Management africain : place aux jeunes !

Le continent ne manque plus de compétences. Mais un jeune diplômé ne devient pas cadre dirigeant en un jour. Pour développer le potentiel de leurs meilleurs éléments, les entreprises les confrontent très tôt à la réalité des plus hautes responsabilités. Le groupe bancaire panafricain porte une grande attention à ses jeunes recrues. Sa directrice du personnel nous livre sa stratégie pour les attirer, les faire évoluer… et les retenir.

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 17 mars 2017 Lecture : 5 minutes.

L’édition 2017 du Africa CEO Forum a eu lieu à Genève, en Suisse. © Eric Larrayadieu/AFRICA CEO FORUM/J.A.
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Africa CEO Forum 2017 : repenser le modèle africain

La cinquième édition de ce rendez-vous du secteur privé africain, organisé par le Groupe Jeune Afrique et Rainbow Unlimited avec le soutien de la BAD, a lieu à Genève les 20 et 21 mars. Cette année, l’Africa CEO Forum met au cœur des débats la nature du boom économique des années 2000, la réalité de la croissance en Afrique et les décisions indispensables à prendre pour retrouver un rythme élevé et durable de croissance.

Sommaire

Face à la concurrence, les entreprises africaines ne manquent désormais plus de compétences. De plus en plus de jeunes cadres de haut niveau, sortis frais émoulus des plus grandes écoles, à l’étranger ou sur le continent, intègrent leurs rangs. Toutefois, pour qu’elles en tirent pleinement profit et puissent atteindre le top 500 mondial, ces diplômés doivent se muer en leaders capables d’incarner et d’insuffler une vision stratégique, d’entraîner avec eux des équipes. Cela ne s’improvise pas mais se cultive.

La culture africaine privilégiera une personne loyale plutôt qu’une personne compétente

Alors que des groupes occidentaux comme Coca-Cola ou Orange l’ont inclus dans leur politique de management, mettant parallèlement l’accent sur l’africanisation de leurs conseils d’administration, de plus en plus de compagnies du continent, à l’image de l’opérateur de télécoms MTN, des banques BMCE Capital et Ecobank ou encore du conglomérat Dangote, favorisent l’émergence de talents appelés un jour à occuper les plus hautes fonctions.

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Management en accord avec la culture

C’est un changement de culture qui s’opère doucement. Dans un secteur privé où les entreprises familiales demeurent nombreuses, l’ascendant du fondateur sur son management interne reste souvent fort, comme celui de Serigne Mboup sur le conglomérat sénégalais Comptoir commercial Bara Mboup (CCBM) ou de Jean Kacou Diagou, fondateur de l’assureur NSIA.

Mais, parmi ces patrons omnipotents, beaucoup devront préparer leur succession dans les prochaines années. Actuellement, explique le sénégalais Alioune Gueye, président-fondateur du cabinet de management Groupe Afrique Challenge, établi à Casablanca, « le bouche-à-oreille, la cooptation, restent encore les moyens privilégiés pour accéder aux plus hautes fonctions. La culture africaine privilégiera une personne loyale plutôt qu’une personne compétente, perçue comme potentiellement plus dangereuse. »

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Technique de recrutement spéciale

Néanmoins, les services de ressources humaines des grandes entreprises africaines élargissent de plus en plus leurs recherches quand il s’agit d’identifier les profils les plus pointus. Comme en Europe, ils effectuent une veille sur les réseaux sociaux, par exemple LinkedIn, repèrent de nouveaux cadres dans des forums de recrutement tels qu’AfricTalents ou s’adressent à des cabinets de chasse internationaux comme AfricSearch ou Michael Page.

Beaucoup reçoivent une excellente formation, mais se retrouvent peu à même de diriger une équipe

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« Ce n’est pas propre au continent, mais beaucoup d’embauches se font sans annonce », poursuit-il. Les associations d’anciens de grandes écoles comme Centrale, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) ou Polytechnique sont passées au crible. Et le club des « Big Four » – KPMG, Deloitte, EY, PwC – fait aussi figure de pouponnière.

