Gabon : grand ménage dans l’entourage d’Ali Bongo Ondimba
Après la tempête électorale, les jeunes loups de l’opposition cherchent une place au soleil, alors qu’Ali Bongo Ondimba a radicalement recomposé son camp. En ligne de mire : les prochaines législatives, mais aussi la présidentielle de… 2023.
Le Gabon en train de faire peau neuve ?
Depuis sa réélection houleuse en août 2016, Ali Bongo Ondimba semble décidé à rafraîchir son entourage politique. Réel changement de cap stratégique ou simple assainissement en vue de regagner la confiance de l’opinion publique ?
Élection présidentielle ou tempête tropicale ? Sous le microclimat gabonais, les deux événements semblent causer les mêmes dégâts. Le paysage a été ravagé, des baobabs sont tombés, pour la plus grande joie de jeunes pousses qui pensent enfin pouvoir hériter d’une place au soleil. La force des éléments n’a épargné ni l’entourage du président, ni le gouvernement ou les institutions, et encore moins l’opposition.
Un renouvellement est en cours. Autour d’Ali Bongo Ondimba (ABO), on croise beaucoup de nouveaux visages, et l’ambiance de travail tranche avec l’atmosphère du dernier septennat. Dans les couloirs du Palais du bord de mer, les réunions de coordination sont désormais hebdomadaires. On magnifie les vertus de la décision collégiale, l’efficacité du travail en équipe, tout en veillant à ramener la convivialité. Comme si le départ de Maixent Accrombessi était l’occasion de revenir à un fonctionnement « normal » du Palais.
L’ombre d’Accrombessi
L’ombre de l’incontournable ancien directeur de cabinet du président, à la fois homme de confiance omnipotent et intime du chef de l’État, plane toujours sur les lieux. Personne n’ose le critiquer ouvertement. Pendant son précédent mandat, ABO lui a délégué d’importants pouvoirs, lui a confié les dossiers les plus sensibles et l’a associé à la plupart des grandes décisions. Il est devenu au fil des ans la bête noire de certaines hautes personnalités, qui n’ont pas supporté ce statut de véritable numéro deux du régime.
Peut-être sous la pression de cette présidentielle à hauts risques, où l’opposition faisait campagne contre la « légion étrangère » dont il était la figure de proue du fait de ses origines béninoises, Accrombessi a été le premier à tomber, terrassé fin août 2016 par un accident vasculaire cérébral à quelques jours du scrutin. Évacué en urgence au Maroc, il a été remplacé par Martin Boguikouma, l’ex-gouverneur de la province de l’Ogooué maritime.
Un retour possible ?
Depuis lors, le « DC » a été « promu ». Haut représentant personnel du chef de l’État, il poursuit aujourd’hui encore sa convalescence à Londres, en Angleterre. Il marcherait en s’aidant d’une béquille et aurait des difficultés d’élocution. « Ah ! Bon… », réagit-on à Libreville, en faisant la moue. En réalité, si on s’enquiert de l’état de santé de « l’ex », c’est avant tout pour évaluer ses chances de retour.
Éventualité qui n’enchante guère ses ennemis ou ceux qui considèrent qu’il a une grande part de responsabilité dans cette présidentielle ratée. Quant à ses proches, ils sont dans le viseur de ceux qui parient sur l’éloignement définitif de celui qu’ils ont tant détesté. D’autres misent sur la supposée disgrâce de l’ex-principal collaborateur d’Ali.
Induit en erreur
Les arrestations pour malversations de l’ex-ministre des Infrastructures Magloire Ngambia et de son collègue du Pétrole, Étienne Ngoubou, sont interprétées comme une volonté de mettre fin à l’ère Accrombessi, tant les deux hommes sont connus pour l’étroitesse de leurs liens avec lui. Officiellement, Ali n’en laisse rien paraître. Selon un bon connaisseur du dossier, le président considère que son directeur de cabinet a été induit en erreur par les accusés et bien d’autres encore qui ne sont pas pour l’heure inquiétés.
En attendant la fin de cette période trouble, personne n’a osé emménager dans le bureau de l’exilé médical. Le chef de l’État, lui, ne s’est pas encore rendu au chevet du malade. Mais un de ses aides de camp, le lieutenant-colonel Arsène Emvahou, a vu Accrombessi à plusieurs reprises, notamment à Dakar, où ce dernier a passé les fêtes de fin d’année, et s’entretient régulièrement avec lui par téléphone.
Ngambia, dans les coulisses de la Beac
Quoi qu’il en soit, avec Ngambia et Ngoubou en prison, on a la preuve qu’Ali peut lâcher les « émergents » (surnom donné à ses proches), même les plus gradés. Le premier, âgé de 45 ans, fut un homme clé du précédent septennat. Illustre inconnu en 2009, ce cadre responsable des projets à la Beac a débarqué de Yaoundé sur proposition du patron de BGFIBank, Henri-Claude Oyima.
