Législatives 2017 en Algérie : FLN et RND, les frères ennemis
Sourde ou mise en veilleuse pendant qu’ils gouvernaient ensemble, la rivalité entre les partis jumeaux refait surface à la faveur des élections législatives de mai prochain. Qui l’emportera ?
Depuis qu’il a appris, en ce samedi 26 août 2000, qu’Abdelaziz Bouteflika venait de nommer Abdelaziz Belkhadem ministre des Affaires étrangères, Ahmed Ouyahia, ministre de la Justice et secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND), ne décolère pas.
Belkhadem, ce « barbe FLN » autrefois soupçonné d’être l’agent des ayatollahs iraniens, nouveau chef de la diplomatie algérienne ? Non, pas lui ! Aurait-on oublié qu’il a soutenu le « contrat » de Rome de 1995, signé sous l’égide de la communauté catholique de Sant’Egidio et qui préconisait une solution politique à la crise algérienne associant le Front islamique du salut (FIS), que le pouvoir tient pour responsable du terrorisme ?
Dépité, Ouyahia prend alors son téléphone pour protester auprès du chef du gouvernement, Ali Benflis. « J’ai appris que Belkhadem est ministre des Affaires étrangères. Je ne l’accepte pas », assène-t-il, non sans proférer des mots durs à l’endroit de l’apparatchik du Front de libération nationale (FLN). À une autre éminence grise du pouvoir, Ouyahia fait part de sa réprobation.
Il menace même de démissionner. « Le RND est le parti majoritaire à l’Assemblée [156 sièges, contre 62 pour le FLN], dit-il en substance. Je ne suis pas d’accord pour qu’un homme de Sant’Egidio soit nommé à la tête de notre diplomatie. »
On ne fabrique pas des épouvantails pour ensuite avoir peur d’eux.
Informé des états d’âme du chef du RND, le général Mohamed Mediène, alias Toufik, à l’époque directeur des « services », l’en dissuade. « La diplomatie, c’est du ressort du chef de l’État », lui explique-t-il avec tact. Bien sûr, les complaintes d’Ouyahia finissent par parvenir aux oreilles de Bouteflika. Ce dernier convoque Abdelkader Bensalah, président de l’Assemblée nationale et membre éminent du RND.
Les menaces et les jérémiades du ministre de la Justice n’impressionnent guère Bouteflika, qui n’aime pas qu’on lui force la main. « On ne fabrique pas des épouvantails pour ensuite avoir peur d’eux », glisse le chef de l’État à son interlocuteur, allusion au RND, créé ex nihilo par le pouvoir en février 1997. Message reçu. Ahmed Ouyahia rentre dans le rang.
Un épisode révélateur
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis cette tentative de rébellion de ce commis de l’État, pourtant connu pour son sens de la discipline et sa réserve. Bouteflika entame aujourd’hui sa dix-huitième année au pouvoir, Toufik a pris sa retraite, Bensalah truste la présidence du Conseil de la Nation (Sénat) et Ouyahia dirige le cabinet de la présidence, tout en assurant la direction du RND.
Belkhadem, lui, effectue sa traversée du désert après avoir connu ses heures de gloire au milieu des années 2000 comme secrétaire général du FLN et chef du gouvernement.
Bien sûr, cet épisode aura été une tempête dans un verre d’eau, mais il sonne comme une sorte de révélateur des guéguerres, querelles et petites jalousies qui entachent les relations entre le FLN et le RND depuis la création de ce dernier vingt ans plus tôt.
À deux mois des législatives de mai prochain, les rivalités entre les deux frères ennemis refont surface, sur fond de bataille pour la majorité dans la future Assemblée nationale.
Artillerie lourde
Sur le papier, le FLN, que dirige Djamel Ould Abbès depuis l’éviction d’Amar Saadani, en octobre dernier, est le grand favori. Majoritaire dans l’actuel hémicycle avec 220 députés, le parti, dont la présidence d’honneur est assurée par Bouteflika, a déjà sorti l’artillerie lourde avec la candidature de sept membres du gouvernement d’Abdelmalek Sellal et de trois anciens ministres.
En face, la formation d’Ahmed Ouyahia, qui ne compte que 68 députés, présente 614 candidats, dont un seul ministre et sept hommes d’affaires. Dans l’état-major du RND, on met volontiers en avant les critères de la jeunesse, de la compétence… et de l’intégrité. Comme pour rappeler à mots couverts que des soupçons d’achat de siège avec de l’argent sale avaient pesé sur certains élus du FLN lors des précédentes législatives.
