États-Unis : Donald Trump contre les juges de la Cour suprême
Après « Donald Trump contre les médias », voici « Donald Trump contre les juges de la Cour suprême ». Dans un cas comme dans l’autre, tous les coups sont permis !
Les conflits entre les pouvoirs exécutif et judiciaire sont un grand classique aux États-Unis. Pourtant, le bras de fer en cours entre le président Donald Trump et les magistrats est absolument sans précédent. Pour au moins deux raisons. Jamais la Maison-Blanche n’avait mis en cause l’intégrité des juges avec autant de virulence. Et jamais ces derniers ne s’étaient avisés de rendre coup pour coup.
Tout a commencé fin janvier, avec l’adoption par Trump du fameux « décret antimusulmans » visant les ressortissants de sept pays jugés dangereux.
Les juges se dressent contre la décision de Trump
Dès le 3 février, à la demande de deux plaignants, les États de Washington et du Minnesota, ledit décret est gelé par James Robart, un juge fédéral pourtant nommé par le républicain George W. Bush. Le lendemain, Trump contre-attaque sur Twitter, son arme favorite : « La décision de ce soi-disant juge […] est ridicule et sera abrogée. » Soi-disant juge ? Les défenseurs sourcilleux de l’indépendance de la justice s’étranglent d’indignation. Le juge Robart aussi.
Le 9 de ce même mois, William Canby, Michelle Friedland et Richard Clifton, trois juges de la cour d’appel de San Francisco (le dernier nommé par un président républicain), se prononcent à l’unanimité pour la prolongation du blocage. « Le gouvernement n’a fait état d’aucun élément démontrant qu’un ressortissant de l’un des pays mentionnés dans le décret a perpétré une attaque terroriste sur le territoire des États-Unis », estiment-ils. Aussitôt, le chef de l’exécutif réplique, en lettres capitales, sur Twitter bien sûr : « RENDEZ-VOUS DEVANT UN TRIBUNAL. LA SÉCURITÉ DE NOTRE NATION EST EN JEU. » À la Maison-Blanche, il affirme devant des journalistes que ce « jugement politique » est « une honte ».
Roosevelt et la bataille perdue contre le Congrès
On n’avait jamais rien entendu de tel, sauf peut-être dans les années 1930, lors de l’affrontement entre Franklin Delano Roosevelt et la Cour suprême – l’une des pires crises constitutionnelles de l’histoire du pays, au dire des spécialistes.
Réélu triomphalement en novembre 1936, « FDR » craignait que la Cour (quatre des neuf juges lui étaient à ce point hostiles qu’ils étaient surnommés les « quatre cavaliers de l’Apocalypse ») ne détricote son fameux New Deal et son système de sécurité sociale. Ses craintes n’étaient pas infondées, la Cour s’étant mise à l’ouvrage avant même sa réélection.
En février 1937, FDR demanda donc au Congrès de lui accorder le pouvoir extraordinaire de remplacer chaque juge âgé de plus de 70 ans qui refuserait de partir à la retraite. Il argua que cet apport de sang neuf permettrait de « revitaliser » l’institution. En réalité, il voulait tout bonnement lui briser les reins. L’opinion se passionna pour ce bras de fer, finalement perdu par le président : son projet fut enterré par le Congrès.
Les enregistrements de Nixon
Quatre décennies plus tard, en 1974, la Cour fera une nouvelle fois la démonstration de sa puissance. Le président Richard Nixon, alias « Tricky Dick » (« Richard le tricheur »), avait pris la fâcheuse habitude d’enregistrer, notamment dans le Bureau ovale, ses conversations et ses appels téléphoniques, à l’insu de ses interlocuteurs. Après le déclenchement du scandale du Watergate, le procureur chargé de l’affaire tenta de se faire remettre les bandes magnétiques de ces enregistrements clandestins, ce que Nixon refusa en invoquant l’une des prérogatives de l’exécutif : la non-communication d’informations confidentielles au nom de l’intérêt national.
À l’unanimité, la Cour lui infligea un cinglant désaveu en estimant que ni la séparation des pouvoirs ni la confidentialité des informations ne justifiaient que cette prérogative ne fasse l’objet d’aucun contrôle. Résultat : les bandes furent transmises, et Nixon démissionna peu après.
Trois ans auparavant, ce pauvre Nixon avait essuyé un revers presque aussi cuisant quand la Cour suprême avait interdit à son administration de s’opposer à la publication par le New York Times et le Washington Post d’articles sur la guerre du Vietnam fondés sur des informations confidentielles – les fameux Pentagon Papers.
Trump devant un tribunal ?
Bill Clinton ne sera pas plus heureux. En 1997, la Cour publia un arrêt selon lequel le président des États-Unis en exercice ne saurait bénéficier d’aucune immunité contre une plainte (en l’occurrence, celle pour harcèlement sexuel diligentée par une certaine Paula Jones) visant des actes antérieurs à sa prise de fonctions ou n’ayant aucun rapport avec elles.