Il a alors été propulsé ministre de l’Économie, du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme, puis ministre de la Promotion des investissements, des Transports, des Travaux publics, de l’Habitat, du Tourisme et de l’Aménagement du territoire, jusqu’à son départ du gouvernement en 2015. Cet homme discret a alors complètement disparu des radars. Filleul en maçonnerie du grand maître de la Grande Loge du Gabon, ABO, il n’a pas été vu faisant campagne pour lui dans le Haut-Ogooué, d’où il est originaire.
Ses proches assurent qu’il s’activait dans les coulisses, jouant de ses réseaux à la Beac pour couper les financements de Jean Ping en provenance de certains pays de la sous-région. Finalement, Ngambia a été mis en détention le 10 janvier à la prison de Libreville, suspecté qu’il est d’avoir détourné des fonds lors d’attributions de marchés publics, une affaire autour de laquelle les investigations se poursuivent.
Ngoubou, trahi par ses réactions trop vives
Étienne Ngoubou, lui, a participé à la campagne et soutenu activement son champion. Mais lorsque les collaborateurs du président lui demandent de s’expliquer sur la gestion de l’argent public destiné à des travaux hydrauliques, il refuse de s’exécuter. Son tempérament volcanique précipite sa chute. Outrée qu’on exige qu’il rende des comptes, cette forte tête se radicalise au point de sécher le Conseil des ministres et même la cérémonie des vœux du chef de l’État.
C’est l’insubordination de trop : le ministre du Pétrole est finalement limogé le 9 janvier lors d’un remaniement couperet, avant d’être placé en détention au bout de deux jours d’audition à la Direction générale des recherches. Les clés de ce ministère stratégique sont aussitôt remises à son remplaçant, Pascal Houangni Ambouroué, un ancien directeur général de la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC) âgé de 42 ans.
Intempestif avec l’administration de Bush
À l’issue de la cérémonie de passation, Ngoubou part sous les huées des fonctionnaires. Rien d’étonnant pour un cadre du ministère qui connaît bien le personnage. « Il avait déjà embarrassé le gouvernement à plusieurs reprises », se souvient-il. Notamment lors d’un entretien « qui s’était très mal passé » avec le directeur Afrique d’ExxonMobil, Walter Kansteiner, sous-secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires africaines sous George W. Bush.
Furieux, Kansteiner – que Rex Tillerson, l’ex-patron de la compagnie pétrolière devenu secrétaire d’État de Donald Trump, envisage aujourd’hui de faire revenir au même poste – avait repris son avion sans avoir rencontré le président.
Un ministre dans l’opposition ?
Les défections des partisans du candidat ABO à la présidentielle font aussi de la place. Comme celle de l’ex-conseiller politique Jean-Pierre Lemboumba Lepandou, suspecté par certains proches d’Ali de rouler pour l’opposition. Exilé en France pendant toute la parenthèse électorale, ce richissime ex-ministre de l’Économie et des Finances n’est plus rentré au Gabon, même si officiellement il n’a pas démissionné de ses fonctions.
Néanmoins, reçu régulièrement par ABO, Antoine Mboumbou Miyakou serait bien placé pour le remplacer. Quant à Michel Essonghe, l’autre conseiller politique du chef de l’État, il a vu son influence renforcée.
Exils à tour de bras
L’ex-numéro deux du gouvernement n’est pas non plus rentré dans son pays. Vice-Premier ministre chargé de la Justice, Séraphin Moundounga a démissionné le 5 septembre, au lendemain des résultats. Contre toute attente, cet ex-instituteur, qui a gravi les échelons de l’État à la vitesse de l’éclair, s’est ensuite réfugié en France, où il a rejoint l’opposition.
Dans le marigot gabonais, la dissimulation prépare le terrain aux trahisons subites. Pour le remplacer, Ali a choisi un opposant jadis virulent, Bruno Ben Moubamba, l’un des candidats malheureux à la présidentielle, qui a reconnu la victoire du président sortant.
Plus de pouvoir aux anciens
Les fauteuils ne sont pas restés longtemps vacants. De nouvelles figures montent en puissance. L’ancien opposant sous Omar Alain-Claude Bilie-By-Nzé n’est pas un « émergent » historique, mais il est devenu le principal défenseur du pouvoir. Le ministre de la Communication et de l’Économie numérique est détesté d’une grande partie de l’opposition, mais ses talents oratoires l’ont rendu indispensable auprès d’Ali.
Autre personnalité sortie de l’ombre : Lambert-Noël Matha, ex-haut fonctionnaire « altogovéen » pur sucre qui a pris la tête du ministère de l’Intérieur en octobre 2016, après en avoir été le secrétaire général pendant vingt ans. Régis Immongault fait lui désormais partie de ceux qui ont l’oreille du président sur les sujets économiques. Même pendant les heures chaotiques de la contestation électorale, le ministre de l’Économie a poursuivi ses missions à l’étranger. Il est au cœur du plan de relance en préparation, dont l’objectif est notamment de réduire le train de vie de l’État tout en réorientant les dépenses publiques.
Nouvelles têtes
C’est dans cet esprit que le coût de l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations au Gabon a été réduit de 303 milliards de F CFA (près de 462 millions d’euros) à 140 milliards. À la manœuvre, Jean-Fidèle Otandault, expert-comptable discret proche d’ABO et qui gère un budget amputé par la baisse du prix du pétrole. Moins exposé, l’ex-chef de cabinet Liban Soleman, qui demeure un des hommes de confiance du locataire du Palais du bord de mer en dépit de son départ de la présidence, a déposé ses cartons non loin, au bureau de coordination du plan stratégique Gabon émergent, matrice du programme électoral de 2009.
Serge Mickoto (52 ans), le patron du Fonds gabonais d’investissements stratégiques, autre fidèle parmi les fidèles du chef de l’État, lui aussi reste. Il a même vu ses prérogatives élargies. Tandis que d’autres jeunes manageurs, à l’instar d’Arnaud Engandji (41 ans), d’Ismaël Ondias Souna (31 ans), de la Caisse de stabilisation et de péréquation (Caistab), ou encore du quadra Tanguy Gahouma Bekale, de l’Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales (Ageos), tous issus de la « crèche » (pépinière de dirigeants qui a éclos au sein du cabinet présidentiel), confortent leur place dans le système.
S’entourer des chefs d’entreprises influents
Autre homme clé de la galaxie ABO, Gagan Gupta, directeur général de la filiale gabonaise du groupe singapourien Olam. « Il a une vision globale de l’économie gabonaise qui correspond aux idées d’Ali », décrypte un collaborateur de ce grand patron. Le chef de l’État peut lui dire merci.
Sans lui, certains chantiers majeurs auraient eu du mal à aboutir, comme la zone économique spéciale de Nkok développée par Gabon Special Economic Zone (GSEZ), un partenariat public-privé (PPP) entre Olam, Africa Finance Corporation et la République gabonaise. Autre avancée notable permise par ce PPP, le nouveau quai minéralier du port d’Owendo, qui devrait favoriser la baisse des prix en rayon des marchandises importées.
La lutte contre la vie chère, qui suscite la colère des ménages modestes, est une des priorités d’ABO. Par ailleurs, Olam vient d’exporter 1 500 tonnes de sa première production d’huile de palme vers le Cameroun, la puissance agricole voisine. Un symbole marquant de la diversification de l’économie et du retour du Gabon dans le groupe des pays exportateurs de produits agricoles.
Les « rénovateurs »
Retour en grâce, aussi, des vieux compagnons du courant des « rénovateurs » du Parti démocratique gabonais (PDG), dont certains ont été marginalisés après l’accession au pouvoir d’ABO. On parle d’un possible retour de François Engongah Owono, secrétaire général de la présidence au début du premier septennat. Fidèle parmi les fidèles, Germain Ngoyo Moussavou, ambassadeur en fin de séjour à Paris, revient au pays après avoir fait du « bon boulot », selon des termes prêtés au chef de l’État.
En revanche, Alfred Mabika Mouyama n’en sera pas, lui qui vient de publier un livre très critique contre le pouvoir. Patron du groupe La Poste, il a été débarqué fin 2015 de cette entreprise publique en quasi-faillite.
Évincer les corrompus
Le prospère homme d’affaires Hervé Patrick Opiangah ne fait quant à lui partie d’aucun organigramme officiel. Ce cousin d’Annick Aubierge Lafitte Mouvagha, la première épouse d’Ali, a été recueilli par ce dernier à l’âge de 16 ans. Vrai confident du président, il agit souvent dans l’ombre et apprécie les missions de terrain réputées difficiles. Notamment quand il s’agit d’aller discuter avec les étudiants ou les syndicalistes en colère…
« Tous les amis du président […] qui ont dépouillé le Gabon et se baladent impunément doivent rendre des comptes », déclarait-il au quotidien L’Union le 22 décembre. Quelques semaines plus tard, une opération de lutte contre la corruption a été lancée, deux anciens ministres et plusieurs hauts fonctionnaires ont été mis en détention tandis qu’une bonne centaine de personnes ont été auditionnées.
Dialogue en vue des législatives
En 2015, il a notamment obtenu la condamnation de Jean Ping en diffamation alors que l’ex-président de la Commission de l’Union africaine l’accusait, sans preuves, de manipuler des jeunes qui s’étaient introduits dans sa résidence.
Avec le Premier ministre Emmanuel Issoze Ngondet et Bilie-By-Nzé, Opiangah devra de nouveau user de ses talents de négociateur lors du dialogue avec l’opposition engagé par le chef de l’État. Il fera alors face à une jeune garde ambitieuse qui souhaite écarter les éléphants et apparaître en haut des listes lors des législatives de juillet et des municipales de novembre.
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