Nana Akufo-Addo : « L’Afrique de l’Ouest manque de grands projets communs »

Un peu plus de trois mois après son investiture, le président ghanéen, Nana Akufo-Addo pose les grandes lignes de sa politique : modernisation de l’économie, lutte contre la corruption et coopération avec ses voisins de la sous-région.

Nana Akufo-Addo dans sa résidence d’Accra, au lendemain de son élection. © Pius Utomi Ekpei/AFP

Nana Akufo-Addo dans sa résidence d’Accra, au lendemain de son élection. © Pius Utomi Ekpei/AFP

Patrick Smith est le rédacteur en chef de The Africa Report, un magazine mensuel qui se concentre sur la politique et l’économie en Afrique. © DR

Publié le 21 avril 2017 Lecture : 6 minutes.

Longtemps il s’est approché du pouvoir sans parvenir à décrocher le Graal. Candidat malheureux aux élections de 2008 et de 2012, Nana Akufo-Addo aura dû attendre décembre 2016 pour s’imposer, enfin, dans les urnes. À la tête du pays de Nkrumah, pionnier des indépendances au sud du Sahara, cet ancien ministre de la Justice puis des Affaires étrangères se réjouit d’exercer la fonction suprême au sein d’un club ouest-africain qui, depuis le départ du Gambien Yahya Jammeh, se revendique comme pleinement démocratique.

À peine élu, le nouveau président a surpris son monde en nommant pas moins de 110 ministres, laissant perplexe plus d’un Ghanéen. À l’en croire, ce gouvernement pléthorique se justifierait par l’ampleur des chantiers prioritaires, dans un pays dont la croissance a chuté de 14 % en 2011 à 3,3 % en 2016. Soucieux de consolider les acquis démocratiques, notamment en renforçant les pouvoirs du Parlement, Akufo-Addo saura-t-il redonner au Ghana l’aura dont il jouissait au temps de son père fondateur ?

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Jeune Afrique : Les pays d’Afrique de l’Ouest parviennent aujourd’hui à dénouer de concert des crises politiques, comme on l’a vu récemment en Gambie. Pourtant, l’intégration économique y est moins avancée qu’en Afrique australe ou en Afrique orientale. Comment l’expliquez-vous ?

Nana Akufo-Addo : L’élection d’Adama Barrow en Gambie a valeur de symbole : pour la première fois depuis les indépendances, tous les dirigeants ouest-africains sont élus démocratiquement. Je ne suis en fonction que depuis le 7 janvier, mais les interactions que j’ai pu avoir avec mes pairs me font ressentir un climat de confiance encourageant.

Tous disposent de la légitimité requise pour prendre les bonnes décisions. Ce climat politique favorisera nécessairement la progression de notre région vers l’intégration économique.

Ce qui nous fait encore défaut, contrairement à l’Afrique australe ou à l’Afrique orientale, c’est la mise en œuvre conjointe de grands projets, notamment sur le plan des infrastructures : un système ferroviaire unifié, des routes connectées… C’est ce développement commun de nos ressources que nous devons maintenant privilégier.

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Le Ghana occupe une place particulière dans l’histoire de l’Afrique subsaharienne, ayant été la première nation à obtenir son indépendance, en 1957. Peut-il encore jouer un rôle diplomatique important ?

C’est vrai, nous avons été les premiers à nous libérer du joug colonial, et le reste du continent avait alors les yeux rivés sur nous. Nous avons ensuite aidé nos frères et sœurs africains à frayer leur propre chemin vers l’indépendance. Cela nous a conféré une certaine aura et nous a donné les moyens de nous faire entendre sur le plan international.

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Si nous ne sommes plus dans le contexte qui avait fait de Kwame Nkrumah un modèle, nous avons puisé une nouvelle force dans la consolidation démocratique du pays. Cela donne un écho renouvelé à notre voix.

Dans cet élan de consolidation démocratique, vous avez déclaré vouloir déléguer et décentraliser le pouvoir. Entendez-vous réduire les attributions du président ?

Je suis résolument en faveur d’une réorganisation institutionnelle. Il est primordial de mieux équilibrer, dans notre Constitution, les prérogatives respectives des pouvoirs exécutif et législatif. La réforme que nous préparons vise donc à renforcer le Parlement, dont le rôle apparaît aujourd’hui trop limité, notamment en matière budgétaire. Un Parlement qui n’exerce pas de véritable contrôle sur les finances de l’État est un Parlement au rabais…

Si l’un de mes ministres était impliqué dans une affaire de corruption, ce serait un échec terrible pour moi

Vous fondez vos futures réformes sur la modernisation de l’économie et sur l’industrialisation du pays. Comment convaincrez-vous les entreprises qui ont intérêt au statu quo ?

