« Les politiques aussi ont une mère » : plongez dans la vie intime de treize responsables français

Mais non, tous les responsables politiques ne sont pas des monstres d’orgueil, de cynisme et de cupidité. Après enquête (en France), nos confrères Bernard Pascuito et Olivier Biscaye en témoignent : ils aiment aussi leur mère. Et réciproquement. Extraits de « Les politiques aussi ont une mère » (Bernard Pascuito et Olivier Biscaye, éd. Albin Michel).

Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national français, en février 2017 à Nantes (ouest de la France). © David Vincent/AP/SIPA

Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national français, en février 2017 à Nantes (ouest de la France). © David Vincent/AP/SIPA

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 9 mars 2017 Lecture : 11 minutes.

Chuuut ! Avez-vous entendu ce cri ? « Maman, maman ! » Qui hurle ainsi dans le petit jour postutérin poisseux ? Moi ? Vous ? Votre voisin de bureau ? Tel ténor de la politique aspirant (ou pas) aux plus hautes fonctions ?

Bernard Pascuito et Olivier Biscaye ne sont ni Saint-Simon, ni Chateaubriand, ni Freud. Ce ne sont que de bons journalistes, qui ont eu de surcroît une excellente idée : demander aux petits François (Fillon), Marine (Le Pen), Jean-Luc (Mélenchon), Jean-François (Copé), François (Bayrou), Emmanuel (Macron), Manuel (Valls), Nicolas (Sarkozy) et à leurs camarades de jeu – ils sont treize, au total – de parler de leurs mères respectives. Et du rôle qu’elles ont joué dans leurs singuliers destins.

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Empathie 

Parfois, quand elles sont encore de ce monde, ce sont les mères elles-mêmes qui évoquent avec émotion leur fragile progéniture. Ça change un peu la perspective. On découvre d’un œil neuf tel fiévreux tribun populiste pleurant nuitamment la fuite de sa génitrice… Tel Machiavel de sous-préfecture multipliant vraies bêtises et feintes rébellions pour se faire remarquer… La sympathie naît peu à peu.

Quoi, que dites-vous ? Les responsables politiques ne sont pas que les monstres d’orgueil, de cynisme et de cupidité que nous nous plaisons complaisamment à fustiger ? Eh non, regardez-vous donc dans la glace : ils vous ressemblent. « Hypocrite électeur, mon semblable, mon frère », eût pu écrire Charles Baudelaire…

MARINE ET PIERRETTE LE PEN : LA DÉCHIRURE DE L’ENFANCE

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Pierrette [Le Pen] est détendue, souriante, toujours en mouvement. Elle passe d’une chose à l’autre, n’oublie rien. Le temps des obligations mondaines est passé, mais elle continue de se multiplier. Comme avant. Il y a longtemps. Les jours défilent, les heures se bousculent. Pierrette, vaillante, toujours plus jeune à 81 ans, déborde d’énergie, veille à tout, inlassable, et arbore un sourire lumineux. Pierrette vit seule dans la maison du parc de Montretout à Saint-Cloud, elle est en même temps très entourée et ne s’en lasse pas. […]

L’héritage de Montretout 

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Du parc de Montretout, le photographe Raymond Depardon a dit qu’il lui rappelait Beverly Hills. En ironisant, on pourrait suggérer plutôt Dallas ou Santa Barbara, pas tant pour l’architecture que pour les scènes d’hystérie familiale qui s’y sont déroulées depuis l’arrivée de la famille Le Pen. […] L’histoire est ancienne.

En 1976, Jean-Marie Le Pen hérite d’un milliardaire dépressif, Hubert Lambert, mort à 42 ans de ses abus d’alcool et de médicaments. Et d’un profond dégoût de la vie. S’étant entiché de Le Pen, de ses idées et de son programme, il avait décidé de tout lui léguer. Son immense fortune, pour l’aider à continuer son combat, et son incroyable propriété, pour y abriter sa famille. […]

Riches, audacieux et babas cool

[À Montretout] les fêtes succédaient à des coups de grisou politiques, eux-mêmes entrecoupés de psychodrames familiaux. Aujourd’hui, le calme est revenu, faute de combattants, diront certains… Raison de plus pour que Pierrette veille à tout. Si elle ne prend pas soin de sa grande famille dispersée, qui le fera ?