« Ces cabinets sont des universités en elles-mêmes qui forment les jeunes consultants aux méthodes des grands groupes et leur permettent ainsi de bien connaître l’économie de leurs secteurs, d’être rompus au benchmarking. Au bout de trois ou quatre ans, ceux-ci seront recrutés par la direction financière d’importantes entreprises africaines, grimperont d’abord sous la responsabilité d’un senior avant de lui succéder », explique Mohamed Diakité, directeur du programme RH Excellence Afrique, lancé par le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) en 2015 afin de renforcer les compétences des entreprises du continent.

Accélérateur de carrière

Les groupes africains promettent souvent une progression rapide à leurs jeunes recrues les plus brillantes. Le parcours initiatique, néanmoins semé d’embûches, intègre désormais fréquemment un cursus d’accélération de carrière.

« Des programmes de développement personnel incluant des mises en situation sont mis en place, détaille Didier Acouetey, président-fondateur du cabinet AfricSearch. On les enverra sur de nouveaux marchés, dans des zones présentant des défis très contraignants, en leur donnant des responsabilités pour voir s’ils réussissent les tests. Puis, à l’âge de 30-35 ans, ils seront propulsés patrons de filiale. »

Superviser une équipe

Une formation technique et financière, même de très bon niveau, n’est pas suffisante pour engendrer un leader. Elle doit s’accompagner d’un volet coaching et mentorat de plusieurs mois, voire de plusieurs années.

« Beaucoup reçoivent une excellente formation, mais, lorsque le comité de direction leur confie la supervision d’un département, ils se retrouvent peu à même de diriger une équipe et en sortent frustrés. Écouter, libérer le potentiel de son entourage pour rendre l’entreprise plus performante, s’apprend aussi », détaille Gilles Atayi, auteur des 51 Pratiques fondamentales des leaders.

Ce consultant togolais, qui a créé son propre cabinet à Johannesburg après avoir travaillé avec le milliardaire Mo Ibrahim et qui a conseillé Coca-Cola, Airtel et Sunu Assurances, assure des sessions de groupe et des ateliers personnels pour mettre en confiance les futurs dirigeants.

Réseaux

Pour cette génération très mobile, incarnation de l’émergence de l’Afrique au niveau mondial, et très présente sur les réseaux sociaux, cette nouvelle culture passe aussi par un dialogue et une confrontation avec leurs pairs.

« Ils vont représenter leur groupe à de grands événements, comme l’Africa CEO Forum, qui leur permettent d’accroître leur visibilité, ou dans des séminaires fermés. À Abidjan, à Douala ou à Marrakech, les leaders se réunissent à huis clos et cultivent cet esprit de club, partagent entre eux des informations sur la vie des affaires, font de l’intelligence économique en quelque sorte, décrit Alioune Gueye.

Pour être en lien permanent, ils adhèrent à une association professionnelle de jeunes leaders, à des réseaux comme l’Aspen Institute ou l’African Leadership Network, dans lesquels ils se socialisent, s’épaulent dans le but d’être propulsés un jour à un poste supérieur. La société africaine étant fondée sur le principe des classes d’âges, le lien entre personnes nées la même année est parfois plus fort qu’entre frère et sœur. »

C’est sur cet esprit de socialisation que surfent des établissements tels que l’ENA ou Sciences-Po Paris, avec des programmes de leadership comme Lead Campus, dans lesquels viennent aussi piocher les recruteurs.

Perles rares

Pour les entreprises, le vrai défi consiste surtout à retenir ces perles rares. Et l’enjeu est encore plus fort pour la génération Y, celle des « millenials ». Ces trentenaires pleins d’enthousiasme peuvent abandonner un poste important chez L’Oréal pour s’occuper d’un orphelinat au Sénégal. « Il faut que l’entreprise propose un projet intéressant à ses talents au risque de les voir leur échapper », insiste Alioune Gueye.

Et de citer Jean-Luc Konan, qui a quitté la banque nigériane United Bank for Africa en 2013 pour fonder Cofina, spécialisé dans le financement des PME, ou Stanislas Zézé, ancien employé de la Banque mondiale, de la BAD et de Shell, qui a monté l’agence de notation Bloomfield Investment Corporation.

Ou d’autres, happés par la vie politique, comme le polytechnicien Abdourahmane Cissé, devenu ministre du Budget ivoirien. Son avenir de banquier au sein de Goldman Sachs paraissait tout tracé avant que le président Ouattara l’invite à rentrer au pays.

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