RDC : massacres, mensonges et vidéo

Depuis des mois, le Kasaï-Central est en proie à de violents affrontements entre les milices de Kamuina Nsapu et l’armée congolaise. Venus enquêter sur le conflit qui ensanglante cette province rebelle, deux experts de l’ONU ont perdu la vie.

Des soldats de la Monusco en patrouille devant les locaux d’une entreprise dans le village de Bushendo, dans le Nord-Kivu, en RDC, en juin 2016. © Monusco Photos/CC/Flickr

Des soldats de la Monusco en patrouille devant les locaux d’une entreprise dans le village de Bushendo, dans le Nord-Kivu, en RDC, en juin 2016. © Monusco Photos/CC/Flickr

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 7 avril 2017 Lecture : 7 minutes.

Les images hantent encore tous ceux qui les ont vues. La scène se déroule sous un ciel ensoleillé, à proximité de Mwanza-Lomba, dans le centre de la RD Congo. Reconnaissables au bandeau rouge qui ceint leur front, un petit groupe de miliciens de Kamuina Nsapu, parmi lesquels des femmes, des vieillards et des enfants, occupent la route en terre.

Abattus « comme des animaux »

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Soudain, l’armée congolaise ouvre le feu, et les silhouettes s’effondrent une à une. Puis le vidéaste (probablement lui-même militaire) s’approche des victimes qui gisent au sol, certaines encore vivantes. Le souffle court, les rescapés implorent. Impitoyables, les militaires les achèvent « comme des animaux » – ainsi qu’ils les qualifient eux-mêmes en lingala.

Cette vidéo, qui a fuité sur internet le 17 février, a provoqué un immense choc dans le monde en donnant un visage au drame qui se joue dans le Kasaï-Central et qui se résumait jusque-là à une litanie de bilans tout aussi meurtriers que désincarnés.

Avant cela, une poignée de témoins seulement étaient revenus des profondeurs de cette province, où peu d’étrangers s’aventurent. C’est encore cette séquence qui, après le déni initial du régime de Kinshasa, aura poussé les autorités à sévir enfin. Sept militaires présumés impliqués dans ce massacre ont été arrêtés.

Comme si les mystères entourant cette insurrection exaltée, entrée en guérilla au mois d’août 2016, après l’assassinat de son leader, résistaient à toute forme de compréhension rationnelle, la séquence, floue et saccadée, pose elle-même question. Pourquoi ces soldats filment-ils – et donc documentent-ils – leur forfait ? Et pourquoi ces civils ne prennent-ils pas la fuite lorsque les premières rafales s’abattent sur eux ?

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Fétiches contre AK47

La modestie de leur armement – principalement des frondes et des machettes – condamne les adeptes de Kamuina Nsapu à une mort certaine face aux armes de guerre de l’armée congolaise. Et pourtant, la sorcellerie, censée les protéger, les incite à rester de marbre face aux balles. Un « combat » résolument asymétrique : fétiches contre AK47.

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De la rébellion de Pierre Mulele aux groupes maï-maï, en passant par Bundu dia Kongo, l’histoire de la RD Congo a déjà connu nombre d’insurrections rurales exaltées. Mais rarement on aura vu autant de morts tomber en si peu de temps.

Dans un rapport publié en février, l’ONU a recensé 151 victimes de la répression de l’armée, dont 60 enfants. À la mi-mars, le conflit a englouti, dans des circonstances non élucidées, deux experts de l’ONU : l’Américain Michael Sharp et la Suédoise Zaida Catalan. Tous deux étaient venus enquêter dans cette province de tous les dangers. Ils l’ont payé de leur vie.

Kamuina Nsapu s’est senti menacé, il a cru que des rivaux essayaient de le supplanter.

Les origines de la révolte sont connues. En avril 2016, Jean-Pierre Pandi, alias Kamuina Nsapu, rentre d’Afrique du Sud pour succéder à son père à la tête d’une chefferie traditionnelle. Située à Tshimbulu, celle-ci règne sur 52 villages. Nous sommes à une centaine de kilomètres de Kananga, le chef-lieu du Kasaï-Central, au cœur de ces campagnes où si peu d’espoir et d’infrastructures fleurissent. Dans ce coin perdu de l’immense RD Congo, l’État apparaît si faible que l’autorité est incarnée avant tout par les chefs coutumiers.

Adoubé par la famille régnante, Kamuina Nsapu ne parvient pas à faire reconnaître son pouvoir par les autorités officielles. Les raisons de ce blocage demeurent floues. Lui préfère-t-on un candidat mieux disposé vis-à-vis du président Joseph Kabila ?

À l’époque, le gouvernement de Kinshasa cherche à consolider son assise dans les provinces. Or la région sur laquelle Kamuina Nsapu entend régner se montre depuis longtemps rétive. C’est non loin de là qu’est né Étienne Tshisekedi, l’intraitable opposant qui a lutté durant quatre décennies, et qui est décédé le 1er février.

Toutefois, ce dernier avait toujours refusé que ses partisans prennent les armes. « Il y a eu un problème de gestion du pouvoir coutumier, reconnaît Emmanuel Ramazani Shadary, le vice-Premier ministre chargé de l’Intérieur et de la Sécurité. Kamuina Nsapu s’est senti menacé, il a cru que des rivaux essayaient de le supplanter. » Le gouverneur de la province à l’époque, Alex Kande, sera rappelé à Kinshasa quelques mois plus tard. Sa gestion du dossier lui vaut d’être aujourd’hui l’objet d’une « enquête administrative ».

