Ambroise Kom : « La prise de distance des Bamilékés avec la politique remonte à la colonisation »
L’écrivain, cofondateur de l’Université des montagnes (UDM), explique que le peuple bamiléké, considéré comme rebelle, a été exclu du champ politique en premier lieu par l’empire colonial.
Cameroun : que veulent (vraiment) les Bamilékés ?
Alors que le monde des affaires est depuis longtemps le terrain de jeu favori de nombre d’entre eux, la sphère politique leur résiste encore. À moins qu’elle ne les intéresse pas vraiment…
En 2000, des Bamilékés issus de la société civile créaient l’Université des montagnes dans les hauts plateaux de l’Ouest. Mais, depuis trois ans, un conflit entre ses dirigeants menace cet établissement d’excellence particulièrement prisé. Cofondateur et ex-vice-président de l’UDM, démis de ses fonctions en 2015, l’écrivain Ambroise Kom estime que cette situation témoigne bien de l’incapacité des Bamilékés à conduire ensemble un projet politique. Dans Pour solde de tout compte, son ouvrage paru le 15 mars aux Éditions des peuples noirs, il en explore les raisons.
Jeune Afrique : Comment est née l’UDM, cette université assimilée aux Bamilékés ?
Ambroise Kom : Au lendemain de la chute du mur de Berlin, un vent de démocratisation a soufflé sur l’Afrique. À ce moment, les Bamilékés ont été particulièrement redoutés par le gouvernement camerounais, qui estimait que ceux-ci étaient nombreux à disposer des ressources financières pour créer un grand parti. Mais il n’en sera rien.
La plupart se sont retrouvés associés aux anglophones du Social Democratic Front, d’autres ont rejoint l’Union démocratique du Cameroun, d’Adamou Ndam Njoya, ou l’Union nationale pour la démocratie et le progrès, de Bello Bouba Maïgari. Cependant, des membres de la société civile ont travaillé au lancement de l’UDM, qui n’avait rien d’un projet politique.
Le projet est aujourd’hui dévoyé : il s’agit d’un instrument de propagande au service de l’État
Mais ce projet n’a pas tout de suite fait l’unanimité…
Le gouvernement soupçonnait une stratégie communautaire pour conquérir le pouvoir. Cela n’a jamais été le but. En revanche, nous pensions que, en créant une institution d’excellence qui attire du monde, cela prouverait que les Bamilékés sont capables de travailler pour la nation.
Au départ, l’idée n’a pas suscité l’intérêt des dignitaires de l’Ouest, qui n’y voyaient pas de retour sur investissement immédiat. Ils se sont ravisés dix ans plus tard, quand le projet a pris son envol et créé des convoitises. Certains s’en sont donc emparés, sans s’interroger sur son origine, sa vocation, ses enjeux. Seul leur importait de pouvoir s’en servir pour briller aux yeux du gouvernement et en tirer quelque avantage. Le projet est aujourd’hui dévoyé : il s’agit d’un instrument de propagande au service de l’État.
Vous en déduisez que le Bamiléké est incapable de se mobiliser pour le bien de la communauté…
La vision généreuse qui doit être celle de tout homme politique, très peu de Bamilékés l’ont actuellement. Je n’en connais pas. Pour appréhender le rapport du Bamiléké au pouvoir, à la politique et à l’argent, il faut examiner ses traditions.
Dans une famille – parfois composée de plusieurs femmes et de nombreux enfants –, le successeur désigné hérite de tous les biens. Les autres doivent se débrouiller. C’est ce qui explique les fortes migrations à l’intérieur du pays, car beaucoup doivent chercher les moyens de survivre et de se constituer un patrimoine.
Considéré comme un rebelle lors de la guerre d’indépendance, le bamiléké est exclu du champ politique et des cercles du pouvoir
Cela explique-t-il son apparent désintérêt pour la politique ?
Pas totalement. Pour l’expliquer, il faut remonter à la colonisation. À cette époque, le Bamiléké est déjà connu pour être doué en affaires et habitué à se débrouiller. Il se tient éloigné des postes de fonctionnaire ou de commis de l’État. Et le colonisateur se méfie de ce sujet, qu’il ne parvient pas à maintenir sous sa coupe.
La guerre d’indépendance le conforte dans son idée : considéré comme un rebelle, il est exclu du champ politique et des cercles du pouvoir. Après l’indépendance, s’enrichir en trouvant des « arrangements » avec l’État reste donc sa principale préoccupation.
L’un des exemples les plus édifiants de cet enrichissement est peut-être celui de Victor Fotso. En « achetant » l’homme politique, il croit le tenir. C’est une erreur : personne n’est indispensable, et le politique contrôle tout. Le patriarche l’a appris à ses dépens, en étant dans l’incapacité de faire libérer son fils Yves Michel.
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