Il y a les trois filles, d’abord. Marie-Caroline, l’aînée, Yann, la cadette, et Marine la benjamine. Il y a Jean-Marie, l’ex-mari. […] Le passé douloureux, les tumultes d’autrefois, les déchirures intimes, ça ne compte plus. Tout s’est arrêté comme sous l’effet d’une secousse sismique. Ce n’était qu’un terrible tremblement de mère mais ça a fait du dégât. Et depuis, plus rien n’a été pareil.

C’était en 1984, plus de trente ans en arrière. On disait « les » Le Pen, alors ; ils étaient plus blonds les uns que les autres, charpentés à la mode de Bretagne, triomphants et tout sourire, de l’insolence et de l’audace, le couple et ses trois filles baladant un parfum de scandale qui collait au chef de famille, à ses idées, ses postures et ses saillies, dont il ne voulait surtout pas se débarrasser. Ils étaient riches, sulfureux, vivaient comme des babas cool, à l’inverse de tout ce que pouvaient imaginer leurs ennemis. […]

La fuite désespérée de Pierrette Le Pen

Un jour, la mère s’est retirée. Disparue, envolée. Pas un mot. Ce n’était pas une façon de faire, bien sûr. Elle n’en pouvait plus de cette vie qui ne menait à rien, de ces discussions qui n’en finissaient plus, des crispations et des tensions, des trahisons et des infidélités. Elle est partie avec un homme parce qu’il fallait bien trouver un prétexte mais elle laissait là-bas tout ce qu’elle avait, à commencer par son cœur. Elle croyait qu’elle pourrait survivre sans.

Quinze années ont suivi sans aucun contact entre la mère et ses filles. […] Plus rien. Que le silence violent, les larmes rentrées, des cœurs qui se serrent jusqu’à étouffer. Pas une plainte, pas un geste de part et d’autre d’un malheur assumé. […]

Oublier son mari, coûte que coûte

Trente-deux ans après, ce départ, d’une brutalité inouïe, fouette encore les mémoires. Pierrette ne veut rien fuir même si elle ne comprend pas tout. Le départ ? Il y avait tellement de raisons, à commencer par les infidélités de Le Pen, insupportables à la longue, et aussi la tension qu’il insufflait à chaque heure de la journée. L’homme est ainsi, il ne peut vivre bien que dans la tempête. […]

« Pour avoir une chance de lui échapper définitivement, il me fallait couper avec toute attache, tout souvenir. Je l’ai vécu comme cela… Garder un contact, ne serait-ce que téléphonique, avec mes filles m’aurait empêché de couper le lien avec lui. […] »

Humiliation 

Il y avait eu tant de scandales, de provocations, autour de ce départ. Le Pen hurlait sa rage, son ressentiment d’être trahi, Pierrette courait les médias pour s’expliquer, justifier son départ. Le ton montait dans des proportions ignobles, les insultes fusaient. Ni l’un ni l’autre des deux « combattants » n’avait l’air de se soucier des trois filles qui restaient là à compter les coups. Marine avait 16 ans. Comme ses sœurs, elle avait pris le parti de son père et avait demandé à un juge de pouvoir rester officiellement sous sa garde.

Trois ans plus tard, à l’heure du divorce, Pierrette réclamait une prestation compensatoire, son avocat précisant qu’elle n’avait aucun revenu. « Qu’elle aille donc faire des ménages ! » répondait Le Pen dans l’instant. Quelques semaines plus tard, il était entendu au-delà de ses vœux : plumeau à la main, en toute petite tenue de soubrette qui ne cachait presque rien de son corps, Pierrette Le Pen, la cinquantaine coquine, faisait le ménage dans le mensuel Playboy !

Une vente record, un scandale sans nom, humiliant un leader politique, et surtout un immense éclat de rire dans toute la France. […] « Toute la France riait, pas moi, pas nous ; cette période, c’est le souvenir d’une immense douleur. » Marine n’a jamais effacé cette blessure, faite de honte et d’outrage. […]

Une douleur immense

[Pour Marine, résume sa mère,] « ç’a été un choc. Elle était petite encore ». Un jour comme les autres, sa sœur aînée est venue la chercher au lycée et lui a annoncé la nouvelle :

– Maman est partie.

