Mines : Sherritt n’a pas encore gagné son pari malgache
La production du mégacomplexe d’Ambatovy est bien lancée. Mais la chute des cours du nickel pèse sur la rentabilité du groupe canadien.
Quatre ans après le démarrage difficile du mégacomplexe minier malgache d’Ambatovy, son vice-président chargé du développement durable, Louis Roland-Gosselin, n’est pas peu fier du chemin parcouru. « Nous avons atteint notre objectif d’une production à 90 % de nos capacités. Et venons de fêter seize mois de travail sans incident bloquant la production pour nos 7 500 employés, internes et sous-traitants », se félicite ce Français qui travaille désormais à faire passer ses équipes d’un fonctionnement « en mode projet » à la gestion « de routine » d’une exploitation rodée.
Alors que le groupe industriel et minier, premier employeur de la région, avait défrayé la chronique avec plusieurs accidents, dont deux mortels (en 2012 et 2015), lors de son démarrage et de sa montée en cadence, ses dirigeants affirment que ces temps difficiles sont révolus grâce aux politiques de sécurité drastiques mises en place depuis lors.
Un système d’acheminement très rare
Ambatovy se compose de trois parties : la mine, à côté de Moramanga, à 80 km à l’est d’Antananarivo, le minéroduc de 220 km de longueur et 1 000 m de dénivelé descendant qui achemine le mélange de minerai et d’eau (sous forme de boue), et enfin l’usine de transformation et de raffinage, implantée à proximité du grand port de Toamasina, principale fenêtre maritime de Madagascar.
« Ce complexe fonctionne de manière intégrée, indique le dirigeant. Le mélange envoyé dans le minéroduc, qui met trente heures à parcourir la distance, est composé en fonction des besoins de notre usine. Initialement, le minerai brut contient entre 0,8 % et 1,2 % de nickel. À la fin du processus de raffinage, nous produisons un métal pur à 99,8 %. »
Selon Louis Roland-Gosselin, ce type de fonctionnement de « la mine à l’usine » est quasi inédit sur le continent africain. Seul OCP, au Maroc, dispose également d’un minéroduc pour ses phosphates. « Ambatovy tient aujourd’hui facilement la comparaison avec les complexes de production de nickel semblables en Nouvelle-Calédonie ou en Indonésie, que ce soit sur le plan des cadences ou sur celui de la qualité », fait valoir le vice-président.
Rythme de croisière
En 2016, le complexe malgache a produit 42 106 tonnes de nickel et 3 273 t de cobalt, les deux produits raffinés issus du minerai. Et maintenant qu’il a atteint son rythme de croisière, ses dirigeants tablent pour 2017 sur environ 50 000 t de nickel et 4 000 t de cobalt à la sortie de ses lignes de production. Six cent cinquante entreprises sous-traitantes, employant 60 % des salariés, y travaillent, tandis que 3 600 agriculteurs approvisionnent les cantines.
Installée sur 320 ha, reliée au port de Toamasina par une voie ferrée de 11 km qui l’approvisionne en intrants, la gigantesque usine ne passe pas inaperçue, avec ses fumées visibles à des kilomètres à la ronde. « La boue minérale issue du minéroduc passe par neuf étapes de transformation avant l’obtention des produits finis. À chacune d’entre elles correspond un bâtiment industriel », explique Vony Ramahaleo, responsable des relations presse, qui fait visiter le site en voiture, tant la superficie à couvrir est immense.
Vente immédiate
« La boue est d’abord mélangée avec de l’acide sulfurique. La préparation est ensuite chauffée à 360 °C avant d’être raffinée grâce à plusieurs procédés chimiques. Enfin, nous opérons une séparation par minerais, avec deux lignes de production finales, l’une pour le nickel, l’autre pour le cobalt », égrène notre guide.
