Madagascar : timide reprise, grands défis

Si la Grande Île a renoué avec la stabilité politique, l’environnement reste compliqué pour les acteurs économiques. Parmi les principaux obstacles, le manque criant d’infrastructures en bon état.

Construction d’une nouvelle route par l’entreprise Colas, à Ranomafana, en novembre 2016. © Michel COMPAGNON/CIT’images

Construction d’une nouvelle route par l’entreprise Colas, à Ranomafana, en novembre 2016. © Michel COMPAGNON/CIT’images

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 13 avril 2017 Lecture : 10 minutes.

La Grande Île n’avait pas besoin de cela. Le passage le 7 mars du cyclone Enawo – le pire qu’ait connu le pays en treize ans – a laissé la côte Est exsangue, et en particulier la Sava, cette région agricole du Nord-Est d’où provient l’essentiel de la production de vanille, secteur qui était déjà en difficulté.

Cyclone Enawo : 81 morts et 430 000 sinistrés

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À Antananarivo, la capitale aux multiples collines, les quartiers populaires les moins bien construits ont été dévastés, notamment à cause d’effondrements de terrain. Enawo a aussi provoqué de nombreuses inondations, en particulier dans la grande ville portuaire de Toamasina, où transite l’essentiel des produits importés et exportés. Le bilan humain du cyclone est lourd, avec au moins 81 morts et 430 000 sinistrés. Et il risque de freiner la transformation de la timide croissance – 4,2 % en 2016 selon le FMI – en un véritable décollage économique.

Car plus de trois ans après l’entrée en fonction du président Hery Rajaonarimampianina, la reconstruction du pays, affaibli par cinq années de crise politique et de mise au ban de la communauté internationale, a à peine commencé. « On s’attendait à un redémarrage rapide, comparable à celui vécu par la Côte d’Ivoire en 2012, ou même à ce qu’on a connu ici après la crise de 2002. Cela n’a pas été le cas, l’économie se porte très moyennement.

La priorité du président a été de conforter son assise politique et non de construire une relation de confiance avec les entrepreneurs

Une croissance de 4 %, c’est très faible, compte tenu de ce que nous avons traversé ! » affirme Thierry Rajaona, fondateur du cabinet de conseil et d’audit FTHM, qui accompagne des entreprises internationales et locales à Madagascar. « La priorité du président a été de conforter son assise politique – pourtant encore fragile –, et non de construire une relation de confiance avec les entrepreneurs », analyse ce connaisseur des milieux économiques et politiques malgaches, qui regrette le temps perdu par les nouvelles autorités.

Hassanein Hiridjee, directeur général du groupe Axian, présent notamment dans les télécoms (Telma) et l’énergie (à travers les stations-service Jovenna), est moins sévère. « L’économie malgache est généralement résiliente en temps de crise, mais quand la conjoncture est bonne, sa croissance n’atteint jamais des sommets », relativise-t-il depuis ses bureaux du prospère centre d’affaires Galaxy d’Antananarivo, géré par son groupe.

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Le développement des équipements, un défi crucial

Reste que pour tous les dirigeants d’entreprises – petites et grandes – rencontrés début février 2017 par Jeune Afrique à Antananarivo et dans la région de Toamasina, le défi crucial du développement des équipements n’a toujours pas été relevé. Or routes, voies ferrées et électricité sont vitales dans ce pays grand comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal réunis, avec une population de seulement 25 millions d’habitants, à 65 % rurale.

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Malgré le retour à la stabilité en 2014, les infrastructures n’ont cessé de péricliter, faute d’un retour rapide des partenaires financiers internationaux pour épauler l’État. La Conférence des bailleurs de fonds n’a été organisée à Paris que début décembre 2016. Elle a permis d’obtenir 10 milliards de dollars (9,3 milliards d’euros) de promesses de prêts et de dons privés et publics, dont la plus grande partie sera consacrée aux infrastructures.

Un excellent résultat, mais qui arrive bien tardivement et doit maintenant se décliner en projets. « Je crains que cela prenne encore énormément de temps : pour faciliter la concrétisation des promesses, nous n’avons même pas d’ambassadeurs dans des pays aussi stratégiques que la France, le Japon, l’Allemagne ou les États-Unis », s’offusque Thierry Rajaona.

Nous souffrons actuellement de délestages, y compris à Antananarivo, ce qui était rare auparavant à cette saison

Même si les autorités expliquent qu’il faut du temps pour renouer avec les bailleurs de fonds, sur le terrain la situation devient critique : « Nous souffrons actuellement de délestages, y compris à Antananarivo, ce qui était rare auparavant à cette saison. La pluie, qui fait tourner les barrages, est tombée avec un mois et demi de retard », regrette Hassanein Hiridjee, dont le groupe ambitionne aujourd’hui de construire des centrales électriques à gaz.

Même plainte sur les faiblesses de la compagnie électrique nationale Jirama chez Sipromad, actif notamment dans la fabrication et la distribution de cigarettes. « Nous n’avons pas eu d’autre choix que d’installer des groupes électrogènes dans chacune de nos usines pour pouvoir les faire tourner en cas de coupure, indique Tiana Rasamimanana, secrétaire général de l’entreprise.