En vertu de cet arrêt, Trump pourrait fort bien aujourd’hui être assigné à comparaître, et même être condamné. Plusieurs personnes ont en effet saisi la justice concernant des actes de violence commis lors de ses meetings électoraux. L’actuel chef de l’État est également au centre de plusieurs litiges liés aux clubs de golf qu’il possède. Une femme a ainsi déposé plainte pour harcèlement sexuel contre le responsable de l’un de ces établissements, en Floride.
Quant à Melania, la First Lady, elle réclame devant un tribunal new-yorkais 150 millions de dollars au quotidien britannique The Daily Mail, qui l’avait présentée, avant d’être contraint de s’excuser, comme une ancienne escort-girl. Les 150 millions réclamés constituent selon elle un juste dédommagement. Elle estime que c’est la somme qu’elle aurait gagnée en créant une « marque commerciale de grande envergure » si sa réputation n’avait ainsi été entachée. Difficile de porter plus loin la confusion entre affairisme et politique !
Le calme sous la présidence d’Obama
Le rôle absolument central de la Cour suprême a été confirmé lors de l’élection présidentielle controversée de 2000 : à l’issue d’un laborieux recomptage des bulletins de vote en Floride, c’est elle qui, à tort ou à raison, donna la victoire à George W. Bush au détriment d’Al Gore.
Les deux mandats de Barack Obama furent, en apparence, moins agités. En janvier 2010, dans son discours sur l’état de l’Union, tout juste le président (qui est un ancien professeur de droit constitutionnel) se permit-il de reprocher aux juges un arrêt rendu quelques jours plus tôt autorisant le financement des campagnes présidentielles par des entreprises (arrêt Citizens United).
Il y a un risque considérable à personnaliser un conflit avec la Cour
En dépit de quelques victoires hautement symboliques comme la validation de la loi d’assurance santé, en 2012, l’administration Obama est celle qui, dans l’histoire moderne, a le plus souvent perdu devant la Cour : seulement 44 % d’affaires gagnées, contre 60 % pour George W. Bush, 63 % pour Bill Clinton, 70 % pour George H. Bush et 75 % pour Ronald Reagan.
On se souviendra aussi du respect scrupuleux manifesté par Obama pour l’indépendance des juges. En 2012, par exemple, il hésita à donner son avis sur l’affaire Trayvon Martin (un adolescent noir tué par un vigile dans un lotissement en Floride) afin de ne pas empiéter sur le travail de la justice. Une approche à des années-lumière de celle de son successeur !
Bataille d’envergure
Tout montre que l’adoption du « décret antimusulmans » va déboucher sur une bataille judiciaire d’envergure. L’administration Trump a certes décidé de ne pas attaquer la décision de la cour d’appel de San Francisco devant la Cour suprême – qui lui aurait probablement donné tort –, mais elle s’apprête à adopter un décret très similaire établi sur des bases juridiquement plus solides, ou supposées telles. Ce qui ne devrait pas l’empêcher d’être attaqué devant les tribunaux…
La bataille pour la confirmation de Neil Gorsuch, le juge choisi par Trump pour remplacer le très conservateur Antonin Scalia, le doyen de la Cour décédé en février 2016, s’annonce épique. Elle a d’ores et déjà pris un tour assez déplaisant. Le 8 février, Richard Blumenthal, sénateur du Connecticut, a révélé que Gorsuch lui aurait confié qu’il jugeait les attaques de Trump contre les juges « démoralisantes ».
L’intéressé a démenti quelques jours plus tard, tandis que, sur Twitter, Trump s’en prenait violemment à Blumenthal, accusé d’avoir menti sur ses états de service pendant la guerre du Vietnam – mais Trump lui-même n’a-t‑il pas tout fait pour y échapper ?
Animosités personnelles
Selon Jeff Shesol, ancien speechwriter de Bill Clinton et auteur du livre Supreme Power. Franklin Roosevelt vs. Supreme Court, « il y a un risque considérable à personnaliser un conflit avec la Cour. Même pendant les périodes de grand trouble, lorsque la Cour a été amenée à prendre des décisions très impopulaires, il y a toujours eu une allégeance et un respect pour l’institution ». En sera-t‑il de même avec Trump, pour qui les attaques personnelles sont presque une marque de fabrique ?
Comment réagira-t‑il s’il advient que la Cour suprême casse l’une de ses décisions ? Manifestera-t‑il à ses membres le même mépris qu’à leur collègue, le « soi-disant juge » Robart ? Entre le président et la prestigieuse institution, la guerre ne fait sans doute que commencer. Selon toute apparence, elle sera longue.
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