États-Unis : l’argent a toujours été roi à la Maison Blanche, mais jamais autant qu’avec Donald Trump
Depuis George Washington en 1789, les présidents américains ont toujours entretenu avec l’argent des rapports étroits. Mais avec Donald Trump, le plus riche de tous, on est entré dans une autre dimension !
Pour 200 000 dollars (environ 188 000 euros) par an, vous pouvez avoir accès à l’homme le plus puissant de la planète : le président des États-Unis en personne. C’est en effet le prix de la cotisation pour devenir membre de Mar-a-Lago, l’hôtel-club très sélect que Donald Trump possède en Floride. Depuis que le chef de l’exécutif y a récemment passé deux week-ends, l’établissement est même surnommé la Maison-Blanche d’hiver.
Avant la présidentielle de novembre 2016, la cotisation n’était que de 100 000 dollars. Comme quoi, la politique n’est nullement incompatible avec les affaires. Mais ça, on s’en doutait ! Cette somme va directement dans les caisses de la Trump Organization, dont le président a délégué la gestion à ses deux fils aînés, Donald Jr et Eric.
Sur les quarante-cinq chefs de l’exécutif élus depuis avril 1789, seuls neuf n’étaient pas millionnaires
Personne ne connaît avec précision le montant de la fortune trumpienne. Le groupe Bloomberg (informations financières) l’évalue à 3 milliards de dollars, et le magazine Forbes à 4 milliards. Très porté sur la vantardise, l’intéressé évoque pour sa part la somme de 10 milliards… Son refus de rendre publique sa feuille d’impôt – cas unique dans l’histoire récente – n’aide pas à y voir clair.
Seule certitude, il est le président américain le plus riche de tous les temps. Et pourtant, la concurrence est vive ! Sur les quarante-cinq chefs de l’exécutif élus depuis avril 1789, seuls neuf n’étaient pas millionnaires. La fortune du premier, George Washington, est estimée à 525 millions de dollars d’aujourd’hui : il possédait notamment 8 000 acres de terres et 300 esclaves. Autre esclavagiste notoire, Thomas Jefferson (1801-1809) était à la tête d’une fortune estimée à 212 millions de dollars.
Héritiers
À l’instar de Trump, beaucoup étaient des héritiers. C’est le cas des Roosevelt, Theodore (1901-1909) et Franklin Delano (1933-1945), rejetons d’une grande famille new-yorkaise. Homme d’affaires redoutable, Joseph Kennedy, le père de John Fitzgerald (1961-1963), était lui aussi immensément riche. S’il lui avait survécu, son fils aurait hérité d’un pactole avoisinant le milliard de dollars.
Quant à la famille Bush, qui, pour le meilleur et surtout pour le pire, donna à l’Amérique deux présidents – George Herbert Walker (1989-1993) et George Walker (2001-2009) –, elle tire du pétrole l’essentiel de son opulence…
Obama, l’écrivain
D’autres sont en revanche des self-made-men. Lyndon Johnson (1963-1969) est l’un d’eux : il fut instituteur avant de multiplier les investissements avisés, dans l’élevage notamment, et d’accumuler une fortune estimée à 98 millions de dollars. Barack Obama (2009-2017) entre lui aussi dans cette catégorie. Enfant de la classe moyenne, il a bâti sa fortune sur deux livres qu’il a publiés, Les Rêves de mon père (1995) et L’Audace d’espérer (2006), qui se sont vendus chacun à plus de 3 millions d’exemplaires aux États-Unis. Il a touché un à-valoir de l’ordre de 12 millions de dollars pour ce dernier ouvrage et obtenu deux Grammy Awards pour les versions audio des deux livres.
Le décret antimusulmans vise sept pays dans lesquels la Trump Organization n’a aucun intérêt
Mais revenons à Donald Trump. L’actuel président ne se satisfait pas d’être le plus riche. Il veut pouvoir le crier sur les toits. Tout le contraire d’un Abraham Lincoln (1861-1865), célèbre pour son extrême frugalité. Trump possède une demeure new-yorkaise inspirée du château de Versailles. Et un Boeing privé qui porte son nom.