– Elle est partie où ?

– Je ne sais pas.

– Elle revient quand ?

– Elle ne revient pas.

Pendant quinze ans, plus rien. Marine a passé des jours et des jours à vomir de chagrin puis elle a, des mois durant, guetté à la sortie du lycée un petit signe du destin. Entrevoir le visage de sa mère, ne serait-ce qu’une seconde. Ce n’est jamais arrivé.

« J’allais la voir sortir du lycée mais sans me montrer. Plus le temps passait, plus je me persuadais que mes filles étaient très contentes que je sois partie. Je voulais croire que je les libérais de mon influence. Que je sois partie les aiderait à se rapprocher de leur père. Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé cela mais c’était en moi… Je n’ai jamais imaginé alors le désespoir de Marine. »

Et un chagrin inconsolable

C’est étrange, une mère en état d’abandon. Et très incompréhensible. Sans avoir besoin de savoir lire entre les lignes, Pierrette aurait pu comprendre la violence du chagrin de sa fille en découvrant les mots que celle-ci employait à son égard. Des injures comme des coups de poignard, portées avec le seul souci bien misérable de faire assez mal pour oublier quelques secondes sa propre douleur. Jusqu’à ce cri insensé, prononcé comme une sentence.

« Marine a dit un jour qu’elle aurait préféré que je sois morte. Je comprends. Elle n’en pouvait plus, ça ne s’arrêtait jamais. Son père et moi nous nous rendions coup pour coup. À chaque fois que ça semblait se calmer, l’un ou l’autre repartait à l’assaut. Alors, elle a fini par s’épuiser à son tour, elle me l’a avoué : “Au moins, si tu étais morte, j’aurais eu du chagrin une bonne fois pour toutes. Là, ça n’en finissait pas, ça revenait tout le temps.” […] »

 Marine, la petite préférée

« Ma relation avec Marine n’était pas intacte. Avec ses sœurs, aucune ombre ne subsistait, là c’était différent. Une gêne, le poids des non-dits, des trop-dits… J’avais du mal à reprendre pied avec elle, bien plus qu’avec les deux autres. Il y avait cette barrière qui s’était créée, elle avait reçu tellement de chagrin. J’avais quitté une adolescente de 16 ans, je retrouvais une mère de famille qui avait passé la trentaine. Surtout, elle avait tellement souffert.

Même la meilleure volonté du monde ne pouvait pas effacer cela. Marine a toujours été ma préférée. Mes autres filles me l’avaient souvent reproché, mais bon, c’était la dernière, ses sœurs avaient eu des passages difficiles. Elle, c’était un amour. Jamais un mot désagréable, pas de conflits. Elle ne posait aucun problème. »

En un claquement de doigts…

Il n’était pas si étonnant, au fond, que ce soit celle-là, justement, l’élue, la préférée, mais aussi celle qui avait versé des larmes désespérées, attendu des jours et des nuits sans rien voir venir, et qui avait fini par renoncer, que celle-là puisse éprouver le plus de difficulté à remonter de l’abîme dans lequel elle avait été plongée.

« Donc, nous n’arrivions pas à reprendre pied. Ni l’une ni l’autre. Jusqu’au jour où elle a décidé que ç’avait trop duré. Au détour d’une conversation, elle s’est approchée et m’a dit, comme une chose qu’on avait oubliée et qui vient de vous revenir : “Écoute, mamoune, on va oublier tout ça, je t’aime comme avant.” C’est tout. Deux secondes et c’était fini. Le malaise avait disparu pour toujours. »

JEAN-LUC ET JEANINE MÉLENCHON : SA SOURCE D’INSPIRATION

Lorsque sa mère s’est éteinte, il a fait le choix d’oublier la date de sa mort. Délibérément. « Elle est partie, voilà tout, mais pas de façon aussi irrémédiable que je l’aurais imaginé. » Certains comptent les années, pas Jean-Luc Mélenchon. Il ne veut se souvenir que d’une belle journée d’été peu avant le 14-Juillet. Jeanine venait d’être emportée par une tumeur au cerveau après six mois d’agonie.