Un membre du comité central de l’ex-parti unique le reconnaît volontiers. « Les hommes d’affaires avaient pris le contrôle du FLN avec la complicité de l’ancienne direction, se désole-t-il. C’était un affairisme sale, véreux, qui a clochardisé le parti. Il fallait en finir avec ces pratiques. »
« Moi, je sais, et Dieu, un peu… »
L’enjeu de l’actuelle bataille électorale, qui ne passionne pas outre mesure le citoyen lambda, est double. En vertu de la nouvelle Constitution, adoptée en 2016, le président de la République est tenu de consulter la majorité parlementaire avant de nommer son Premier ministre. En théorie, rien ne l’oblige à choisir celui-ci au sein du parti majoritaire.
Au cours des 18 dernières années, Bouteflika s’est affranchi de certaines règles en vigueur dans les régimes démocratiques en désignant, par exemple, à la tête du gouvernement un membre du RND, alors que le FLN était majoritaire à l’Assemblée. Ou vice versa. Mieux.
L’actuel Premier ministre, Abdelmalek Sellal, en poste depuis septembre 2012, est connu pour n’avoir jamais milité dans aucun parti. Bouteflika confiera-t-il les clés du gouvernement au FLN si celui-ci vient à rafler la majorité en mai prochain ? L’homme aime répondre aux interrogations de ses visiteurs par cette boutade : « Moi, je sais, et Dieu, un peu… »
Les règles du jeu
Il n’empêche que c’était une revendication constante chez l’ancien secrétaire général du FLN, Amar Saadani, qui était proche du cercle familial de Bouteflika avant sa mise au ban.
Ce grognard, qui ne manquait aucune occasion de critiquer durement Ahmed Ouyahia, au point d’être rappelé à l’ordre, avait revendiqué à maintes reprises la chefferie du gouvernement pour son parti. « Il s’agit là d’une des règles du jeu démocratique, arguait-il. Le parti qui obtient la majorité au Parlement doit gouverner. »
Plus discipliné que Saadani, mais encore plus proche de la famille présidentielle, Djamel Ould Abbès se garde bien de mettre en avant une telle requête. Mais, en interne, les responsables de l’ex-parti unique approuvent Saadani. « On ne peut pas offrir la majorité à un autre parti que le FLN, assure un apparatchik. On ne peut pas non plus imaginer demain un chef du gouvernement qui ne soit pas issu de nos rangs. »
De vrais rivaux ?
L’autre enjeu de ce mano a mano est encore plus important, même si aucun dirigeant du FLN ou du RND n’ose le formuler publiquement. Il concerne la succession du chef de l’État, qui a fêté ses 80 ans le 2 mars dernier. Certes, l’avenir politique du raïs, lourdement handicapé depuis son AVC d’avril 2013, demeure un tabou. Et rien ne dit qu’il ne sera pas candidat à un cinquième mandat dans moins de deux ans.
En attendant la fumée blanche, certains nourrissent légitimement des ambitions présidentielles. Combien de fois a-t-on avancé les noms d’Ouyahia, de Sellal ou encore de Belkhadem comme candidats potentiels à cette succession ! Le parti qui contrôlera la majorité dans la future Assemblée disposera d’un poids politique non négligeable quand viendra le moment de désigner le nouveau locataire d’El Mouradia. Quand bien même les critères, les conditions et les modalités de sa désignation demeurent de vraies inconnues.