Conflits d’intérêts
Du coup, certains en viennent à nourrir des soupçons quant à d’éventuels conflits d’intérêts entre Trump l’homme d’affaires et Trump le président. Il reste en effet propriétaire de la Trump Organization puisque, à la différence de tous ses prédécesseurs, il a refusé de se défaire de ses avoirs et de dresser un mur entre ses activités passées et ses fonctions actuelles. Certains observateurs n’ont pas manqué de remarquer que le trop fameux décret antimusulmans adopté au nom de la sécurité nationale vise sept pays dans lesquels la Trump Organization n’a aucun intérêt.
Ce qui n’est certes pas le cas de l’Arabie saoudite, pays d’origine de la majorité des terroristes du 11 septembre 2001. L’organisation envisageait d’y construire un hôtel, avant d’y renoncer en décembre 2016. Mais il ne faut pas insulter l’avenir… Le 25 février, l’ambassade du Koweït à Washington a tenu au Trump International Hotel, à un jet de pierre de la Maison-Blanche, son gala annuel pour célébrer l’indépendance de l’émirat. De quoi se faire bien voir du président américain !
Les Clinton eux aussi sensibles à l’argent
Les époux Clinton ont eux aussi un goût prononcé pour l’argent, mais ils l’assument moins ouvertement. On se souvient que Bernie Sanders, l’adversaire de Hillary lors de la primaire démocrate, avait vertement dénoncé les sommes astronomiques – 200 000 dollars, en moyenne – exigées par sa rivale pour une conférence à titre privé.
L’ex-première dame avait également expliqué qu’en quittant la Maison-Blanche, en janvier 2001, son mari et elle étaient « fauchés comme les blés », ce qui avait fait sourire : un président américain gagne 400 000 dollars par an et n’a que peu de frais. Le couple avait même dû restituer des meubles appartenant à la Maison-Blanche, emportés « par erreur » lors du déménagement…
Commercialisation du président
Mais, bien sûr, Trump porte la confusion entre business et affaires de l’État à d’inaccessibles sommets. Mi-février, après le tir d’un missile nord-coréen, il a géré la crise qui s’est ensuivie… devant les clients éberlués du restaurant de son hôtel de Mar-a-Lago. Lesquels s’empressèrent de poster des photos sur internet. « Mar-a-Lago représente une commercialisation de la présidence presque sans précédent, a commenté dans le New York Times l’historien Jon Meacham, biographe du président Andrew Jackson (1829-1837). Les chefs de l’exécutif ont toujours passé beaucoup de temps avec les riches. Mais un club où les gens paient pour être en compagnie du président, c’est nouveau ! »
Cette commercialisation n’est pourtant pas une nouveauté absolue, même si, dans le passé, elle avait plus volontiers lieu après qu’avant le terme du mandat présidentiel. Un exemple ? C’est en sa qualité d’ancien président que Bill Clinton a gagné la bagatelle de 153 millions de dollars pour les 637 conférences prononcées entre février 2001 et mai 2015.
La campagne présidentielle de 2012 a coûté 1,7 milliard de dollars
Le dernier jour de sa présidence, il avait, on s’en souvient, gracié un certain Marc Rich, un homme d’affaires peu scrupuleux condamné pour évasion fiscale. Les mauvaises langues y avaient vu un renvoi d’ascenseur, Rich ayant versé 100 000 dollars pour financer la campagne sénatoriale de Hillary et 450 000 dollars pour la création de la bibliothèque présidentielle.
Quant aux époux Obama, ils viennent, selon le Financial Times, de signer avec Penguin Random House un vertigineux contrat de 65 millions de dollars pour l’écriture de deux livres – un chacun. À titre de comparaison, George W. Bush n’avait touché que 10 millions pour ses Mémoires. Et Bill Clinton, 15 millions pour son autobiographie (Ma vie).
Obama aussi….
