Musique : Aurelio Martínez porte la voix des descendants d’esclaves africains en Amérique centrale

Né au Honduras, descendant d’esclaves, le chanteur et guitariste Aurelio Martínez, un temps député dans son pays, voit son art comme un outil plus puissant que la politique.

l’artiste s’est imposé en solo avec sa guitare. © Judith burrows/Getty Images

l’artiste s’est imposé en solo avec sa guitare. © Judith burrows/Getty Images

leo_pajon

Publié le 9 mars 2017 Lecture : 4 minutes.

« Mes chansons ne sont pas que des chansons, elles me permettent d’aborder les problèmes qu’il y a dans notre société. Celle que je vais vous interpréter maintenant raconte l’histoire d’une petite fille dont les parents sont morts du sida… » Sur la scène de l’Alhambra, à Paris, Aurelio Martínez marque une pause. Les quelque 300 spectateurs du public, où apparaît ce soir-là l’ancienne ministre française de la Justice Christiane Taubira, retiennent leur souffle et écoutent avec attention l’histoire de l’orpheline.

J’ai compris que la musique me permettrait d’entrer partout, de m’adresser à tous.

Une histoire si horriblement banale dans un pays qui comptait toujours en 2015, selon l’ONU, plus de 18 000 enfants privés de leurs parents à cause du sida. Voilà la magie d’Aurelio, qui fête ses trente ans de carrière (et des poussières) avec une série de concerts et un nouvel album, Darandi : conjuguer des titres lumineux, redoutablement entraînants, et des sujets particulièrement graves.

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Ambassadeur des Garifunas

Né en 1969 dans un petit village côtier du Honduras, Plaplaya, dans une famille de musiciens renommés, Aurelio a très tôt développé une conscience politique aiguë. Il fait en effet partie d’une minorité discriminée du pays : les Garifunas, issus du métissage entre esclaves africains et populations indigènes d’Amérique du Sud (Caraïbes et Arawaks). Massacré, déporté, mis à l’écart du système politique et éducatif, ce peuple, qui s’est également établi au Belize, au Guatemala et au Nicaragua, a longtemps été persécuté.

« Jusque dans les années 1980 encore, il y avait des lieux, des bars, des magasins où l’on ne pouvait pas entrer, se souvient Aurelio. Et on a tenté de faire disparaître notre culture. Au Honduras, on peut écouter à la radio toutes les musiques, même venant d’ailleurs, des États-Unis, de Cuba, de Colombie, du Mexique… mais on ne peut pas écouter nos chansons garifunas ! Si je chante aujourd’hui, c’est pour que notre culture survive et soit reconnue à travers le monde. »

Rites sacrés

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Avant de devenir « l’ambassadeur de la “nation” garifuna », comme il se définit, Aurelio a fait un long apprentissage. Enfant, il est initié à la percussion par son grand-père et ses oncles, ainsi qu’au chant par sa mère. On lui permet de participer comme musicien à des cérémonies traditionnelles théoriquement interdites aux plus jeunes. « J’ai pu assister à des rites sacrés, parler aux anciens, aux adultes… J’ai compris que la musique me permettrait d’entrer partout, de m’adresser à tous. »

Le jeune homme joue avec différentes formations, dans des styles plus commerciaux « pour gagner de l’argent et pouvoir acheter des instruments », mais reste fidèle à la musique traditionnelle. Il collabore durablement avec le musicien et militant du Belize Andy Palacio, sort son premier album solo en 2004, avant de devenir, un an plus tard, député au Congrès du Honduras.

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Racines africaines

L’Afrique l’a longtemps tenté. « J’avais ce fantasme du retour sur le continent, comme la plupart des Garifunas, se souvient le descendant d’esclaves. J’écoutais Baaba Maal, Salif Keita, Youssou Ndour… » Grâce au mécénat de la marque Rolex, il réalise son rêve en 2008 : partir au Sénégal et peaufiner son art au contact d’un grand mentor, Youssou Ndour, justement. « Il ne m’a pas appris grand-chose au niveau technique, sur la musique, note Aurelio. Mais il m’a ouvert des portes, et sa personnalité, son charisme, son engagement social m’inspirent toujours. »

Dans le pays, il rencontre aussi par hasard l’Orchestra Baobab. « Un soir, dans un club, il y a ce groupe qui joue, et je reconnais des sonorités cubaines… j’ai adoré ! Je suis monté sur scène et j’ai commencé à improviser avec eux, en espagnol. À la fin du concert, ils m’ont rejoint à ma table en me demandant d’où je venais, qui j’étais. Le courant était passé tellement facilement, preuve que nos musiques ont les mêmes racines ! »

Héritiers métissés

Dans la baie de Dakar, il se souvient avoir pleuré en apercevant l’île de Gorée et en pensant à tous ces hommes et ces femmes, ses ancêtres, qui ont quitté leur terre sans espoir de retour. « C’est aussi au Sénégal que j’ai compris que je n’étais pas africain, reconnaît l’artiste. Notre couleur est la même. Nos danses, nos coutumes, nos rythmes, se ressemblent parfois. Nous avons même un équivalent du fufu dans notre gastronomie… Mais nous ne sommes plus seulement d’ici, nous sommes des héritiers. »

Tu peux t’adresser à tout le monde grâce à la musique, Noirs, Blancs, riches, pauvres confondus.

Cet héritage, il l’assume totalement, avec différentes collaborations (dont celles de Youssou Ndour, de l’Orchestra Baobab et du groupe de hip-hop Sen Kumpe sur un album précédent, Laru Beya). Mais son tout dernier disque, Darandi, est exclusivement consacré à la musique garifuna. « Avec Youssou Ndour, j’ai compris que la musique était une arme, mais aussi à quel point elle était puissante. Tu peux t’adresser à tout le monde grâce à elle, Noirs, Blancs, riches, pauvres confondus. En mettant ton talent au service de ton engagement social, tu peux rendre le pouvoir aux gens. Avec mes albums, j’entre dans toutes les maisons, je touche des gens sur toute la planète… Je suis plus puissant que les notables politiques de mon pays. »

UNE CARRIÈRE POLITIQUE AVORTÉE

Aurelio a été conseiller municipal de 2000 à 2004, puis a été le premier député hondurien noir à être élu en 2005 au Congrès national du Honduras.

« Comme politicien, j’ai pu aider ma communauté : créer des trottoirs, un dallage des routes, améliorer la propreté dans les villages garifunas pour que les gens tombent moins malades, énumère le militant. J’ai aussi fait en sorte qu’on n’y organise pas de circuits touristiques, comme pour les safaris, et que nous ne soyons pas traités en bêtes curieuses.

Mais cette vie politique était difficile, surtout à l’Assemblée, où j’étais toujours dans l’opposition et n’avais pas d’allié. Mes proches craignaient que l’on cherche à m’éliminer. » Aurelio se retire définitivement de la scène politique en 2010. Il voyage aujourd’hui entre son pays natal, où vit sa famille, et New York, où habite sa mère, quand il n’est pas en tournée.

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