Le basculement

Car Kamuina Nsapu, bafoué et débordant de colère, ne tarde pas à lancer ses jeunes partisans à l’assaut des symboles de l’État – et même de certaines chefferies voisines, dont il accuse les leaders de traîtrise. Irrédentiste, son mouvement rejette en bloc tous les peuples étrangers à cette région et n’hésite pas à recruter de très jeunes enfants.

Le 12 août 2016, lui-même est tué au cours d’une opération de police, avec huit de ses miliciens. Sa mort radicalise et politise le mouvement, qui appelle désormais ouvertement au départ du président, Joseph Kabila, dont l’ultime mandat constitutionnel doit expirer le 19 décembre 2016.

Même l’Église catholique, qui est souvent la dernière institution à se maintenir dans les provinces reculées, choisit d’évacuer certains prêtres de la zone. Basculant dans l’extrême violence, les miliciens se rendent coupables d’atrocités, ce qui n’empêche pas tout un pan de la population de les soutenir.

On leur distribue des fétiches, et dès lors ils se croient invincibles !

En face, l’armée congolaise fait un usage « disproportionné » de la force, selon la litote onusienne. « Ces jeunes terroristes sont drogués, assure de son côté Ramazani Shadary. On organise des cérémonies au cours desquelles on leur distribue des fétiches, et dès lors ils se croient invincibles. Ce sont eux qui recherchent l’affrontement ! »

C’est dans ce contexte que Michael Sharp et Zaida Catalan ont débarqué au début de mars à Kananga. Experts mandatés par le Conseil de sécurité de l’ONU, ils se déplaçaient à moto, enquêtant sur les massacres commis dans la région, lorsqu’ils ont disparu le 12 mars à une centaine de kilomètres de là, avec leurs quatre accompagnateurs congolais.

Leurs corps sans vie – l’un décapité – ont été retrouvés deux semaines plus tard dans un cimetière informel. Les recherches menées quinze jours durant pour les retrouver ont mis en évidence une autre dimension de la crise qui sévit dans cette région : la défiance entre l’armée congolaise et les troupes de la Monusco.

Une mission devenue gênante

La coopération est loin d’avoir été aussi « excellente » que ne l’a affirmé le chef de la Monusco, le Nigérien Maman Sidikou, dans une note diffusée le 29 mars. Un constat qui n’a rien d’illogique : le bureau des droits de l’Homme de la Monusco publie chaque mois des communiqués détaillant les « violations des droits humains » attribuées aux militaires congolais, parmi lesquelles de nombreuses exécutions.

C’est d’ailleurs en partie à cause de ces accusations que les autorités cherchent à limiter les moyens alloués à cette mission devenue gênante. Ces dernières semaines, pendant que les deux forces étaient censées rechercher de concert les experts disparus, le ministre congolais des Affaires étrangères, Léonard She Okitundu, et le conseiller diplomatique du chef de l’État, Barnabé Kikaya Bin Karubi, se sont rendus à New York, puis à Moscou, pour tenter d’obtenir une réduction des effectifs de la Monusco.

Un objectif qu’ils ont fini par atteindre, quoique dans des proportions symboliques, bien aidés en cela par une Administration américaine avant tout motivée par les économies qu’elle pourrait en tirer.

À Kananga, les troupes onusiennes chargées des recherches – un bataillon uruguayen et des éléments des forces spéciales tanzaniennes – ont parfois reçu des Congolais l’interdiction de se déplacer dans la zone. Les versions divergent d’ailleurs, entre Kinshasa et New York, sur les circonstances de la découverte des corps. Le gouvernement affirme que la police locale était la première sur place, tandis que l’ONU évoque une découverte par l’un des bataillons de la Monusco. Si Kinshasa attribue l’assassinat des deux experts aux partisans de Kamuina Nsapu, à New York, on n’écarte aucune hypothèse.

On ne perçoit pas de fléchissement, il y a encore plusieurs morts chaque jour.

La Monusco n’a pas davantage confirmé l’annonce par Kinshasa de la mort par égorgement de 39 membres des forces de l’ordre congolaises, le 24 mars, par les « terroristes » de Kamuina Nsapu. Intrigués par le fait que les noms des policiers tués n’aient pas été rendus publics, certains opposants vont jusqu’à douter de la véracité de ce massacre. « Ceux qui nous accusent de mentir sont tranquillement assis dans leurs bureaux climatisés à Kinshasa, s’agace Ramazani Shadary. Cela s’est produit dans une zone de conflit, c’est pourquoi nous n’avons pas encore pu récupérer tous les corps. »

Pendant ce temps, l’insurrection orpheline des partisans de Kamuina Nsapu continue de s’étendre, touchant même les provinces voisines et certaines zones urbaines. « On ne perçoit pas de fléchissement, s’alarme une source onusienne. Il y a encore plusieurs morts chaque jour. » « Le problème durera tant qu’aucune solution politique n’aura été trouvée, reconnaît Ramazani Shadary. Il faut trouver un successeur à Kamuina Nsapu, sans quoi n’importe quel petit groupe de gens désœuvrés continuera de prendre les armes en se réclamant de lui. » En attendant, au cœur du Congo, le trou noir continue d’avaler ses enfants.

Mouvements mystico-régionalistes contemporains en RDC

  • Kamuina Nsapu

Origine : Kasaï-Central (Centre), actif depuis 2016

  • Bundu dia Kongo

Origine : Kongo-Central (Ouest), création en 1969, résurgence depuis janvier 2017

  • Mouvement du Pasteur Mukungubila

Origine : Haut-Katanga (Sud-Est), attaque simultanée à Kindu, Kinshasa et Lubumbashi en décembre 2013

  • Mouvements Maï-maï

Origine : provinces de l’Est, divers groupes actifs depuis la deuxième guerre du Congo (199

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