Pour résoudre les problèmes de pauvreté, nous devons transformer structurellement notre économie afin de sortir d’un modèle focalisé sur les matières premières. Ma politique économique sera donc cohérente et continue, et j’attends des chefs d’entreprise qu’ils la suivent. Je compte faire adopter et appliquer des règles du jeu claires, à tous les niveaux, y compris gouvernemental. Si l’un de mes ministres était impliqué dans une affaire de corruption, ce serait un échec terrible pour moi.

Vous comptez d’ailleurs criminaliser le délit de corruption…

Ce n’est pas la seule mesure que nous envisageons. Un parquet indépendant spécialisé sur cette question sera opérationnel sous peu. Nous lui donnerons les moyens de fonctionner, mais ne nous leurrons pas : le procureur spécial ne pourra, à lui seul, endiguer ce fléau. Cependant, en promouvant une approche vertueuse jusqu’au sommet de l’État, par exemple en recourant systématiquement à des appels d’offres transparents, nous progresserons.

La corruption se nichant le plus souvent dans les hautes sphères, il nous faudra nous montrer exemplaires. Au Ghana comme ailleurs, les citoyens réclament ardemment une gestion désintéressée de l’argent public.

Vous êtes réputé proche d’Alassane Ouattara. Cela augure-t-il une résolution prochaine du litige frontalier entre le Ghana et la Côte d’Ivoire ?

Lors de nos premières discussions sur le sujet avec le président Ouattara, nous nous sommes accordés sur une chose : quelle que soit la décision du Tribunal international du droit de la mer, qui doit être rendue à Hambourg en septembre, nous l’accepterons et continuerons de coopérer, pour le bien de nos deux pays. La Côte d’Ivoire est notre grand voisin de l’Ouest, nous ne pouvons donc nous permettre de connaître des périodes de tension avec elle.

Le Maroc vient de renouer avec l’Union africaine. Qu’est-ce que ce retour va changer pour le reste du continent ?

D’abord, cela permet à l’Union africaine de retrouver une pleine légitimité en englobant tous les pays du continent. Par ailleurs, la contribution du Maroc est essentielle car c’est un pays relativement développé, engagé de longue date aux côtés du reste de l’Afrique.

En tant qu’Africains, il nous incombe de trouver une solution à nos propres problèmes

Rappelez-vous le rôle que Mohammed V, le grand-père du roi actuel, a joué dans nos luttes de libération. Il n’était pas envisageable que cette grande nation africaine demeure plus longtemps en marge de l’organisation continentale. Sans oublier que le Maroc est concerné par le conflit du Sahara occidental, lequel doit, à mon sens, être réglé au sein de l’UA. En tant qu’Africains, il nous incombe de trouver une solution à nos propres problèmes.

Brexit, élection de Donald Trump, menace d’une élection de Marine Le Pen en France… Quelles sont les conséquences pour l’Afrique en général, et le Ghana en particulier, du repli nationaliste des puissances occidentales ?

Ces tendances globales s’imposent à nous, car nous sommes tous interdépendants. Mais je crois qu’en fin de compte le nationalisme et l’autoritarisme finissent toujours par s’incliner. En Afrique, nous avons commencé à écrire notre histoire contemporaine sous la coupe d’États autoritaires.

Peu après son indépendance, le Ghana est tombé dans un régime de parti unique qui a décimé l’opposition. Beaucoup de personnalités politiques ont opté pour l’exil, d’autres ont été jetées en prison. Cela fut le prélude à une série de coups de force successifs qui ont marqué l’histoire de notre pays. En vingt ans, nous avons connu quatre Républiques successives.

À la suite de ces périodes troublées, les Ghanéens ont jugé qu’ils seraient mieux lotis dans une démocratie garantissant les libertés individuelles. Ce modèle de société ouverte, mis en place au début des années 1990, est demeuré depuis. Bien sûr, nous pouvons encore progresser, notamment en améliorant la gouvernance et la gestion de notre économie. Mais je crois que les Ghanéens sont confiants car ils peuvent s’exprimer librement et assumer les décisions qu’ils jugent bonnes pour eux.

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