Démission de l’l’État

L’état déplorable des routes dans le Nord, près de Mahajunga, où nous avons nos plantations de tabac, nous oblige à organiser une logistique mixte, par camion et bateau, ce qui coûte cher et fait perdre un temps considérable. » « Dans l’élevage de crevettes, une filière de qualité a été mise en place par des opérateurs privés tels qu’Aquamas ou Unima, installés dans des régions enclavées du Nord. Mais ils ne doivent compter que sur leurs propres forces, se substituant à l’État, qui a totalement démissionné, pour gérer les routes ou les écoles », renchérit Thierry Rajaona, du cabinet FTHM.

Quant aux rares grands projets menés par des groupes internationaux, tels que le canadien Sherritt, premier actionnaire du mégaprojet de nickel d’Ambatovy, ils sont le plus souvent autonomes. « Notre mine et notre usine de transformation – représentant à elles deux 8 milliards de dollars d’investissement et environ 7 000 emplois – ont été pensées pour fonctionner sans les infrastructures publiques : nous disposons de notre centrale électrique, d’une usine de traitement des eaux, d’une voie ferrée dédiée, d’un terminal minéralier et même d’un aérodrome et d’un avion pour être sûrs de pouvoir fonctionner 24 heures sur 24 », explique son directeur général, l’Australien Tim Dobson.

La situation est meilleure dans la téléphonie mobile, mais la coupure d’un câble sous-marin a privé de nombreux abonnés de Telma, le premier opérateur du pays, d’un accès à internet performant du 25 janvier au 11 février.

Près de Toamasina, le complexe minier d’Ambatovy a été pensé pour pouvoir fonctionner de manière totalement autonome. © Rijasolo/Riva Press

Près de Toamasina, le complexe minier d’Ambatovy a été pensé pour pouvoir fonctionner de manière totalement autonome. © Rijasolo/Riva Press

Conflit politique et déshérence

Symbole d’un secteur des infrastructures en déshérence, la compagnie ferroviaire Madarail, qui gère les lignes entre la côte Est et les hauts plateaux (de Toamasina à Antananarivo et Antsirabe), sombre lentement. Alors que le trafic passagers a été quasi abandonné, les volumes de fret transportés sur l’axe Toamasina-Antananarivo, le plus important du pays, ne cessent de diminuer, passant de 800 000 tonnes dans les années 1980 à 400 000 tonnes en 2011, pour descendre à seulement 146 000 tonnzq en 2016.

Sur 17 locomotives, seules 7 sont encore en état de fonctionnement quand il en faudrait au moins une trentaine pour revenir aux niveaux d’antan. Cause principale de cette situation : un conflit politique qui s’éternise entre l’actionnaire principal, Mamy Ravatomanga, proche de l’ancien président Andry Rajoelina, qui détient 75 % des parts, et l’État, propriétaire des 25 % restants.

Dans le secteur minier, nous n’avons pas assez de moyens pour assurer nos missions d’inspection, de sensibilisation et d’encadrement

De l’aveu même des gouvernants actuels, l’État malgache reste faible, incapable de réguler des secteurs cruciaux pour le pays, comme la vanille, la riziculture ou encore les pierres précieuses. « Dans le secteur minier, nous n’avons pas assez de moyens pour assurer nos missions d’inspection, de sensibilisation et d’encadrement sur l’ensemble du territoire, alors que de nombreux gisements sont aux mains du secteur informel, particulièrement dans la filière d’extraction de saphir », constate Ying Vah Zafilahy, ministre auprès de la présidence chargé des Mines et du Pétrole, qui souhaite faire évoluer le code minier, trop peu contraignant, pour doper les recettes de l’État. Selon lui, la méthode inclusive choisie par le gouvernement pour le réformer – qui oblige à consulter toutes les parties prenantes à l’échelon régional et national – reste la meilleure, même si elle prend du temps.

Pour Thierry Rajaona, auteur d’un rapport en 2007 sur les filières minières artisanales, mis au placard par les autorités de l’époque, la question n’est pas tant un problème de temps et de moyens que de volonté politique de s’attaquer à des baronnies politico-économiques locales et à des intermédiaires à qui profitent les trafics et les spéculations. « Il est possible de réguler le secteur minier ! Il n’y a pas de raison que Madagascar ne puisse pas mettre en place pour les filières saphir et rubis le même type d’organisation que le Botswana pour ses diamants. Mais au lieu de s’attaquer à l’informel et aux filières criminelles, ce gouvernement, comme ceux d’avant, préfère s’attaquer aux rares groupes internationaux régulièrement enregistrés, comme Ambatovy, pour augmenter leur fiscalité à travers un nouveau code minier », regrette le patron de FTHM.

Pour la plupart des entrepreneurs interrogés, les autorités doivent avancer sur les sujets cruciaux et liés de la corruption et de la justice, notamment pour les litiges commerciaux et réglementaires. Un sujet sur lequel s’était engagé Hery Rajaonarimampianina lorsqu’il était candidat, mais sur lequel il a tardé à agir une fois aux affaires.

Retour sur la scène économique

Et pourtant, la Grande Île fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part des investisseurs internationaux ces derniers mois. « Nous sortons d’une période euphorique, qui a commencé avec la visite en novembre 2016 du roi du Maroc, Mohammed VI, qui avait amené avec lui une kyrielle d’entreprises de son pays, explique Hassanein Hiridjee. Par la suite, le sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) a été une véritable réussite, alors qu’on nous avait prédit une catastrophe. Et enfin, en décembre, il y a eu le succès de la conférence des bailleurs de fonds de Paris. »

Pour le chef d’entreprise, ces trois événements, à mettre au crédit du gouvernement actuel, ont sonné le retour définitif de Madagascar sur la scène économique. Une série d’épisodes positifs qui a permis la signature de projets pour l’aménagement du canal des Pangalanes avec le groupe public marocain Marchika Med et des partenariats dans l’électrification avec le français Eiffage, le chinois Sinohydro ou encore le turc Aksa.

Le patron du groupe Axian met aussi en avant la multiplication des liaisons aériennes depuis un an par Turkish Airlines, mais aussi par Kenya Airways et Ethiopian Airlines. Quant au sauvetage d’Air Madagascar par Air Austral, annoncé le 15 mars, il doit être finalisé dans les prochaines semaines.

De manière générale, les chefs d’entreprise ne nient pas ce retour récent de Madagascar sur les écrans radars des investisseurs vanté par le président, mais ils doutent de la concrétisation de toutes ces promesses alors que les écuries politiques se mettent à nouveau en ordre de marche en vue de la présidentielle prévue fin 2018.

Certains disent que Madagascar est instable, et l’histoire récente ne les contredit pas. Mais il y a des signes qui montrent que le pire n’est pas inéluctable

Les partisans des précédents dirigeants – Andry Rajoelina, Marc Ravalomanana et Didier Ratsiraka – ainsi que ceux du chef de l’État actuel s’agitent déjà dans les grandes villes. Cette perspective n’est pas pour rassurer les investisseurs, qui gardent en mémoire les crises électorales de 1991, 2002 et 2009, lesquelles ont à chaque fois mis l’économie à terre. « Certains disent que Madagascar est instable, et l’histoire récente ne les contredit pas. Mais il y a des signes qui montrent que le pire n’est pas inéluctable, estime Hassanein Hiridjee.

Depuis la présidentielle de 2014, des élections législatives, communales et sénatoriales se sont déroulées sans encombre. Et les bailleurs de fonds ont sensibilisé tous les candidats, qui savent que si le scrutin pose problème l’accompagnement de la communauté internationale sera remis en question », fait encore valoir le patron du groupe Axian, qui reste optimiste.

Le textile retisse sa toile

Réintégré à la mi-2014 parmi les bénéficiaires de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa, qui facilite l’accès au marché américain), dont il était exclu depuis 2009 du fait de la crise politique, Madagascar a vu son secteur textile reprendre des couleurs : ses exportations vers les États-Unis ont atteint 55 millions de dollars (50 millions d’euros) entre janvier et juillet 2016, contre 22 millions sur la même période en 2015.

Derrière ce rebond, la force d’une zone franche efficace, implantée dès 1990 à Antananarivo, et une stratégie de diversification des pays acheteurs.

Le tri des gousses s’effectue en fonction de leur longueur, de leur qualité et de leur couleur (usine AFH Export, à Sambava). © Rijasolo/Riva Press

Le tri des gousses s’effectue en fonction de leur longueur, de leur qualité et de leur couleur (usine AFH Export, à Sambava). © Rijasolo/Riva Press

Une filière vanille très fragile

Ces derniers mois, le prix de la vanille a atteint des sommets, à près de 460 euros le kilo, soit son niveau le plus élevé depuis 2004. Derrière cette hausse, une forte tension entre l’offre et la demande : d’un côté, une filière malgache fragile – représentant 80 % de la production mondiale et 5 % du PIB ; de l’autre, des géants de l’industrie agroalimentaire qui prisent de plus en plus les produits naturels. Le niveau actuel des cours est aussi alimenté par le rôle de blanchisseur que joue la filière pour différents trafics dans la Grande Île, dont celui du bois de rose.

Le niveau élevé des cours poussent les cultivateurs à avancer la récolte

Dans la région de la Sava, qui produit 85 % de la vanille du pays, le niveau élevé des cours a des effets pervers sur la qualité de la production. Alors qu’il est crucial que cultivateurs et préparateurs de vanille laissent la plante et les gousses arriver à maturité, beaucoup d’entre eux ont avancé la récolte pour engranger rapidement des bénéfices.

Le passage début mars 2017 du cyclone Enawo, qui aurait détruit près de 30 % de la récolte, va encore aggraver la situation. Au bout du compte, le risque est grand que les acheteurs se tournent vers d’autres pays producteurs – tels que la Papouasie-Nouvelle-Guinée et l’Indonésie –, ou vers des parfums artificiels, comme ils l’avaient déjà fait en 2004, entraînant une chute brutale des cours.

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