Présidentielle en France : le grand chamboule-tout

Entre coups fourrés et coups de théâtre, effondrements et résurrections improbables, la campagne présidentielle ressemble de plus en plus à un délirant jeu de massacre. Du jamais-vu depuis la création de la Ve République !

Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron. Géants de carnaval à leur effigie,le 27 janvier à Nice. © valery hache/AFP

Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron. Géants de carnaval à leur effigie,le 27 janvier à Nice. © valery hache/AFP

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 14 mars 2017 Lecture : 6 minutes.

François Hollande ? Out ! Nicolas Sarkozy ? Out ! Manuel Valls ? Out ! Alain Juppé ? Out ! Arnaud Montebourg ? Out ! Bruno Le Maire ? Out ! Cécile Duflot ? Out ! Les têtes des favoris de la prochaine élection présidentielle, qu’ils soient ou aient été chef de l’État, Premier ministre, chef de parti ou ministre éminent, roulent l’une après l’autre dans la sciure. Quelle hécatombe ! Trop hâtivement emprunté aux Américains, le système des primaires a montré ses limites notamment en raison de son inadéquation aux institutions de la Ve République.

À gauche et à droite, deux outsiders ?

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Le vainqueur de celle de la gauche (Benoît Hamon) n’a guère de chances de l’emporter et se trouve malmené dans les sondages par deux concurrents qui s’étaient prudemment abstenus de participer à ces joutes : Jean-Luc Mélenchon et, surtout, Emmanuel Macron. À droite, Juppé a longtemps paru assuré de l’emporter avant d’être inexorablement remonté et laissé sur place dans la dernière ligne droite par un outsider nommé François Fillon.

La victoire de l’ancien « collaborateur » de Sarkozy a aussitôt déclenché une pluie d’invectives en raison des positions à la fois très libérales (en économie) et très conservatrices (en matière de mœurs) qu’il a affichées pendant la campagne. C’est peu de dire qu’il n’est pas le chouchou des médias ! Puis, il s’est très vite retrouvé embringué dans de rocambolesques démêlés avec la justice, qui ont semé le doute et la zizanie dans son camp.

Sur le point de renoncer, le champion de la droite a été sauvé in extremis par le succès d’une manifestation de soutien à sa candidature, le 2 mars, place du Trocadéro, à Paris. Sauvé, mais quand même sérieusement ébranlé. Du coup, à moins de cinquante jours de l’échéance (23 avril-7 mai), il retrouve la position d’outsider qui était la sienne il y a trois mois…

Le modèle italien et l’implosion des partis

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Les candidats des deux grands partis qui, sous diverses appellations, font l’histoire de la Ve République depuis plus d’un demi-siècle (le PCF étant aujourd’hui porté disparu) sont donc menacés d’élimination précoce. L’hypothèse d’une désintégration suivie d’une lente recomposition du paysage politique français prend corps. Elle ne serait pas sans précédent.

Les chances de Macron dépendent beaucoup de la capacité de la droite à se sortir de ce guêpier

Dans l’Italie de la fin du siècle dernier, le Parti communiste, la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste explosèrent ou se sabordèrent tour à tour – le premier, victime collatérale de la chute de l’empire soviétique, les deux autres, balayés comme fétus par une vague de scandales politico-financiers. Une opération « mains propres » censée nettoyer les écuries d’Augias s’ensuivit. Ses résultats laissent perplexe. Qui peut raisonnablement prétendre que le Forza Italia de l’inénarrable Berlusconi, la fascisante Ligue du Nord ou l’histrionique Mouvement 5 Étoiles valent mieux que les vieux partis vermoulus sur les décombres desquels ils sont nés ?

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Que va-t-il advenir de la France ?

À gauche, la cause paraît entendue : elle sera absente du second tour, puisque Macron semble avoir déserté ses rangs. Tirant la leçon de ses échecs (son incapacité à inverser la « courbe du chômage ») et, surtout, comprenant que ses électeurs de 2012 ne lui pardonneraient pas ses renoncements, ses mensonges (« mon ennemi, c’est la finance ») et ses reniements, Hollande s’est sagement abstenu de briguer un second mandat.

Certains ont cru devoir saluer la « dignité » de ce retrait alors qu’il ne s’agissait que d’un froid calcul politicien : pris en tenailles, qu’il choisisse ou non de participer à la primaire, entre sa gauche (Hamon, Montebourg, Mélenchon) et sa droite (Valls, Macron), il n’avait que d’infimes chances de s’imposer. Le président en exercice a souhaité s’épargner une humiliante élimination. On le comprend.

Massacre du PS

La suite a confirmé son diagnostic. La primaire des socialistes et celle des écologistes ont tourné au jeu de massacre. Manuel Valls, le Premier ministre démissionnaire, et sa vieille ennemie Cécile Duflot ont été équitablement éjectés par leurs électeurs respectifs en compagnie d’Arnaud Montebourg, leur impétueux ex-collègue.

Contre toute attente, c’est un frondeur notoire qui a décroché le Saint-Graal de la candidature élyséenne. On peut pourtant difficilement prétendre que le programme économique de Benoît Hamon brille par son réalisme en ces temps d’austérité : selon divers spécialistes, son projet de « revenu universel » coûterait la bagatelle de 350 milliards d’euros. L’évaluation est, comme il se doit, contestée par d’autres spécialistes, mais quand même…

Où compte-t-il trouver le financement nécessaire ? De toute façon, le vrai combat a lieu ailleurs. Ce sont les candidats qui ont choisi de snober la primaire socialiste qui tiennent le haut du pavé sondagier.

Refus d’alliance

Dès 2008, après le calamiteux congrès de Reims, Jean-Luc Mélenchon avait clairement affiché sa volonté de prendre d’assaut la citadelle PS (dont il fut membre pendant plus de trente ans), de démanteler ses défenses et de cantonner ses propres légions dans la place. Son ambition ressemblait alors à de la présomption.

Elle y ressemble aujourd’hui un peu moins, la mouvance contestatrice et marxisante se trouvant désormais plus ou moins rassemblée sous sa bannière. Mélenchon, dont l’ego est stratosphérique, n’envisage de s’allier avec Hamon qu’à la condition que ce dernier s’efface devant lui – ce qui est inacceptable pour l’intéressé. Ensemble, ils auraient des chances raisonnables de se qualifier pour le second tour. Séparément, aucune.

L’effet de mode Macron

Banquier d’affaires repenti (?) et dissident hollandais peu enclin à la gratitude (il doit tout à son ancien mentor), le jeune (39 ans) Emmanuel Macron est le héros de la nouvelle gauche technocratique et libérale que l’envie presse de s’allier avec une partie du centre pour conquérir enfin le pouvoir. Bénéficiant d’un irrationnel et souvent éphémère effet de mode comme il s’en produit périodiquement dans la politique française – de Jean Lecanuet en 1965 à François Bayrou en 2007 –, il voit le nombre de ses soutiens enfler de jour en jour tandis que celui des soutiens à Hamon se réduit à proportion.

Les éléphants du PS sont traditionnellement prompts à sentir le vent tourner… Macron se retrouve donc dans une situation à la fois favorable et fragile : un électeur sur deux est encore incertain de son choix.

Sarkozy a-t-il piloté en sous-main cette opération d’exfiltration ? Oui, mais en vain. Fillon, lui, a repris la main

En réalité, ses chances dépendent beaucoup de la capacité de la droite à se sortir du guêpier dans lequel elle s’est si bêtement fourrée. L’annonce par Fillon, le 1er mars, de sa probable mise en examen dans l’affaire des emplois présumés fictifs de son épouse et de deux de leurs enfants a donné le signal de la débandade.

La droite divisée

Dans le sillage de Bruno Le Maire, candidat malheureux à la primaire, Juppé, Valérie Pécresse, qui passe son temps à rompre puis à se rabibocher avec lui, Patrick Stéfanini, son directeur de campagne, Thierry Solère, son porte-parole, les centristes de l’UDI en pleine lutte des places en vue des législatives et plusieurs dizaines d’élus et de cadres du parti en quête d’un hypothétique « plan B » ont pris la tangente.

Sollicité avec insistance, Juppé, dont la santé pourrait dit-on être meilleure, a finalement décliné. Sarkozy a-t-il piloté en sous-main cette opération d’exfiltration ? Oui, mais en vain. Fillon, lui, a repris la main, la majorité des Républicains ont repris place derrière lui, d’autres suivront peut-être, mais la lente érosion de sa popularité se poursuit. Peut-elle encore être stoppée ?

Dans ce combat de tous contre tous, la confusion est telle que personne ne se hasarde plus au moindre pronostic. Ce n’est plus un scrutin présidentiel, c’est la nef des fous !

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