Royaume Uni : trois fautes et une guerre civile

Grandeur et décadence. Un royaume a naguère personnifié la première et donne, depuis quelques années, des signes probants qu’il est entré dans la seconde.

Hommage aux victimes de l’attaque de Londres, devant le palais de Westminster, le 27 mars 2017. © Matt Dunham/AP/SIPA

Hommage aux victimes de l’attaque de Londres, devant le palais de Westminster, le 27 mars 2017. © Matt Dunham/AP/SIPA

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Publié le 30 mars 2017 Lecture : 5 minutes.

Il est européen, a réinventé, il y a plusieurs siècles, la démocratie et l’a pratiquée avant tous les autres.

Il a été à la tête d’un vaste empire sur lequel « le soleil ne se couche jamais ».

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Vous l’avez sans doute identifié : c’est le Royaume-Uni, plus connu de nous sous le nom de son pays dominant, l’Angleterre, ou de Grande-Bretagne.

Il s’apprête à entériner sa décision de quitter l’Union européenne.

Il avait pourtant supplié d’y être admis et finit par y parvenir en 1973 ; il en a été l’un des principaux membres pendant près d’un demi-siècle.

Où est la logique ? Quand avait-il raison ?

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*

Perspicace, l’un de mes amis m’a dit :

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— « Nous aurions dû savoir que ce royaume, qui a été grand, était en voie de décadence. Car il en a donné, au début de ce siècle, un signe qui ne trompe pas.

— Lequel ? ai-je demandé.

— Les deux dernières guerres qu’il a faites n’ont pas été décidées par lui : il y a été entraîné par d’autres et il les a faites “contre son gré”. »

Une grande nation qui s’embarque dans deux guerres qu’elle n’a ni conçues ni décidées est une nation en décadence

En 2003 déjà, le Premier ministre britannique d’alors, Tony Blair, a embarqué son pays dans la désastreuse guerre d’Irak. Il s’y est engagé sans l’aval de l’ONU, à l’invitation qu’il a jugée irrésistible des États-Unis.

Tony Blair a ainsi justifié le sobriquet dégradant de « petit caniche de George W. Bush » dont on l’avait affublé à l’époque.

Bis repetita en 2011 : le successeur de Blair, David Cameron, a engagé son pays dans une autre guerre tout aussi désastreuse, celle de Libye, conçue et décidée, celle-ci, par Nicolas Sarkozy, qui présidait à l’époque aux destinées de la France.

Une grande nation, puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, qui s’embarque en moins de dix ans dans deux guerres non seulement illégales mais qu’elle n’a ni conçues ni décidées est une nation en décadence.

Le pouvoir y était exercé en 2003 par les travaillistes et en 2011 par les conservateurs : les deux grands partis britanniques ont commis la même faute à huit ans d’intervalle.

Le Royaume-Uni est menacé de dislocation car l’une au moins de ses quatre composantes, l’Écosse, entend rester dans l’Union européenne.

Uni ou en voie de désunion, le pays d’Élisabeth II ne tardera pas à sentir les effets de sa troisième faute en quinze ans : en décidant de quitter l’Union européenne, il lâche la proie pour l’ombre, abandonne une réalité tangible pour un fantasme.

Sa décadence en sera accélérée.

*

Le Royaume-Uni était donc déjà dans l’actualité lorsqu’il a été frappé, le 22 mars, dans sa capitale, par un acte terroriste d’un genre qui me paraît nouveau.

Il y a réagi avec ce flegme et cet esprit de résistance qui sont sa marque.

Cet événement m’incite à une réflexion sur ce terrorisme islamiste qui sévit depuis deux décennies.

Celui qui se bat contre les islamistes pour que l’islam s’illumine de l’intérieur n’est pas islamophobe mais musulman

Un universitaire a étudié ce phénomène et le décrit en des termes qui me paraissent justes et en soulignent la complexité :

« La pauvreté ne conduit pas nécessairement au terrorisme. Pas plus que la tyrannie, la guerre, la corruption, l’absence d’éducation ou les violences subies… Aucun de ces phénomènes ne suffit, en soi, à pousser des jeunes gens idéalistes à décapiter ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, ni à se faire exploser dans la foule un jour de marché.

Mais chacun de ces phénomènes vient renforcer et alimenter le cours d’un torrent. »

Mon confrère algérien Kamel Daoud, dont il faut saluer le courage, a énoncé, lui, deux vérités que je fais miennes :

• « L’islam est une religion, l’islamisme un projet politique et idéologique. Ne laissons donc pas à l’islamisme le monopole du discours sur l’islam, tandis que les démocrates laïques s’abstiendraient de parler de religion. »

• « Celui qui se bat contre les islamistes pour que l’islam s’illumine de l’intérieur n’est pas islamophobe mais musulman. »

*

Que faire pour que « l’islam s’illumine de l’intérieur » ?

Il faut que les quelque deux milliards d’êtres humains de religion ou de culture musulmanes – soit 18 % à 20 % de l’humanité ! – reconnaissent enfin qu’ils sont en guerre civile.

Ils doivent également reconnaître que le terrorisme, phénomène mondial qui affecte nos vies et notre comportement, que personne ne parvient à extirper, procède de cette guerre civile.

D’un côté, les 99 % de musulmans qui réprouvent le terrorisme, dont ils sont, au passage, les premières victimes, et rejettent les jihadistes, jugeant leurs actes inacceptables et contre-productifs.

Mais qui se leurrent en clamant que les terroristes ne sont pas ou ne sont plus des musulmans.

De l’autre côté, près de 1 % des quelque deux milliards de musulmans – cela fait tout de même deux millions – qui sont jihadistes ou sympathisants du jihadisme : ses « compagnons de route ».

Ce sont des ultramusulmans, passéistes et extrémistes ; ils ont décidé de tuer sans retenue et de mourir pour « sauver l’islam » en lui faisant retrouver la pureté et la gloire qu’il a connues il y a quatorze siècles.

*

Il importe peu que beaucoup d’entre eux soient des déclassés ou des déséquilibrés, et que certains soient des convertis à l’islam pour des raisons qui leur sont propres.

Ils ont pour fantasme de rétablir les pratiques, la morale et les valeurs des débuts de l’islam, que l’humanité du XXe siècle a largement dépassées.

Les chiites, qui constituent près de 10 % des musulmans, sont restés à l’écart de ce phénomène jihadiste.

Les sunnites, qui l’animent, s’efforcent – un crime de plus – de déclencher une deuxième guerre civile entre sunnites et chiites.

Lorsqu’ils auront enfin reconnu que le mal est en eux, que le terrorisme résulte de la guerre civile qui fait rage dans leurs rangs, les musulmans (sunnites) cesseront de s’en laver les mains et de s’en remettre à l’Occident, à la Russie et à la Chine pour l’éradiquer.

*

Alors on pourra parvenir non pas seulement à le décapiter et à l’étouffer, comme l’Occident et la Russie le font avec Al-Qaïda et Daesh, car, à l’instar d’un cancer, il se régénère, métastase et revient à la charge.

Mais à l’extirper de la planète.

Les mauvais régimes qui gouvernent la plupart des pays musulmans auront-ils un jour à cœur de reconnaître que le mal est en eux ? Je ne le crois pas, malheureusement.

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