Tunisie – Hakim Ben Hammouda : « Sortons de ce tête-à-tête étouffant avec le FMI »

Audace et diversification des sources de financement de l’État : tel est le credo de Hakim Ben Hammouda, économiste de renom et ancien membre du gouvernement de Mehdi Jomâa.

Le 10 septembre 2014, à Tunis. © nicolas fauque

Le 10 septembre 2014, à Tunis. © nicolas fauque

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 12 avril 2017 Lecture : 4 minutes.

Hakim Ben Hammouda, 55 ans, a été ministre de l’Économie et des Finances du « gouvernement de technocrates » dirigé par Mehdi Jomâa, entre janvier 2014 et janvier 2015. Une expérience qu’il relate dans son dernier livre, Chroniques d’un ministre de transition, paru en décembre 2016 chez Cérès et déjà réédité.

Alors que la Tunisie est engluée dans la pire crise économique de son histoire moderne et que le Fonds monétaire international (FMI), inquiet de la trajectoire des finances publiques, a suspendu le décaissement de la deuxième tranche de son programme d’appui, Ben Hammouda plaide pour plus d’audace dans les réformes et une diversification des sources de financement de l’État.

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Jeune Afrique : L’état de l’économie tunisienne inspire les plus vives inquiétudes, avec une croissance atone, l’investissement en berne et des finances publiques en crise. Comment en est-on arrivé là ?

Hakim Ben Hammouda : Il y a des explications conjoncturelles, mais il faut souligner tout d’abord la dimension structurelle de la crise. Le modèle de développement date des années 1970 et s’est essoufflé. Il reposait sur des industries manufacturières à faible valeur ajoutée, dopées par une main-d’œuvre à bas coût.

La décennie 2000, qui fut celle de l’émergence, a été pour la Tunisie une décennie perdue.

Même si certains secteurs – nouvelles technologies, composants automobiles, aéronautiques – ont réalisé de belles percées, l’ancien régime n’a pas été en mesure d’accomplir la transition économique, laquelle supposait une plus grande ouverture sur l’investissement, l’amélioration du climat des affaires et la levée de certains blocages politiques.

La décennie 2000, qui fut celle de l’émergence, a été pour la Tunisie une décennie perdue. La croissance moyenne n’a été que de 4 % sur la période. Puis est venu le choc de la révolution, qui a fait voler en éclats les grands équilibres macroéconomiques et entraîné une première dérive des finances publiques. Nous avons assisté à une accélération de l’endettement pour faire face à l’augmentation très forte des dépenses de salaires de la fonction publique.

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En 2014, le gouvernement de Mehdi Jomâa a hérité d’une première crise des finances de l’État, que nous avons réussi à juguler à grand-peine, mais en évitant la casse sociale. Nous avons réduit les dépenses courantes des ministères de 20 %, sauf pour la Défense et les forces de sécurité, terrorisme oblige. Nous n’avons pas remplacé les départs en retraite et avons baissé de 2 milliards de dinars [environ 805 millions d’euros] l’enveloppe de la subvention énergétique, en faisant porter l’essentiel de l’effort sur les industries énergivores. Enfin, nous nous sommes fortement engagés sur un agenda de réformes.

Vous avez refusé une augmentation généralisée des salaires, fin 2014, mais le gouvernement qui a succédé au vôtre, celui de Habib Essid, a fait volte-face et accordé une hausse… avec effet rétroactif !

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Effectivement, et cela a pesé sur les finances publiques, d’autant qu’au même moment, avec la vague d’attentats et les troubles dans le bassin minier, la conjoncture s’est gravement détériorée. Mais le plus navrant, c’est que les réformes sur lesquelles nous avions travaillé, notamment en matière fiscale, ont été différées ou reportées. Certaines, comme la vente des participations minoritaires de l’État dans le système bancaire ou la montée en puissance de la Caisse des dépôts et consignations, auraient pourtant été faciles à mettre en œuvre.

Il faut de l’audace dans la réflexion et plus encore dans l’exécution.

Il faut de l’audace dans la réflexion et plus encore dans l’exécution, car la Tunisie conserve des atouts indéniables. Les actions entreprises en matière de réforme de la gouvernance et de lutte contre la corruption finiront par porter leurs fruits. La révolution a coupé la relation incestueuse entre le politique et l’économique, c’est un acquis irréversible.

La question qui doit mériter toute notre attention, c’est l’investissement. Il faut évidemment remettre de l’ordre dans les finances publiques, mais nous devons sortir du pseudo-débat autour de notre relation avec le FMI, qui vire à l’obsession. Depuis l’annonce du report de la visite prévue fin mars, on a l’impression que les décideurs et les commentateurs de ce pays ne respirent plus…

Vous dites que le débat public est « pris en otage », mais la Tunisie peut-elle prendre ses distances ou couper les ponts avec le FMI ?

Je n’ai jamais dit qu’il fallait couper les ponts, je plaide pour que l’on diversifie nos sources de financement, que l’on sorte d’un tête-à-tête exclusif et étouffant avec le FMI et, surtout, que l’on garde la tête froide. Rien qu’en améliorant la collecte de l’impôt, à fiscalité constante, nous retrouverions des marges de manœuvre.

En mai 2014, nous avons lancé le grand emprunt national de 500 millions de dinars, et, en décembre de la même année, nous avons organisé une sortie de 1 milliard de dollars sur le marché international obligataire. Je peux vous assurer que, pour cette raison, le dialogue avec le FMI était moins crispant et plus fluide. Soyons audacieux.

Ayons le courage de dire que l’endettement, quand il est en monnaie locale, ne constitue pas un problème insurmontable.

Je pense qu’il faut instituer une sortie annuelle sur le marché des capitaux, même si cela nous coûte au début, et solliciter davantage le marché interne, plutôt que de taxer encore plus les entreprises pour boucler les fins de mois, comme nous venons de le faire avec la « contribution exceptionnelle » de 7,5 % sur leurs résultats. Cela augmentera notre endettement ? Certes. Ayons cependant le courage de dire que l’endettement, quand il est en monnaie locale, ne constitue pas un problème insurmontable. Prenez l’exemple du Japon : sa dette avoisine 250 % du PIB, mais elle est essentiellement libellée en yens et détenue par des Japonais.

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