« Elle a souffert, elle était si lasse à la fin. La pauvre, la pauvre… » Jean-Luc Mélenchon interrompt son récit quelques secondes, puis le reprend, cherche ses mots et des souvenirs précis. Il a le souci de ne pas donner une image déformée.

Un souvenir intarissable 

Dans ces moments, il n’est pas tout à fait le politique-candidat Mélenchon. L’habitué des estrades et des formules tonitruantes s’efface devant l’enfant passionné, l’ado reconnaissant, le jeune homme admiratif. Jamais il ne s’est autant confié sur sa mère, jamais il n’a osé parler de la fin de sa vie aussi clairement. De ses dernières heures passées avec elle dans sa chambre d’hôpital bien trop exiguë pour accueillir toute la famille, Jean-Luc Mélenchon garde au cœur les sourires et les regards d’amour de cette femme pénétrée de bonté.

Avant de mourir, elle avait fait promettre à Jean-Luc et à ses quatre frères et sœurs de répandre ses cendres en mer. […] La fratrie s’est donc exécutée, s’est réunie sur la plage de Casablanca et a mis à l’eau une barque contenant les cendres de Jeanine. […]

Ce n’est rien de dire que Jeanine est toujours présente dans le cœur de son fils. Elle ne l’a, en réalité, jamais quitté. Car elle siège en permanence à ses côtés, au sein d’un « aréopage » intérieur constitué au fil des années et que Mélenchon consulte de temps à autre avant de prendre des décisions bien enracinées. Y figurent quelques membres disparus de sa proche famille comme les ombres tutélaires de la gauche historique, Maurice Thorez, Georges Marchais et François Mitterrand, un « exemple ». […] Il l’avoue, la présence de sa mère n’est pas obsessionnelle mais bien constante. […]

Au service des plus démunis

Institutrice [passionnément catholique dans une famille pourtant indifférente à la religion], sa mère a choisi les quartiers pauvres pour enseigner, l’école d’un bidonville en lisière de Tanger. Elle n’imagine pas œuvrer ailleurs qu’aux côtés des plus démunis et ne changera pas sa ligne de conduite toute sa vie. Au moment de prendre sa retraite, elle s’investira sans relâche dans l’aide aux devoirs et à l’apprentissage du français.

Une « missionnaire », assure son fils aujourd’hui. « Elle m’a donné les bases d’un socialisme éclairé. » Plus jeune, il n’en a pas totalement conscience. Il retient surtout l’obsession de sa mère pour les pauvres, louable mais parfois lourde à supporter pour de jeunes enfants. Jeanine ne veut rien entendre. Déterminée, elle répète qu’il faut être attentif aux autres, notamment aux plus faibles, avant de l’être envers soi-même. […]

Jean-Luc a une personnalité affirmée, il a une liberté de ton, une belle franchise et une pensée claire. Avec ça, il saura toujours se débrouiller, pense Jeanine. Elle encourage chez ce fils, toujours surprenant, la réflexion, la liberté et l’autonomie.

« Défenseurs des Peaux-Rouges »

Quand l’institutrice de Tanger est convoquée à l’école car l’élève Mélenchon a été surpris en train de faire des bêtises, elle fait mine de s’étonner, ne comprend vraiment pas qu’on montre son fils du doigt, assure que le directeur se méprend. Pas question de toucher à son petit garçon !

Dans ce Maroc tout juste indépendant, Jean-Luc vit une enfance heureuse et douce. Ses amis sont marocains, espagnols, portugais, français… C’est avec eux qu’il fait les quatre cents coups, va garder les moutons, jouer sur la plage le dimanche entre le cap Spartel et le cap Malabata. Accompagné de sa grand-mère maternelle et de sa mère, il va au cinéma, films de pirates avec l’une, westerns avec l’autre. Les poursuites entre cow-boys et Indiens l’impressionnent.

À la sortie, Jean-Luc n’échappe pas au « catéchisme » sur les méchants cow-boys qui tirent sur tout le monde et boivent de l’alcool… « Je suis né défenseur des Peaux-Rouges, ça aura forcément une influence. » Évidemment, il est impensable de jouer à la bataille et encore moins d’acheter un pistolet ou un fusil, le rêve de tous les enfants de son âge. Lui se contentera d’un arc et de flèches, de bouts de bois et de papier.

© Éditions Albin Michel, 2017

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