On ne peut pas parler de rivalité, dès lors que les deux partis appliquent le programme du président et votent les mêmes lois
Le FLN et le RND, vraiment rivaux ? La question fait sourire anciens et actuels responsables des deux formations. « Il n’y a pas de rivalité entre les deux partis, avance Belkacem Mellah, ex-secrétaire d’État et membre fondateur du RND. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Au sein du gouvernement, le président ne fait aucune différence entre ministres FLN ou RND. Il n’y a aucun traitement de faveur pour les ministres de sa famille politique. »
« Un père avec ses enfants »
Noureddine Bahbouh, qui avait dirigé, entre 1997 et 1999, le groupe parlementaire du RND, acquiesce : « On ne peut pas réellement parler de rivalité, dès lors que les deux partis appliquent le programme du président et votent les mêmes lois. »
Un ex-collaborateur de Sellal abonde dans le même sens. « Dans les conseils du gouvernement, on ne pouvait pas distinguer un ministre FLN d’un autre RND. S’il pouvait y avoir concurrence ou querelle, elles ne pouvaient pas être d’ordre politique ou idéologique. »
Des rivalités entre ministres des deux partis ? « Jamais je n’en ai été témoin, jure l’un d’eux. Le président se comporte avec nous comme un père avec ses enfants. Il a une préférence de cœur pour avoir été militant du FLN, mais il n’a jamais lésé le parti rival. En revanche, ces guéguerres surgissent lors des élections législatives et locales. »
« Bébé moustache »
Cette rivalité était pourtant réelle il y a vingt ans. Elle remonte à la création même du RND. En 1995, un an après l’élection du président Liamine Zéroual, le pouvoir se retrouve orphelin du FLN, sa colonne vertébrale depuis l’indépendance. Confronté à une double épreuve, la guerre civile et la désertion du parti-État, qui a rejoint l’opposition avec armes et bagages, le régime décide de se doter d’un appareil politique susceptible de remplacer le FLN.
« L’Algérie a besoin d’un parti nationaliste et démocrate pour la sauver de l’hydre islamiste », confiait Abdelhak Benhamouda, patron du syndicat UGTA et l’un des initiateurs de ce projet, avant d’être assassiné par des terroristes, en janvier 1997.
Quatre mois après sa création, le RND rafle la mise et siphonne autant le programme politique du FLN que ses organisations de masses, ses militants et ses cadres. Son surnom : « bébé moustache ». Majorité dans l’hémicycle, présidence de l’Assemblée, douze ministres dans l’exécutif, la chefferie du gouvernement, le général Betchine, membre influent du parti, conseiller spécial de Zéroual… Le RND devient un FLN bis.
« Nous avions perçu sa création comme une trahison », admet un cacique du vieux parti. « Nous avions vécu sa création comme un viol », renchérit un autre. On prête à Boualem Benhamouda, secrétaire général du FLN de 1996 à 2001 et l’un de ceux qui n’ont pas du tout goûté ce divorce, cette phrase savoureuse : « Pourquoi choisir une autre prétendante alors qu’il y a déjà une épouse ? »
« Tu es trop FLN »
La mainmise du RND dure deux ans. « Son statut de favori est remis en question à la faveur de la démission de Zéroual, en septembre 1998, décrypte Bahbouh. Le RND éclate alors en plusieurs courants, faute d’un consensus autour de la candidature de Bouteflika. » Certains cadres soutiennent l’ex-chef du gouvernement Mouloud Hamrouche, d’autres rejoignent Mokdad Sifi, alors qu’Ouyahia et Bensalah se rangent derrière Bouteflika.
Tu es trop FLN. On a besoin d’un candidat qui fasse consensus. Ce sera donc Bouteflika.
Le choix de ce dernier manque d’ailleurs de provoquer un schisme au sein du FLN entre ceux qui souhaitent en finir avec la dissidence pour revenir dans le giron du pouvoir et ceux qui jugent que l’ex-parti unique doit présenter son propre candidat. Boualem Benhamouda, qui brigue aussi la présidence, rechigne à mettre son parti au service de Bouteflika.
Il est alors reçu par le général Mediène, le décideur de l’ombre. « Nous avons fait un sondage, tu es sorti le premier, lui explique ce dernier. Mais tu es trop FLN. On a besoin d’un candidat qui fasse consensus. Ce sera donc Bouteflika. »
L’heure de la succession
Installé au palais d’El Mouradia, le chef de l’État repositionne progressivement sa famille politique d’origine autour de lui et dans les arcanes du pouvoir, sans pour autant tailler en pièces le RND. Ex-commissaire politique du FLN, Mohamed Chérif Messaadia, sacrifié après les émeutes de 1988, revient en grâce pour assurer la présidence du Sénat. Ali Benflis, chef du gouvernement, prend la tête du FLN. Aux législatives de mai 2002, le vieux parti retrouve la majorité à l’Assemblée.
La dissidence du FLN a vécu, la suprématie du RND aussi. Quid de l’avenir ? « Bouteflika vivant, ces deux partis pivots fonctionneront en tandem, comme c’est le cas depuis quinze ans, note un homme du sérail. Les cartes seront redistribuées quand viendra l’heure de trancher sur la succession. C’est à ce moment-là que les vraies rivalités apparaîtront. »
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