Rappelons aussi que les présidents américains ont coutume de nommer leurs plus importants soutiens financiers à des postes diplomatiques prestigieux. Et peu importe qu’ils soient ou non qualifiés ! Obama avait ainsi proposé de nommer à la tête de l’ambassade américaine en Norvège un certain George Tsunis, qui lui avait fait don de 1,3 million de dollars pour sa campagne de 2012.
L’ennui est que, lors de son audition devant le Sénat, ce même Tsunis crut bon d’évoquer « le président norvégien », alors que ce poste n’existe pas ! Le tollé fut tel que l’aspirant ambassadeur fut contraint de s’effacer. On a aussi prétendu qu’Anna Wintour, patronne du magazine Vogue et indéfectible soutien d’Obama, faillit être nommée à Londres ou à Paris, deux capitales de la mode…
Financement de campagne par les entreprises
Il va de soi que Trump a persévéré dans cette voie. N’a-t‑il pas nommé Robert Johnson, héritier de Johnson & Johnson, propriétaire des New York Jets, une franchise de la National Football League (NFL), ambassadeur au Royaume-Uni ? C’est bien simple, le président n’aime rien tant que la compagnie des riches. Plusieurs membres de son cabinet sont d’ailleurs millionnaires, à commencer par Betsy DeVos, sa secrétaire à l’Éducation, qui, à sa fortune personnelle, ajoute celle de sa belle-famille : 5 milliards de dollars. Quant à Rex Tillerson, le secrétaire d’État, il est assis sur un magot estimé à 150 millions de dollars.
Au pays du capitalisme, l’argent est le nerf de cette impitoyable guerre qu’est la politique. Et c’est encore plus vrai depuis un arrêt de la Cour suprême (Citizens United, 2010) autorisant le financement par les entreprises des campagnes électorales.
En échange de dons colossaux, Adelson exige un soutien sans faille à Israël et les Koch ne financent que des climatosceptiques
On constate en effet une sensible augmentation de « l’argent sombre » versé par des donateurs anonymes dissimulés derrière les « Super PAC ». Lors de la récente sénatoriale dans le Kentucky, lesdits Super PAC ont ainsi dépensé 23 millions de dollars pour faire élire Mitch McConnell, aujourd’hui chef de la majorité républicaine dans cette assemblée.
Pressions
Les campagnes présidentielles coûtent de plus en plus cher : 1,7 milliard de dollars, par exemple, en 2012. Et les sponsors les plus fastueux, tels les frères Charles G. et David H. Koch (pétrole, chimie, finance, etc.) ou Sheldon Adelson (immobilier, jeu), sont devenus des figures incontournables, quoique peu transparentes, de la vie politique américaine.
Dans la dernière ligne droite de la présidentielle, Adelson aurait ainsi investi 25 millions de dollars pour faire élire Trump. Les frères Koch ont fait encore plus fort : pour soutenir les candidats de leur choix, ils auraient, dit-on, englouti 300 millions de dollars dans les différents scrutins (présidentiel, législatifs et locaux). Bien entendu, il y a des contreparties. Adelson exige de ses poulains un soutien sans faille à Israël ; et les Koch ne financent que des climatosceptiques.
Paradoxe
Jamais la consanguinité entre Washington et Wall Street n’a été aussi marquée. Faut-il rappeler que la moitié des congressmen sont millionnaires ? Pourtant, l’argent ne fait pas tout. Trump n’a consacré à sa campagne « que » 66 millions de dollars, ce qui ne l’a pas empêché de triompher de concurrents bien mieux pourvus. Candidat à la primaire républicaine, Jeb Bush disposait pour sa part d’un trésor de guerre d’un montant estimé à 100 millions de dollars.
En novembre 2016, Trump était parvenu à réunir 646 millions de dollars, essentiellement sous la forme de petits dons, quand le camp Clinton et ses Super PAC disposait de 1,2 milliard de dollars. Insuffisant pour contrer l’incroyable faculté de The Donald à capter l’attention des médias par son message populiste et ses outrances. Paradoxe : c’est Trump le milliardaire qui a fait la démonstration que l’argent ne régnait pas encore sans partage sur la politique américaine.
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