité à octroyer la nationalité par opportunisme, à des joueurs de football, comme le Brésilien Dos Santos, pour qu’ils puissent évoluer en équipe nationale, ou par complaisance, comme à Souha Arafat, qui faisait alors des affaires avec Leïla Ben Ali.

Ce que dit la loi

Certaines situations sont particulièrement complexes, comme celle de ces Juifs tunisiens qui désirent récupérer leur nationalité d’origine, qu’ils ont perdue lorsque leurs parents, qui ont émigré en Europe dans les années 1960, ont été contraints par la législation française ou italienne à y renoncer. Les textes le leur permettent, mais, dans les faits, les autorités renâclent.

Elles craignent que l’État ne soit contraint de restituer des biens qu’il avait confisqués voilà plusieurs décennies – ou de compenser leur perte – et veulent éviter de mettre en péril l’autosuffisance alimentaire du pays en permettant que des terres agricoles redeviennent la propriété de personnes perçues d’abord comme étrangères.

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