Dans le bâtiment abritant cette dernière étape sont produites de petites briquettes – pesant 70 g pour celles de nickel et 40 g pour celles de cobalt – qui tombent dans un fracas assourdissant dans des fûts en contenant 250 kg. Lesquels sont expédiés par camion au port, où ils sont contrôlés par les douanes et immédiatement exportés, Ambatovy ayant un accord avec le London Metal Exchange (LME) lui assurant la vente immédiate de sa production.
Infrastructures autonomes
Lancée en 2007, la construction du minéroduc et des installations minières a coûté 8 milliards de dollars (5,5 milliards d’euros). Si le montant est d’une telle ampleur, c’est que, pour faire tourner les installations, les actionnaires d’Ambatovy ont choisi de ne compter que sur leurs propres forces.
« En plus de l’usine de raffinage proprement dite, nous disposons ici de centrales électriques à charbon d’une capacité de 80 mégawatts, d’unités de fabrication d’acide sulfurique et de chaux qui sont des composants essentiels pour le raffinage, ainsi que d’une station d’eau potable… Ces usines auxiliaires s’étendent sur près d’un tiers de la superficie », explique Vony Ramahaleo, désignant les immenses tas de soufre, de charbon et de calcaire, acheminés par le rail, qui servent à alimenter ces unités « support ». Juste derrière l’usine, Ambatovy a même implanté son propre aérodrome et possède un avion qui fait des navettes entre ce site, la mine et Antananarivo.
Faveurs pour transformation locale
« À partir du moment où Sherritt et ses actionnaires ont pris la décision d’implanter l’usine de transformation à Madagascar plutôt que dans les pays consommateurs de nickel – principalement la Chine –, il nous fallait nous assurer du bon fonctionnement des installations en continu. Nous ne pouvions pas compter sur les infrastructures publiques, souvent fragiles à Madagascar », explique l’Australien Tim Dobson, PDG d’Ambatovy.
Ce dernier rappelle que son entreprise n’a interrompu ni la construction des installations (2007-2012) ni la production de nickel et de cobalt (après 2012) en dépit de la situation politique compliquée à Madagascar entre 2009 et 2014 et des critiques de l’ancien président de la Haute Autorité de transition Andry Rajoelina, qui trouvait les retombées économiques insuffisantes.
« Nous bénéficions de royalties abaissées à 1 % parce que nous avons choisi de transformer localement le minerai. Elles seraient de 2 % si nous avions opté pour l’export de minerai brut. C’est un taux réduit logique compte tenu de notre impact positif en matière d’emplois et d’investissement local », estime Tim Dobson.
Chutes des prix du niquel
Mais aujourd’hui, alors même que la situation politique s’est apaisée, Ambatovy, qui a généré en 2016 32,4 % des recettes en devises de Madagascar et injecte chaque jour 1 million de dollars dans l’économie locale, est dans une situation critique, du fait de la chute des cours du nickel. « Juste avant notre démarrage en 2011, la livre de nickel valait 15 dollars ; aujourd’hui [début février 2017], elle tourne autour de 4,50 dollars, ce qui fait que nous perdons de l’argent », regrette Louis Roland-Gosselin.
« La seule manière de résister, c’est de faire du volume et de réduire au minimum nos coûts fixes, très élevés, par une politique d’austérité », explique Tim Dobson, dont les équipes se sont réduites de quelque 2 000 postes en deux ans (dont 450 en interne), les salariés restants n’ayant pas été augmentés sur cette période. Pour le patron d’Ambatovy, le niveau actuel des coûts ne permet que de couvrir les frais d’exploitation, mais pas les frais financiers.
Or le groupe a passé mi-janvier 1,7 milliard de dollars de dépréciation d’actifs dans ses comptes et a renégocié sa dette auprès d’un consortium de 14 établissements financiers. En attendant un retour à la rentabilité – lorsque le cours sera autour de 9 dollars la livre, selon Tim Dobson –, Ambatovy va continuer de produire à plein… tout en se serrant la ceinture.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles