Réforme : le Maroc veut des entreprises publiques plus rentables

Principaux investisseurs du royaume, les sociétés d’État souffrent encore de carences organisationnelles et réglementaires. Les pouvoirs publics travaillent sur un dispositif visant à les rendre plus performantes.

Le Slurry Pipeline, long de 187 km, a été construit par OCP. Le groupe concentre à lui seul la moitié des bénéfices des sociétés étatiques. © OCP

Le Slurry Pipeline, long de 187 km, a été construit par OCP. Le groupe concentre à lui seul la moitié des bénéfices des sociétés étatiques. © OCP

fahhd iraqi

Publié le 24 mars 2017 Lecture : 4 minutes.

Hétéroclite, ample, mais surtout peu rentable… Ainsi se présente la configuration du porte­feuille public de l’État marocain.

Cette galaxie d’entreprises et d’établissements publics (EEP) regroupe 44 sociétés à participation directe et 462 filiales, des entités pour la plupart structurellement déficitaires. Une poignée seulement de ces EEP assure la performance du portefeuille : les trois plus grandes réalisent 50 % du chiffre d’affaires ; et le groupe OCP, à lui seul, concentre la moitié des bénéfices des sociétés étatiques.

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Absence de politique prédéfinie

Pour doper la rentabilité de ce secteur, les pouvoirs publics travaillent d’arrache-pied à une nouvelle réforme de la gestion de ce portefeuille. Selon une source proche de la Direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP), dépendante du ministère des Finances, cette démarche devrait permettre la mise en place d’un dispositif favorisant la maximisation de la création de valeur.

 Le but est d’asseoir une meilleure visibilité sur la rémunération de l’État actionnaire

Actuellement, seules 25 entreprises publiques apportent une contribution au budget d’État, et, sur la période 2014-2016, les versements à la direction du Trésor se sont élevés à 27 milliards de dirhams, dont les deux tiers à titre de dividendes. Mais, jusque-là, ces versements variaient d’une année à l’autre, en fonction des besoins du budget de l’État.

Or cette absence de politique prédéfinie en matière de rémunération pénalise fortement ces entreprises dans la mesure où elle réduit leur capacité d’autofinancement. « Le but est d’asseoir une meilleure visibilité sur la rémunération de l’État actionnaire et de concilier les dates de versement avec les besoins de trésorerie de ces entreprises ainsi qu’avec le financement de leurs investissements », nous confie notre source.

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Asphixie financière

Si la définition du rôle de l’État actionnaire est au cœur de la réforme en préparation, l’amélioration de l’autonomie financière de ces entreprises est également l’un des axes majeurs de cette restructuration. Une nécessité imposée par la situation financière compliquée de certaines sociétés. À titre d’exemple, Autoroutes du Maroc, qui traîne des dettes de financement culminant à 40 milliards de dirhams (3,7 milliards d’euros), se retrouve en difficulté pour lever les financements nécessaires à ses investissements, sans la garantie de l’État. Normal, lorsqu’on sait que la quasi-totalité de son chiffre d’affaires est absorbée par les charges financières.

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Plusieurs autres entreprises se retrouvent dans le même cas de figure. Leur situation financière, qui se dégrade d’année en année, reflète souvent les contradictions dans les missions qui leur sont assignées : parfois, elles doivent supporter de lourds investissements, sans pour autant avoir une maîtrise de leur politique commerciale.

La réforme distinguera les entreprises publiques en fonction de la participation de l’État dans le capital et des subventions accordées

Une incohérence qui avait été relevée par la Cour des comptes, laquelle, en juin 2016, avait consacré tout un rapport au portefeuille public : « Les tarifs devraient être décidés dans le cadre de l’examen des plans d’investissement pluri­annuels et des budgets annuels pour assurer la viabilité économique et financière des entreprises », peut-on lire dans le pamphlet de cette cour, présidée par l’ancien Premier ministre Driss Jettou.

Sources d’investissements 

L’enjeu est de taille, car les entreprises publiques sont à l’origine des plus gros investissements étatiques : 55 % entre 2008 et 2014. « Cela est la traduction de la contribution des EEP en tant qu’acteur principal dans les stratégies sectorielles et dans la politique des grands chantiers engagés par l’État », affirme la Cour des comptes, qui pointe du doigt le déficit structurel de TVA qui pèse sur les comptes de ces sociétés.

« Du fait de l’importance des investissements effectués par les entreprises publiques, la suppression de l’exonération de la TVA sur les biens d’investissement a conduit à une accumulation considérable de crédit TVA, qui parfois date de plusieurs années. À la fin de 2015, les principaux EEP concentrent environ 25,2 milliards de dirhams de crédit TVA », ajoutent les limiers de Driss Jettou. Pour aller dans le détail, le groupe OCP a vu son crédit TVA décupler entre 2010 et 2015, pour frôler les 12,3 milliards de dirhams.

Cheval de bataille

La réforme du portefeuille public prévoit par ailleurs une distinction des entreprises publiques en fonction de la participation de l’État dans le capital et des subventions qu’il leur accorde. Le risque financier ainsi que la qualité de gestion et la gouvernance seront prépondérants dans cette segmentation à venir. En effet, entre 2010 et 2014, le total du transfert des ressources publiques vers les EEP a totalisé quelque 160 milliards de dirhams, dont 104 milliards du budget général de l’État, 34,5 milliards des comptes spéciaux du Trésor et 20,6 milliards sous forme de taxes fiscales ou de prélèvements obligatoires.*

Autre point crucial de la réforme en cours : la mise en place de mécanismes d’évaluation et l’établissement de règles d’incompatibilité et sur les conflits d’intérêts. Il faut reconnaître que, depuis les années 2000, l’amélioration de la gouvernance a toujours été un cheval de bataille pour les gestionnaires du portefeuille public. Des avancées considérables ont été enregistrées, mais des difficultés persistent. À titre indicatif, « 62 % des organes d’administration des EEP présentent des compositions qui dépassent 18 membres et atteignent pour certains établissements plus de 50 membres », soulève la Cour des comptes.

L’absence d’un dispositif réglementaire précisant les conditions de nomination des représentants de l’État ainsi que les carences institutionnelles et organisationnelles ont tendance à limiter les capacités décisionnelles de ces entreprises publiques. Bref, tout un chantier est prévu pour relifter ce portefeuille public.

DRISS JETTOU, L’HOMME DU GOUVERNEMENT À LA COUR DES COMPTES 

Plusieurs fois ministre sous Hassan II (Commerce, Finances, Intérieur) avant d’être le premier chef de gouvernement nommé par Mohammed VI, il préside, depuis 2012, la Cour des comptes.

Sous sa houlette, cette institution constitutionnelle multiplie les rapports sur des dossiers brûlants : marchés publics, retraites, financement des partis… Rapports qui servent souvent de déclencheurs de réformes. Celui traitant du portefeuille public n’a pas fait exception à la règle puisque, trois mois après sa publication, la machine de restructuration des entreprises publiques s’est mise en branle.

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